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La coule, vêtement spécifique du moine

Section ii: La distinction entre moines et chanoines dans la législation promulguée lors des assemblées

E) La coule, vêtement spécifique du moine

a) L’interdiction de la coule pour les chanoines

Le port de la coule par les chanoines est condamné de manière virulente par le chapitre 125 de l’institutio canonicorum intitulé « De ce que les chanoines ne doivent pas

revêtir la coule des moines »212 :

« Il est répréhensible et digne d’être amendé par l’Église l’usage dont nous avons appris qu’il se répandait parme les clercs, à savoir que, contre la coutume ecclésiastique, ils revêtent les coules qui ne doivent être en usage que chez les seuls moines puisqu’ils ne doivent absolument pas et en aucun cas usurper l’habit de ceux de la profession desquels ils sont dans une certaine mesure éloignés, puisque tout comme il est indécent qu’ils portent des armes

212 Chapitre CXXV de l’institutio canonicorum édité in M.G.H. concilia II, p. 405: « Ut canonici cucullas monachorum non induant »

militaires à la manière des laïcs, de même il est tout à fait malhonnête, et très déshonorant qu’ils se revêtent des vêtements d’une autre profession. »213

.

La condamnation du port de la coule apparaît ici fondée sur deux idées : la première, celle que la coule est l’habit propre de la profession monastique ; la seconde, celle que la profession monastique est différente de la profession canonique. Nous allons donc essayer d’examiner en quoi la coule est liée très étroitement à la profession monastique et en quoi la profession canonique s’écarte de la profession monastique.

b) Le lien entre la coule et la profession monastique

Pour comprendre le rôle de la coule dans la profession monastique il faut examiner ce que la législation monastique promulguée lors des assemblées de 816 et de 817 dit de la coule. Si on ne trouve aucun article dans les décrets authentiques de 816, dans ceux promulgués en 817, le chapitre 16 spécifie :

« Que, après leur profession, pendant trois jours les moines aient la tête voilée par la coule »214 .

Ce point de la législation monastique de Benoît d’Aniane a été commenté par Dom Philibert Schmitz dans un article déjà ancien215. Pour lui, le fait que les moines gardent trois jours durant la coule sur la tête a pour but de leur rappeler l’importance de l’engagement qu’ils ont pris à leur entrée au monastère. Cette interprétation trouve sa pleine justification dans le chapitre LVIII, verset 26 de la règle de saint Benoît :

« Que (le nouveau moine) soit donc aussitôt dépouillé des affaires personnelles dont il est vêtu et qu’il soit revêtu des habits du monastère »216

.

La coule apparaît donc comme l’habit du monastère que le nouveau moine reçoit à son entrée.

213 Ibidem, p. 405 : « Reprehensibilem et ecclesiastica emendatione dignum apud plerosque canonicos inolevisse comperimus usum, eo quod contra morem ecclesiasticum cucullas, quibus solis monachis utendum est, induant, cum utique illorum habitum paenitus usurpare non debeant ; a quorum proposito quodam modo distant, quia, sicut indecens est, ut arma militaria more laicorum gestent, ita nimirum inhonestum et valde indecorum est, ut alterius propositi indumenta sibi inponant. »

214 Synodi secundae Aquisgranensis decreta authentica, édition Josef Semmler in Corpus consuetudinum monasticarum, op. cit. , p 476 : « Ut monachis professione facta tribus diebus cuculla velentur capita ».

215 Dom Philibert Schmitz, « L’influence de saint Benoît d’Aniane dans l’histoire de l’ordre de saint Benoît » in Il monachesimo nell’alto medioevo e la formazione della civilta occidentale, Spolète, 1957., p. 401-416.

216 La Règle de Saint Benoît, op. cit. , p 126 : « Mox ergo in oratorio exuatur rebus propriis quibus vestitus est, et induatur rebus monasterii. »

Cependant si l’on veut analyser plus précisément la signification du rituel décrit dans le chapitre 16 des décrets authentiques de 817, il faut remarquer que le délai pendant lequel les moines gardent leur coule sur leur tête est de trois jours. Cette durée de trois jours correspond symboliquement au temps écoulé entre la mort et la résurrection du Christ. Et figure donc le temps qui s’écoule entre la mort à l’ancienne vie, celle du monde, auquel le nouveau moine a renoncé le jour de sa profession, et la renaissance à une nouvelle vie, celle de moine. La coule apparaît aussi comme un symbole baptismal puisque la mort au péché et la renaissance à une vie nouvelle sont étroitement liés au baptême par saint Paul dans le chapitre VI de l’épître aux Romains et notamment au verset 4 :

« en effet nous avons été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort pour que tout comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, de même nous avancions dans une vie nouvelle »217.

Le rituel de la coule placée trois jours sur la tête du nouveau moine tend donc à faire de la profession monastique un nouveau baptême et le symbole de l’entrée dans une vie nouvelle.

Cette importance symbolique de la coule se retrouve dans cette précision donnée par les versets 27 et 28 du chapitre 58 de la règle de saint Benoît qui prévoit que les habits du moine sont gardés au vestiaire pour le cas où le moine quitterait le monastère :

« Or que les vêtements dont il a été dépouillé soient déposés dans le vestiaire pour y être conservés, pour que si, un jour, il est d’accord avec le diable lui conseillant de quitter le monastère – ce qu’à Dieu ne plaise – qu’après avoir été dépouillé des affaires du monastère, il soit alors expulsé. »218

Le moine, expulsé du monastère, est dépouillé de sa coule et retrouve ses habits personnels, signe qu’il perd sa condition de moine pour retrouver sa condition antérieure à sa profession monastique.

c) Tonsure et profession canonique

217 Biblia sacra iuxta vulgatam versionem, op. cit., p 1756 : « consepulti enim sumus cum illo per baptismum in mortem ut quomodo surrexit Christus a mortuis per gloriam Patris ita et nos in novitate vitae

ambulemus »

218 La Règle de saint Benoît, op. cit., p. 126-127 : « Ille autem vestimenta quibus exutus est reponantur in vestiario conservanda, ut si aliquando suadenti diabulo consenserit ut egrediatur de monasterio – quod absit – tunc exutus rebus monasterii proiciatur. »

Les chanoines apparaissent d’abord comme des clercs. Or ce qui caractérise un clerc c’est la tonsure, comme l’indique le premier chapitre de l’institutio canonicorum qui reprend le passage du Livre des offices ecclésiastiques d’Isidore de Séville.

Qu’en est-il de la situation particulière des clercs vivant en communauté, c’est-à-dire des chanoines ? Le dernier chapitre de la deuxième partie de l’institutio canonicorum

– le chapitre 112 - est constitué par une citation du Sermo de vita et moribus clericorum de

saint Augustin. Dans cet extrait saint Augustin explique que le clerc qui quitte la communauté ne doit pas être privé de la cléricature. Augustin mentionne pourtant la profession spéciale faite par le clerc à son entrée dans la communauté :

« Donc il a professé la sainteté, il a professé l’association de vie en commun, il a professé qu’il est bon et qu’il est agréable pour les frères de vivre en un seul lieu. »219.

Cependant Augustin considère que la rupture de cette profession n’amène qu’une chute partielle de celui qui l’a rompue :

« S’il a chuté de cette profession et qu’il est resté clerc à l’extérieur, il n’a chuté qu’à moitié »220

.

L’éventuel engagement que prend le chanoine à son entrée à la communauté n’a pas la même valeur que la profession monastique. La profession selon la règle de saint

Benoît est vraiment ce qui fait le moine et lorsqu’il trahit l’engagement pris lors de sa

profession et notamment lorsqu’il quitte le monastère, le moine perd sa qualité de moine. Au contraire le chanoine est clerc avant d’être chanoine et même s’il rompt l’engagement qu’il a pris à son entrée dans la communauté, il demeure clerc.

F) Une différence de pratique marquée entre moines et chanoines