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La distinction entre moines et chanoines au début de l’époque carolingienne au début de l’époque carolingienne

monastères au temps de Charles le Chauve

Chapitre 1: La distinction entre moines et chanoines au début de l’époque carolingienne au début de l’époque carolingienne

L’objet de ce premier chapitre est de rechercher les fondements de la distinction entre moines et chanoines dans la législation canonique consacrée à la question au début de l’époque carolingienne. Une telle enquête, qui s’écarte quelque peu du cadre chronologique défini pour notre sujet, nous a paru nécessaire en raison, d’une part des observations que nous avons pu faire sur le vocabulaire des textes du temps de Charles le Chauve, notamment l’emploi des mêmes termes monasterium et coenobium pour désigner le lieu de résidence des moines comme des chanoines, et d’autre part de l’absence, au temps de Charles le Chauve, de textes normatifs définissant les observances canoniales et monastiques. Restaient à définir les limites chronologiques et les modalités de cette enquête.

Sur ces points nous nous sommes laissé guider par les travaux de nos prédécesseurs. La question des différences entre moines et chanoines a en effet déjà suscité l’intérêt des historiens. L’interprétation la plus classique est de voir dans la distinction entre moines et chanoine une simple divergence de pratiques. Elle se fonde sur un passage souvent commenté de l’institutio canonicorum qui énumère un certain nombre de pratiques autorisées aux chanoines alors qu’elles sont interdites aux moines :

« Bien que, en effet, il soit permis aux chanoines, puisqu’on n’a pas lu dans les canons sacrés que cela leur était interdit, de se vêtir de lin, de manger de la viande, de donner ou recevoir des biens propres ni de tenir des biens d’église avec humilité et justice. »81

Une autre interprétation a été proposée par Catherine Capelle dans sa thèse d’histoire du droit consacrée au vœu d’obéissance. Elle est portée à voir un fondement essentiellement juridique à la distinction entre moines et chanoines apparue selon elle dans les actes du concile de Ver de 755 :

81 Institutio canonicorum éditée par Albert Werminghoff in M.G.H. concilia II, p. 397 : « Quamquam enim canonicis, quia in sacris canonibus illis prohibitum non legitur, liceat linum induere, carnibus vesci, dare et accipere proprias res et ecclesiae cum humilitate et iustititia habere. » Il convient ici de lever une ambiguïté du texte latin :bien que le terme latin res ne soit employé qu’une fois, il faut comprendre, nous semble-t-il, qu’il se rapporte à la fois au qualificatif proprias et au génitif ecclesiae. Les chanoines peuvent donc recevoir avec humilité et justice deux catégories de biens, des biens propres et des biens d’église.

« Ce premier synode de Pépin a, nous le verrons, une grande importance pour notre sujet. C’est à ce concile, en effet, que pour la première fois nous trouvons la distinction nette entre moines et chanoines et par conséquent la spécificité des deux groupes (...) Plus tard aux termes d’une évolution qui semble débuter au synode de Ver, la promesse incluse dans la Règle et finalement le votum établissent le caractère juridique du monachus. »82

Cette hypothèse nous a paru très intéressante. C’est pourquoi, afin d’en vérifier la pertinence, nous avons décidé de prendre pour point de départ de notre enquête le synode de Ver de 755, puis d’observer l’évolution de la législation canonique au temps de Charlemagne. C’est ce que nous ferons dans la première section de ce chapitre. Il ne s’agit pas pour autant d’abandonner l’examen des pratiques pour lesquels l’observance des chanoines s’éloigne de la règle de saint Benoît. C’est pourquoi nous consacrerons la seconde section de ce chapitre à l’étude de la législation promulguée à Aix-la-Chapelle en 816 et 817 qui définit précisément les observances monastiques et canoniales.

Une troisième interprétation a été proposée très récemment par Michèle Gaillard dans sa thèse d’habilitation sur les communautés religieuses en Lorraine à l’époque carolingienne. Elle consacre en effet un chapitre à « l’impulsion réformatrice de 816-817 » dans lequel elle examine les différents textes réformateurs rédigés lors des assemblées réunies Aix-la-Chapelle. Selon elle, les chanoines se distinguent des moines en ce qu’ils exercent la cura animarum. Elle explique d’ailleurs ainsi le succès de l’institutio

canonicorum

« il offre aux chanoines un mode de vie valorisant, sans être trop ascétique et restant compatible avec leurs obligations pastorales et liturgiques »83

Il conviendra dans la seconde section de ce chapitre de vérifier la pertinence de cette interprétation et notamment de voir si l’institutio canonicorum prévoit bien l’exercice de charges pastorales par les chanoines.

Nous aborderons en outre, principalement dans la première section, un thème secondaire, celui de l’origine de l’expression monasterium canonicorum. L’association de

monasterium - qui semble étymologiquement très lié avec monachus - et de canonicus a

été diversement interprétée par les historiens. Une des interprétations proposées est que les

monasteria canonicorum seraient d’anciens monastères de moines dont les religieux

82 CAPELLE Catherine, Le vœu d’obéissance des origines au XIIème siècle,., p. 155.

83 GAILLARD Michèle, D’une réforme à l’autre (816-934) : les communautés religieuses en Lorraine à l’époque carolingienne, p. 129.

auraient abandonné la règle de saint Benoît84. Cette hypothèse se heurte cependant à une

objection majeure. L’expression monasterium canonicorum ne se rencontre pas seulement dans des actes de la pratique propres à certains établissements mais aussi dans des textes normatifs qui l’utilisent pour définir une catégorie particulière de monasterium. L’exemple le plus significatif est celui du concile réformateur de Tours en 813 qui traite

« des monastères en lesquels la vie canonique fut depuis l’antiquité et où elle est reconnue être maintenant »85.

Cette formule semble impliquer l’existence de monastères qui ont toujours abrité des chanoines, et donc exclure l’interprétation proposée notamment par Jean-Charles Picard et Anne-Marie Helvétius.

D’autres historiens ont donné leur point de vue sur l’expression monasterium

canonicorum. Dans l’article « Chanoines » du Dictionnaire de droit canonique, Pierre

Torquebiau indique que l’expression monasterium canonicorum apparaît à l’époque carolingienne86.Mais, Charles Dereine, dans l’article « Chanoines (Des origines au XIIe siècle) » du Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, note que l’expression

« monasteria clericorum » était notamment employée par saint Augustin dans son Sermo de moribus et vita clericorum, une œuvre connue des Carolingiens puisqu’un extrait en est

cité dans l’institutio canonicorum de 81687

.

L’histoire de l’expression monasterium canonicorum est donc problématique. Avant de pousser plus loin nos recherches sur ses occurrences dans les textes canoniques carolingiens, il convient de rappeler quelles étaient les définitions du terme monasterium disponibles à l’époque carolingienne. L’auteur qu’il convient de consulter est Isidore de Séville dont l’œuvre est bien connue des clercs carolingiens. L’intérêt d’Isidore est qu’il propose deux définitions contradictoires du terme monasterium, l’une qui lui est propre

84 C’est notamment l’explication fournie par Jean-Charles PICARD in Histoire de la France religieuse, tome 1 op. cit., p. 210-212 : « Aussi l’état de décadence dans lequel on nous décrit bien des « monastères » - car même les communautés de chanoines avaient souvent conservé ce titre… ». La même idée est exprimée par Anne-Marie HELVÉTIUS in Abbayes, évêques et laïques : une politique du pouvoir en Hainaut au Moyen Age (VIIème-XIème siècle,),op. cit., p. 204-205 : « Ayant refusé de suivre une règle bénédictine qu’ils n’avaient vraisemblablement jamais observé à la lettre, leurs religieux seraient ainsi des chanoines : c’est la raison pour laquelle on parle à leur propos d’abbayes canoniales ou de monastères de chanoines. »

85 M.G.H. concilia II édité par Albert Werminghoff , Hanovre, 1906 p 289 : « (monasteriorum) in quibus canonica vita antiquitus fuit vel nunc videtur esse »

86

TORQUEEBIAU Pierre, « Chanoines » in Dictionnaire de droit canonique, tome 3, 1942, col. 471-488, ici col. 373 : « Les lieux d’habitations des clercs communautaires seront bientôt appelés comme ceux des moines, des monasteria. »

87 DEREINE Charles, « Chanoines (des origines au XIIIème siècle) » in Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastique, tome XII, col. 354-405 ici col. 357.

dans ses Etymologies et qui sera d’ailleurs reprise telle quelle à l’époque carolingienne, et une autre qu’il emprunte à Jean Cassien et qu’il reproduit dans le Liber de ecclesiasticis

officiis.

La définition donnée par Isidore dans les Etymologies est purement étymologique :

« Le monasterium est l’habitation d’un seul moine ; monos égale solus chez les Grecs, sterion, station, c’est à dire habitation du solitaire. »88

Selon cette définition, le terme monasterium ne peut désigner au sens propre qu’un ermitage. Il va de soi que cette définition reprise à l’époque carolingienne par Raban Maur dans le De Universo n’a qu’une valeur étymologique et ne reflète aucunement l’emploi du terme monasterium au temps d’Isidore de Séville comme au temps de Raban Maur.

La seconde définition proposée par Isidore de Séville peut paraître assez semblable mais elle est en réalité beaucoup plus large :

« Or entre coenobium et monasterium Cassien fait cette distinction que

monasterium peut aussi désigner l’habitation d’un seul moine alors que coenobium ne peut désigner que l’habitation de plusieurs moines. »89

Selon cette deuxième définition empruntée par Isidore de Séville à Jean Cassien, le terme monasterium peut désigner aussi bien le lieu d’habitation d’un groupe de cénobites que celui d’un ermite. L’existence de ces deux définitions très différentes du terme

monasterium suggère que Isidore de Séville ainsi que ses lecteurs carolingiens étaient tout

à fait conscients du décalage entre l’étymologie du terme monasterium et le sens beaucoup plus large qu’il avait pris par la suite. Il n’est donc finalement pas si étonnant que ce terme désignant à l’origine l’ermitage en soit venu à désigner le lieu de résidence de tous religieux, moines ou chanoines.

88

Isidore de Seville, Liber Etymologiarum : « Monasterium unius monachi habitatio est, μονοσ apud Graecos solus, στεριον statio id est solitarii habitatio. »

89 Isidore de Séville, Liber de ecclesiasticis officiis : « Inter coenobium et monasterium ita distinguit Cassianus quod monasterium possit etiam unius monasterii habitatio nuncupari, coenobium autem non nisi plurimorum. »

Section i: Enquête sur la législation canonique du concile de