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canoniale dans les monastères au temps de Charles le Chauve

A) Présentation des sources

a) L’ambiguïté des sources contemporaines

Les exemplaires originaux de trois diplômes carolingiens en faveur de Saint-Arnoul de Metz ont été conservés:

- le premier, dans l’ordre chronologique, est un diplôme de l’empereur Lothaire Ier, daté du 13 août 840375 en lequel les religieux de Saint-Arnoul sont désignés par le seul terme de fratres, sans autre précision, ce qui ne permet pas de savoir s’ils sont des moines ou des chanoines

375

- le second est un diplôme de Charles le Chauve, daté du 24 février 842376, en lequel les religieux de Saint-Arnoul sont également désignés comme des fratres.

- le troisième est un diplôme de Charles le Chauve en faveur de Saint-Arnoul de Metz daté du 9 septembre 869377 en lequel les religieux de Saint-Arnoul sont explicitement désignés comme des chanoines (canonici).

A s’en tenir au témoignage des sources contemporaines, l’observance des religieux de Saint-Arnoul n’est connue avec certitude qu’en 869, en un temps où Carloman, fils de Charles le Chauve, est abbé de Saint-Arnoul de Metz. Les deux diplômes de Lothaire Ier et de Charles le Chauve rédigés alors que l’abbaye est aux mains de l’évêque de Metz, Drogon, laisse planer un doute sur la nature des religieux résidant à Saint-Arnoul au moment de leur rédaction. Or un témoignage tardif prétend que l’évêque Drogon aurait voulu instaurer une communauté de moines à Saint-Arnoul. Il convient donc de l’examiner attentivement.

b) Un témoignage tardif et ambigu : la charte d’Adalbéron de Metz

La mention d’une tentative d’instauration de la vie monastique à Saint-Arnoul de Metz sous l’abbatiat de Drogon se trouve dans une charte de l’évêque Adalbéron datant de 940. Adalbéron expose comment il a établi une communauté de moines à Saint-Arnoul de Metz et il détaille les travaux qu’il a du faire pour adapter le lieu à la vie monastique. C’est alors qu’il fait référence aux travaux de son prédécesseur Drogon :

« Nous, qui tenons sa place, souhaitons accomplir ce que, autrefois, Drogon, vénérable archevêque de ce même saint siège de Metz, n’a pu achever suivant son bon désir, l’obstacle de la mort survenant, lui qui a voulu, par amour de notre Seigneur Jésus Christ et de son bienheureux confesseur Arnoul relever et exalter ce même lieu à tel point qu’il avait noblement orné et élevé très haut l’église de ce même lieu et édifié en ce lieu un clôture pour les moines. »378

376

CHARLES LE CHAUVE 9 Ce diplôme présente un certain nombre d’irrégularités ce qui a amené son éditeur Georges TESSIER à considérer qu’il a été rédigé non pas à la chancellerie royale mais à Metz même.

377 CHARLES LE CHAUVE 328

378 Charte d’Adalbéron Ier éditée par D WICHMANN in“Adalberos I. Schenkungsurkunde für das

Arnulfskloster und ihre Fälschung“ in Jahrbuch der Gesellschaft für Lothringische Geschichte, t. 2 (1890), p. 306-319, (charte éditée p. 306-308): „Quodque olim Drogo, huius sancte Mettensis sedis quondam

venerabilis archiepiscopus, qui ab amorem domini nostri Jesu Christi et beatissimi Arnulfi confessoris ipsius eundem locum relevare et exaltare voluit, in tantum ut ecclesiam eiusdem loci nobiliter ornaret ac excelsius sublimaret, claustrum quoque inibi causa monachorum aedificaret, sed mortis intercurrente obstaculo iuxta bonum desiderium suum nequiverat, nos qui ipisus loco positi sumus, implere optamus. »

Ce passage de la charte de l’évêque Adalbéron est difficile à interpréter. Adalbéron rapporte les travaux de restauration du monastère accomplis par son prédécesseur Drogon et il n’y a pas lieu, nous semble-t-il, de remettre en cause la réalité de ceux-ci. Il est fort possible que l’on disposait au temps d’Adalbéron de documents - peut-être des inscriptions épigraphiques - attestant les travaux de restauration de Drogon. Parmi les reconstructions attribuées à Drogon, Adalbéron mentionne celle d’une clôture causa monachorum. Cette expression est en elle-même très ambiguë car elle peu signifier, soit qu’à l’époque, Saint-Arnoul abritait des moines et que le passage du monastère à l’ordre canonial est postérieur à l’épiscopat de Drogon, soit, au contraire, que le monastère abritait des chanoines et que Drogon avait l’intention d’y installer des moines. De même il est difficile d’interpréter la formule indiquant que Drogon n’a pu mener à bien ses projets. Adalbéron veut-il signifier par là que Drogon n’a pas terminé les travaux qu’il a entrepris, ou bien qu’il n’a pas eu le temps d’introduire de moines à Saint-Arnoul, comme il en aurait eu l’intention ? Cette seconde interprétation semble plus conforme à ce que l’on sait par ailleurs de l’histoire du monastère qui, peu de temps après l’épiscopat et abbatiat de Drogon, en 869, abrite incontestablement une communauté de chanoines.

En réalité, il semble bien qu’Adalbéron déduise la présence de moines à Saint-Arnoul sous l’épiscopat de Drogon - ou la volonté de Drogon d’introduire des moines à Saint-Arnoul - de la construction par celui-ci d’un claustrum, terme qui dans la règle de

saint Benoît désigne la clôture du monastère plutôt que le cloître. Or ce raisonnement est

tout à fait fragile puisque, à l’époque carolingienne, l’existence d’un claustrum n’implique pas la présence de moines. Nous avons vu en effet dans le chapitre précédent que l’institutio canonicorum prévoyait que les monastères de chanoines devaient être munis d’une clôture. Aussi nous en arrivons à la même conclusion que Michèle Gaillard dans sa thèse d’habilitation : le claustrum édifié par Drogon était probablement une clôture pour des chanoines. Il n’y a donc probablement pas eu de tentative d’introduction de la vie monastique à Saint-Arnoul au IXe siècle379

379 GAILLARD Michèle, D’une réforme à l’autre (816-934) : les communautés religieuses en Lorraine à l’époque carolingienne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2006, 476 p., Histoire ancienne et médiévale 82, p. 186 : « il me semble fort possible que ce claustrum ne soit pas un cloître pour les moines mais se réfère à la construction explicitement demandée par l’Institutio canonicorum (§1) d’un mur de clôture entourant toutes les constructions nécessaires à la vie des chanoines. ». Cette conclusion nous paraît plus convaincante que celle du même auteur dans son article précédent, « Les abbayes du diocèse de Metz au IXe siècle : décadence ou réforme ? » in R.H.E.F., 1993, p. 261-274, en lequel elle défendait l’idée d’une réforme effective de Saint-Arnoul sous l’abbatiat de Drogon. La formulation ne nous paraît cependant pas pleinement satisfaisante puisque l’auteur semble supposer que le terme claustrum a un sens différent selon qu’il concerne

Il convient de s’interroger sur les motifs qui ont amené l’évêque Adalbéron à mentionner cette tentative de réforme probablement fictive de son prédécesseur Drogon. Adalbéron se présente comme le continuateur de Drogon : il ne ferait qu’achever ce que son prédécesseur a entrepris. Ce trait nous paraît caractéristique des réformateurs des IXe-Xe siècle qui ne prétendent pas innover mais rétablir l’observance ancienne. Pour ces réformateurs il est donc important de s’appuyer sur un précédent pour justifier leur propre action. C’est le cas de l’évêque Adalbéron : désireux d’imposer l’observance de la règle de

saint Benoît à Saint-Arnoul de Metz, il cherche à s’appuyer sur un précédent et ce d’autant

plus qu’il doit à faire face à l’opposition des religieux de Saint-Arnoul désireux de demeurer dans l’ordre canonial380

. Aussi interprète-t-il la construction par son prédécesseur Drogon d’une clôture comme la preuve de la présence de moines à Saint-Arnoul sous son épiscopat.

B) Synthèse

Il semble bien qu’il n’y a pas eu de réforme du monastère de Saint-Arnoul de Metz sous l’épiscopat de Drogon. Les sources contemporaines de cet épiscopat laissent planer une certaine ambiguïté sur la nature de la communauté résidant en ce lieu puisque les deux diplômes de Lothaire Ier et de Charles le Chauve ne désignent les religieux que par le terme de fratres. Cependant, le diplôme de Charles le Chauve de 869 sous l’abbatiat de son fils Carloman les qualifie clairement de canonici. Il faudrait donc supposer un double mouvement : l’adoption de la règle de saint Benoît sous l’épiscopat et abbatiat de Drogon et le retour à la vie canoniale, après la mort de celui-ci. Cette hypothèse ne nous paraît pas indispensable d’autant que ces éventuels changements d’observance n’auraient laissé qu’une trace très évanescente dans les sources.

La seule véritable mention d’une réforme de Saint-Arnoul de Metz sous l’épiscopat et abbatiat de Drogon se trouve dans une charte de l’évêque Adalbéron datée de 940. Cette mention est en outre ambiguë puisqu’Adalbéron se contente de signaler la construction par

des moines ou des chanoines alors que nous avons démontré dans le premier chapitre que claustrum avait le même sens dans l’institutio canonicorum que dans la règle de saint Benoît.

380

Les religieux de Saint-Arnoul refusent d’adopter la règle de saint Benoît et prétendent conserver leur état canonial tout en demeurant sur place. Ils font appel au roi de Germanie Otton Ier qui donne raison à l’évêque Adalbéron et prononce l’expulsion des chanoines de Saint-Arnoul. Cf. diplôme d’Otton Ier du 10 janvier 942 édité par Theodor Sickel, Die Urkunden Konrads I, Heinrichs I und Ottos I, Hannover, 1879-1884, OTTON n°45.

son prédécesseur d’un claustrum causa monachorum. Or le terme de claustrum désigne la clôture du monastère aussi bien dans l’institutio canonicorum que dans la règle de saint

Benoît. On ne peut donc inférer de la construction d’un claustrum par Drogon la présence

de moines à Saint-Arnoul sous son épiscopat.

Il est en outre établi qu’Adalbéron avait tout intérêt à s’appuyer sur un précédent réel ou imaginaire pour appuyer sa propre tentative d’introduire la règle de saint Benoît à Saint-Arnoul de Metz face à l’opposition des chanoines résidant sur place.

L’étude de l’hypothétique « réforme » de Saint-Arnoul de Metz ne nous apprend que peu de chose sur la pratique de la réforme au temps de Charles le Chauve mais elle nous permet d’apercevoir comment les « réformateurs » du Xe siècle ont instrumentalisé certains éléments de l’histoire des monastères pour justifier leurs propres projets de réforme.