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Les privilèges concernant les maisons des chanoines

Section ii: La possession de biens propres par les chanoines

A) Les privilèges concernant les maisons des chanoines

Deux diplômes de Charles le Chauve concerne les maisons des chanoines : le premier, dans l’ordre chronologique, est un diplôme en faveur de Saint-Martin de Tours du 5 janvier 844 (ou 845) ; le second est un diplôme en faveur de Saint-Julien de Brioude du 10 mars 874. Nous allons étudier successivement ces deux diplômes

a) Le diplôme de Charles le Chauve en faveur de Saint-Martin de Tours du 5 janvier 844 (ou 845)

La licence accordée à chacun des chanoines de Saint-Martin de Tours de léguer sa maison à l’un de ses confrères est l’une des clauses d’un diplôme de Charles le Chauve en faveur du monastère de Saint-Martin de Tours daté du 5 janvier 844 ou 845284. Ce diplôme est connu par une copie faite en 1711 par Baluze sur l’exemplaire original du diplôme. L’avis de Georges Tessier sur l’authenticité de ce document a quelque peu évolué. Dans

284

son édition, il se montre assez critique. En considérant certaines particularités formelles de la copie de Baluze ainsi que le caractère hétérogène des dispositions contenues dans ce diplôme, il en conclut que :

« Le document vu par Baluze devait donc être un pseudo-original et le texte qu’on va lire résulte sans doute du remaniement d’un diplôme primitif réellement expédié. »285

Cependant, dans un article postérieur, Georges Tessier a émis l’hypothèse que de nombreux diplômes de Charles le Chauve en faveur de Saint-Martin de Tours avait été rédigé au sein de l’établissement destinataire et que cela suffisait à expliquer les irrégularités formelles que l’on peut y relever286. Il nous semble donc que l’on peut utiliser, avec une certaine prudence, le texte de ce diplôme.

Voici le texte de la clause concernant les maisons des chanoines :

« de même, quand le jour du départ hors de ce siècle viendra pour l’un des frères, qu’il puisse laisser la maison que lui-même a fait construire ou qu’il tient d’une quelconque manière, à celui qu’il lui plaira seulement si c’est un des frères sans aucune contradiction de l’abbé du prévôt voire du doyen alors en fonction ; de plus, quand un roi viendra pour prier aux seuils du bienheureux Martin et y séjournera quelque temps, qu’aucun de ces hommes ni ne reçoive la maison de l’un des frères en ce même monastère ni n’ait l’autorisation d’en recevoir une et qu’aucun laïc ne puisse avoir de maison dans ce même monastère. »287

Ce diplôme montre que les chanoines ont un droit d’usage bien établi sur leurs maisons puisqu’ils sont protégés contre une usurpation venue de l’extérieur – en l’occurrence des hommes du roi. On peut cependant hésiter à parler de véritable droit de propriété puisque les conditions de cession des maisons sont très strictes. Les chanoines ne peuvent les céder qu’à leur mort – aucune autre circonstance n’est évoquée – à titre gratuit - le verbe relinquere semble exclure l’idée de vente – et seulement à un autre chanoine de Saint-Martin. Les chanoines n’ont finalement que le libre-choix de celui des membres de la communauté qui héritera de leur maison à leur mort.

285 TESSIER Georges, Recueil des actes de Charles le Chauve, roi de France, op. cit., tome 1, p. 178.

286 TESSIER Georges, « Les diplômes carolingiens du chartrier de Saint-Martin de Tours » in Mélanges Louis Halphen, Paris, 1951, p. 683-693.

287 CHARLES LE CHAUVE 62 : « similiter, si quando alicui ex fratribus dies migrationis ex hoc saeculo evenerit, mansionem quam ipse fecit aut quoquo modo habet, cui libuerit tantum ex fratribus derelinquere queat sine aliqua contradictione abbatis ejusdem temporis aut praepositi vel certe decani ; insuper etiam, quando quilibet rex ad limina beati Martini venerit orandi gratia moramque quamlibet ibi fecerit, nullus ex ejus hominibus fratris accipiat licentiamque accipiendi habeat, nec quilibet laicus in eodem monasterio mansionem habere possit. »

b) Le diplôme en faveur de Saint-Julien de Brioude du 10 mars 874

Le diplôme de Charles le Chauve en faveur de Saint-Julien de Brioude daté du 10 mars 874288 comporte des particularités formelles qui peuvent le rendre suspect. Il comprend en effet une énumération des enclos des chanoines de Saint-Julien de Brioude. De plus sa tradition est incertaine puisqu’il ne figurait pas dans le Grand cartulaire de Saint-Julien de Brioude. Malgré ces éléments, Georges Tessier émet un avis plutôt favorable quant à l’authenticité de ce diplôme. La rédaction lui paraît, pour l’essentiel, conforme au formulaire des diplômes carolingiens. De plus les actes conservés dans le

Grand cartulaire confirment les indications de ce diplôme sur le nom du prévôt en 874,

Castellanus, et sur celui de son prédécesseur Adalgisus.

A la suite de l’énumération des enclos des chanoines, figure une clause exprimant les droits des chanoines sur ces maisons :

« En outre nous voulons et décrétons que chacun des susdits clercs ait la licence de laisser ou de vendre ses maisons à celui des clercs de ce monastère auxquels il voudra le faire sans contradiction d’aucun abbé ni taxe injuste. »289

Les droits accordés aux chanoines de Saint-Julien de Brioude sur leurs maisons par ce diplôme apparaissent plus important que ceux concédés aux chanoines de Saint-Martin de Tours dans l’acte précédemment analysé. Les chanoines peuvent non seulement laisser les maisons (dimittere qui nous semble ici avoir le même sens que relinquere dans le diplôme pour Saint-Martin de Tours) mais aussi les vendre (vendere). Les circonstances de la transmission ne sont pas précisées, ce qui laisse entendre que le chanoine peut laisser ou vendre sa maison quand bon lui semble et non pas seulement au moment de son décès comme le prévoyait le diplôme pour Saint-Martin de Tours. Enfin il est précisé que les chanoines n’ont pas à payer de taxe (occasio) sur le produit de cette vente.

Il est quelque peu téméraire d’inférer quoi que ce soit de seulement deux diplômes concernant deux monastères différents. Cependant, au vu de ces deux documents,

288 CHARLES LE CHAUVE 373

289 Idem : « Praeterea volumus et decernimus ut unusquisque clericorum supradictorum mansiones suas cuiuscumque clericorum ejusdem monasterii voluerit voluerit dimittendi sive vendendi licentiam habeat absque alicujus abbatis contradictione sive injusta occasione. »

l’évolution entre 844-45 – date du diplôme pour Saint-Martin de Tours, et 874, date du diplôme pour Saint-Julien de Brioude semble avoie été dans le sens d’un accroissement des droits des chanoines sur leurs maisons. Des contraintes qui encadraient la transmission d’une maison de chanoines dans le diplôme pour Saint-Martin de Tours – transmission au moment de la mort, à titre gratuit, et seulement à un autre membre de la communauté. – seule subsiste dans le diplôme pour Saint-Julien de Brioude l’obligation de laisser sa maison à un autre chanoine. Cela traduit, nous semble-t-il, dans le mode de vie canoniale un éloignement croissant l’idéal monastique bénédictin marqué par le refus de posséder tout bien à titre personnel. Cependant, cette évolution ne remettrait pas en cause les fondements de la vie communautaire puisque la transmission de ces maisons situées, comme le précisent les deux diplômes, à l’intérieur de la clôture ne peut se faire qu’entre membres de la communauté canoniale.

B) Fondation par un chanoine d’un service au bénéfice de la