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Nous nous étions proposé pour objectif dans ce premier chapitre de répondre à deux interrogations.

La première portait sur les fondements de la distinction entre moines et chanoines : celle-ci se fondait-elle sur une série de divergences de pratiques interdites aux moines mais permises aux clercs répertoriées dans l’institutio canonicorum, sur les spécificités juridiques de la profession monastique, comme en Catherine Capelle en a fait l’hypothèse, ou sur l’exercice par les chanoines de la cura animarum, comme l’affirme Michèle Gaillard ?

Il y a toujours eu des divergences de pratiques entre moines et chanoines sur la période que nous avons étudiée mais, nous semble-t-il, elles n’ont pas toujours été les mêmes et elles ont fait l’objet de débats. Le canon 11 du concile de Ver en relève deux, le lieu de résidence, les moines habitent dans des monastères, les chanoines auprès de l’évêque, et la possibilité pour les chanoines de posséder des biens propres, pratique strictement interdite aux moines. Or, de ces deux différences, l’une celle portant sur le lieu de résidence va s’estomper, puisque Charlemagne reconnaît à partir de 802 l’existence de communautés de chanoines vivant dans des monastères ; l’autre la possibilité pour les chanoines de posséder des biens propres va s’imposer mais après avoir, semble-t-il, susciter des débats au cours de l’assemblée d’Aix-la-Chapelle en 816. L’institutio

canonicorum insiste en outre sur une autre divergence de pratique qui semble prendre alors

une importance qu’elle n’avait pas jusque-là, celle concernant le vêtement puisqu’elle réserve strictement le port de la coule aux seuls moines.

Le canon 11 du concile de Ver ne nous paraît pas définir clairement les spécificités juridiques des professions monastiques et canoniales. C’est plutôt, nous semble-t-il, dans l’Admonitio generalis de 789, sous l’influence de la redécouverte du droit canonique de l’Antiquité tardive, qu’apparaît la notion du « vœu de la vie monastique » Cette idée que le moine est lié par le vœu qu’il a prononce à son entrée au monastère se retrouve dans la lettre d’Alcuin informant Arn de Salzbourg informant de l’installation d’une communauté monastique à Cormery. Dans les conciles réformateurs de 813 la notion de « vœu de la vie monastique » disparaît remplacé par celle de la profession de la règle de saint Benoît. Le moine est désormais défini comme celui qui a promis publiquement d’observer la règle de

saint Benoît et sa vie doit être jugé à l’aune du respect de cet engagement. Le schéma

proposé par Catherine Chapelle qui parlait de « la promesse incluse dans la Règle et

finalement le votum établissent le caractère juridique du monachus. »251 nous paraît

devoir être quelque peu corrigé. Si l’on examine la législation canonique carolingienne, c’est la définition du monachus par le votum qui est apparue en premier et c’est par la suite que ce votum a été assimilé à la profession de la règle de saint Benoît.

Quant à la spécificité juridique de la profession canonique, elle est définie, nous semble-t-il, plus tardivement que celle de la profession monastique lors du concile réformateur de Tours de 813 et surtout dans l’institutio canonicorum de 816. Le clericus ou canonicus nous paraît essentiellement défini par l’accomplissement du service de Dieu compris ici avant tout comme l’administration des sacrements. Cette définition s’appuie notamment sur l’autorité patristique de saint Jérôme. Cette définition tendrait à accréditer l’hypothèse proposée par Michèle Gaillard selon laquelle les chanoines se distinguent des moines par l’exercice de la cura animarum. Cependant cette hypothèse est contredite, s’agissant des chanoines vivant dans les monastères, par des capitula publiés en 874 par Hincmar, dans lesquels l’archevêque de Reims affirme l’incompatibilité de la vie dans un monastère et de l’exercice d’un ministère pastoral

La seconde question portait sur l’origine de l’expression « monasteria

canonicorum ». Le canon 11 du concile de Ver distinguant d’un part, les moines vivant

dans les monastères, et, d’autre part, des chanoines vivant auprès des évêques, ne reconnaît pas l’existence de « monasteria canonicorum ». Il en est de même pour l’Admonitio

generalis de 789. Ce n’est que dans les capitulaires promulgués à la suite de l’assemblée

réuni à Aix-la-Chapelle en 802qu’apparaît, pour la première fois nous semble-t-il dans un texte normatif, l’expression monasteria canonicorum. Cependant c’est surtout le concile réformateur de Tours de 813 qui fournit une définition des monasteria canonicorum. Les évêques y établissent une distinction entre les monastères où la vie canoniale est observée depuis longtemps et où elle est donc pleinement légitime et ceux où la vie canoniale s’est substituée récemment à la vie monastique et qui ont vocation à redevenir des monastères de moines.

Ces observations peuvent paraître paradoxales : les monasteria canonicorum ne sont pas mentionnés dans les textes avant 802 et en 813, on parle de monastère « en lesquels la vie canoniale fut depuis l’Antiquité » (monasteri(a) in quibus canonica vita

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antiquitus fuit). Ce paradoxe nous paraît pouvoir s’expliquer. En réalité les prescriptions du

concile de Ver et de l’Admonitio generalis n’ont jamais été pleinement appliquées : il a toujours existé des monastères en lesquels religieux n’ont pas vécu conformément à la

règle de saint Benoît. En 802, Charlemagne renonce à imposer la règle de saint Benoît

dans tous les monastères et prescrit aux religieux résidant dans les monastères qui refusent d’observer la règle de saint Benoît de vivre selon les canons. Ces monastères sont rétrospectivement considérés comme ayant toujours vécus dans l’observance canoniale.

Chapitre 2: Maintien ou accentuation de la différence

entre moines et chanoines au temps de

Charles le Chauve ?

L’objet de ce deuxième chapitre est de vérifier que la distinction entre moines et chanoines telle que nous l’avons vu émerger progressivement dans la législation canonique des premiers souverains carolingiens est bien demeurée en place à l’époque de Charles le Chauve.

La difficulté méthodologique que pose une telle enquête tient à la raréfaction des sources canoniques concernant la définition des professions monastiques et canoniales. Tout se passe comme si, après la rédaction, lors des assemblées d’Aix-la-Chapelle de 816 et 817, des textes normatifs que sont l’institutio canonicorum pour les chanoines, l’institutio sanctimonialium pour les chanoinesses et les décrets authentiques de 816 et 817 pour les moines (et moniales), la question était considérée comme définitivement réglée. Les évêques carolingiens n’éprouvent en tout cas plus le besoin d’en débattre lors des conciles. De ce fait l’étude de l’application au temps de Charles le Chauve de la législation canonique promulguée sous le règne de Louis le Pieux nécessite de s’intéresser à des sources de natures diverses, les quelques rares textes canoniques qui concernent le sujet, des correspondances, des diplômes royaux voire des actes privés… Du fait de cette diversité des sources à envisager, le risque était grand de se disperser et d’aboutir à une collection de petites études locales sans pouvoir en tirer de ligne directrice. Pour le limiter nous avons choisi de restreindre notre exposé à quelques exemples qui nous ont paru particulièrement significatifs en renonçant à toute prétention à l’exhaustivité.

Ce chapitre s’articulera en trois sections. La première section s’intéressera à la profession monastique en s’efforçant d’apercevoir si elle demeure conforme à la définition qui en a été donnée au temps de Louis le Pieux. La seconde section s’intéressera à la possession des biens propres par les chanoines.