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1.3. Enseignants - ressources, des situations d’interactions complexes

1.3.1. Les situations d’interactions entre les enseignants et les ressources ressources

Au sein du programme ReVEA, les équipes ont observé et analysé les situations où les enseignants sont amenés à rechercher, sélectionner, concevoir, modifier et transformer les ressources qu’ils présentent à leurs élèves et qui servent de support à leurs enseignements, mais également les ressources qu’ils partagent ou mutualisent avec leurs collègues. Ce travail sur les ressources implique aussi de mettre en place un système de stockage et d’organisation des ressources collectées et produites. Nous regroupons les interactions selon quatre familles d’activités : les interactions qui permettent d’accéder aux ressources, les interactions liées à l’organisation des ressources, les interactions liées à la conception de ressources, et enfin, celles liées à leur partage. Pour des questions de clarté ces différentes familles d’interactions sont présentées de manière distincte, mais elles sont fortement entremêlées dans la pratique des enseignants.

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Cette section s’intéresse à la première catégorie de situations d’interactions des enseignants avec les ressources, celles qui leur permettent, ou leur imposent d’accéder aux ressources, que nous appelons situations de recherche. Nous proposons d’abord une différenciation de ces situations, puis, nous appuyant sur des résultats de recherche en SIC, nous montrons comment ces situations sont sensibles au format et à la nature des ressources sollicitées. Nous proposons de distinguer deux catégories de situations de recherche : les situations de recherche liées à un objectif de production global et différé ; les situations de recherche liées à un objectif de production local et immédiat.

Dans les situations de recherche d’information liées à un objectif de production global différé, l’enseignant adopte la posture de veilleur. La veille informationnelle consiste à être à l'affût des ressources qui pourraient potentiellement être utilisées plus tard en classe ou pour s’auto-former (voir § 2.4.1). Nous qualifions donc cette situation d’interactions de situation de veille. Cette catégorie de situation témoigne de la préoccupation constante de l'enseignant d’accumuler de nouveaux matériaux. Dans sa thèse, Liquète (2000) a aussi identifié ce type de comportement qui concernait alors principalement les informations de loisirs et culturelles, qui étaient ensuite transformées en ressource d’enseignement. Dans ReVEA, cette situation a été très clairement verbalisée par les enseignants de STI (Huchette, 2018 ; Magneron, 2018). Cela ne signifie pas que les enseignants des autres disciplines ne font pas de veille ; ou peut-être en sont-ils seulement moins conscients. Dans les situations de recherche liée à un objectif de production local immédiat, l’enseignant, adopte une posture de recherche active. Nous qualifions cette situation d’interaction de situation de recherche d’information ponctuelle. La démarche de recherche ponctuelle vise à répondre à un besoin particulier pour une utilisation à court terme de la ressource, c’est le cas lorsqu’un enseignant souhaite mettre à jour une leçon, réaliser un projet spécifique ou encore s’adapter à une évolution du programme comme cela a été le cas avec la réforme de 2016 (voir § 1.3.2). Deux sous situations complémentaires de recherche ont été observées chez les enseignants de ReVEA : des situations de recherche ponctuelle dont l’objectif est d’accéder à leurs propres ressources pour les réutiliser,

et des situations de recherche ponctuelle dont l’objectif est d’accéder à de nouvelles ressources. Dans le premier cas, l’enseignant s’efforce de retrouver dans son propre système de ressources31, au sens de Gueudet et Trouche (2010a), celle qui lui permet de répondre à ses besoins. La compétence à retrouver les ressources qu’il possède déjà est alors indissociable de la compétence à organiser et structurer son système de ressources. Le second cas consiste à chercher des ressources complémentaires à l’extérieur de son système de ressources. Le programme ReVEA a montré que les enseignants utilisent une grande variété de ressources (Baron et al., 2018 ; Gueudet et al., 2018 ; Trouche, Trgalova, Loisy, & Alturkmani, 2018) : manuels scolaires, vidéo, photo, bases de données d’exercices en ligne, articles de presse, logiciels spécialisés, etc. Certaines de ces ressources peuvent exister aux formats numériques et imprimés, être disponibles sur Internet, au sein de l’établissement, ou au domicile de l’enseignant. Nous pouvons donc supposer que les stratégies de recherche documentaire mises en œuvre seront différentes en fonction du type de situation de recherche ponctuelle, mais aussi selon la nature de la ressource recherchée et des objectifs d’utilisations planifiés. Par exemple, un enseignant d’anglais recherche presque exclusivement des vidéos sur la plateforme YouTube (Le Hénaff, 2018), mais pour des exercices, il va probablement consulter des manuels scolaires.

Ces situations de recherche sont sensibles à la forme des ressources sollicitées ainsi qu’au dispositif d’accès. Pédauque (2006) a bien montré comment les conditions de production technique et de diffusion d’un document modifient les conditions de sa réception par le lecteur. Trois dimensions du document sont considérées : la forme, le signe et le médium (Pédauque, 2006). La forme, qui inclut la lisibilité, impacte directement le contrat de lecture entre le producteur de la ressource et le lecteur. En outre, l’accès aux ressources numériques ne peut se faire sans un équipement capable d’interpréter les langages informatiques et générer l’affichage adéquat. Enfin, les ressources numériques sont protéiformes - vidéo, audio, base de données d’exercices, logiciel à télécharger, application en ligne, site Web interactif, texte - et chacun des formats requiert des modalités techniques spécifiques. La qualité de la connexion Internet est par exemple cruciale lorsqu’un enseignant décide de travailler sur une ressource en ligne avec ses élèves.

Simonnot (2012) propose de considérer les dispositifs d’accès à l’information (DAI) comme des médiateurs entre les ressources et les usagers de ces dispositifs. Les professionnels de l’information ont longtemps été les principaux concepteurs des DAI : pour un enseignant, l’accès à un ouvrage papier (manuels, littérature scientifique, périodique…) peut nécessiter la médiation d’un catalogue bibliographique ou d’un professionnel de l’information s’il se trouve au CDI32 ou dans une bibliothèque municipale. Avec le numérique et Internet, les DAI se sont diversifiés et leur conception repose essentiellement sur les informaticiens. D’après les études sur les compétences informationnelles des enseignants (voir § 1.2.3), la recherche de ressources avec un moteur de recherche domine nettement les situations de recherche ponctuelle. Ce recours massif aux moteurs de recherche pour accéder aux ressources n’est pas sans soulever de nouvelles questions liées à la pertinence, la confiance et la crédibilité des résultats produits par ces moteurs (voir le § 1.1.3). En effet, les enseignants sont dépendants des algorithmes qui indexent et classent les résultats produits par les moteurs de recherche. Quelles influences cela a-t-il sur leurs stratégies de recherche ? Comment les enseignants composent-ils avec les contraintes d’accès spécifiques à chaque ressource ? Autant de questions qui nourrissent notre problématique.

Organiser

Cette section s’intéresse à la deuxième famille de situations d’interactions des enseignants avec les ressources, celles où les enseignants organisent et structurent leurs ressources, que nous nommons

31Voir le § 2.1.3 pour une présentation détaillée du concept de système de ressources.

situations d’organisation. Nous différencions deux composantes dans cette catégorie de situations, le classement et la conservation, puis nous analysons l’incidence des évolutions du format des ressources sur ces situations.

Dans les situations de classement des ressources, l'enseignant constitue des collections - à partir des ressources sélectionnées et conçues qu’il structure et hiérarchise. Ces activités répondent d’abord à un besoin pratique : organiser et structurer les ressources afin d’en faciliter l’accès ultérieurement. Cela suppose de nommer des répertoires et de les hiérarchiser pour l’aspect numérique, mais aussi d’organiser des classeurs, des pochettes ou des étagères pour les ressources papier. Cependant, dans certains cas, ces activités répondent aussi à un besoin des enseignants de structurer leurs connaissances, en particulier lorsque les ressources concernent des domaines nouveaux comme l’enseignement de l'option ISN (Drot-Delange, 2019).

Dans les situations de conservation des ressources, l’enseignant met en œuvre des stratégies qui lui permettent de sauvegarder ses ressources. Si les ressources papier sont relativement stables, ce n’est pas le cas des ressources numériques qui sont beaucoup plus précaires : perte d’une clé USB ou d’un disque dur externe, panne d’ordinateur, ondes électromagnétiques, obsolescence technologique, virus et rançongiciel33 sont autant de dangers qui menacent la pérennité des données numériques. Les enseignants en prennent souvent conscience trop tard, à la suite d’une mésaventure entraînant la disparition de tout ou partie de leurs ressources. Plusieurs enseignants interrogés dans ReVEA mentionnaient avoir mis en place des systèmes de sauvegarde de leurs ressources suite à de tels incidents.

L’évolution de la forme des ressources n’est pas sans conséquence sur la situation d’organisation. La constitution et l’organisation de collections de ressources ne sont pas un phénomène nouveau : dans sa thèse, Liquète (2000) a constaté l’existence de valises documentaires conséquentes, plus de 200 documents en moyenne pour chaque enseignant, ainsi qu’un nombre important d’enseignants abonnés à des périodiques. Lors de cette étude réalisée entre 1997 et 2000, la quasi-totalité des ressources présentes dans la valise documentaire est au format papier. Aujourd’hui, une bonne partie de ces ressources sont au format numérique (voir § 1.2) et, en particulier, presque toutes les ressources créées par les enseignants sont réalisées sous forme numérique (résultat concordant avec les études PROFETIC citées au § 1.1.3). La numérisation des ressources et la réduction de l’encombrement physique associé ont aussi contribué à accroître considérablement la quantité de ressources conservées par les enseignants.

Cette évolution de la forme des ressources et de leur nombre modifie profondément les modalités de gestion. Alors que dans une bibliothèque, toutes les ressources sont visibles et tangibles, les collections de ressources numériques ne sont pas directement accessibles. Les enseignants doivent faire face à la fragmentation des ressources disponibles en différents espaces et différents formats (voir § 1.3.3). En effet, en dépit de la forte présence de ressources numériques, les impressions et photocopies des ressources sont toujours importantes (Khaneboubi, Roux-Goupille, Maitre, & Le Hénaff, 2017).

Le travail avec et sur les ressources implique une organisation de celles-ci. Cette organisation est propre à chacun et nous avons vu que la forme des ressources influence directement les choix d’organisation de l’enseignant.

33 Logiciel malveillant qui prend en otage des données personnelles ou professionnelles et réclame une rançon pour les restituer.

Concevoir

Cette section s’intéresse à la troisième famille de situations d’interactions des enseignants avec les ressources, celles où ils conçoivent de nouvelles ressources, que nous appelons situations de conception. Les situations de conception des ressources ont été fréquemment observées dans le programme ReVEA. Nous distinguons deux composantes de ces situations : la collecte de ressources et la production. Nous montrons enfin comment ces situations sont sensibles au format des ressources.

La situation de collecte est une composante fondamentale des situations de conception, elle se caractérise par la sélection de ressources ou d’élément(s) d’une ressource en vue de mettre à jour ou concevoir un enseignement. Les situations de collecte ont été particulièrement étudiées par le programme ReVEA (tâche 5), dans le but de comprendre quels facteurs influencent la prise de décision des enseignants lors de la sélection des ressources. Une modélisation par discipline n’a pas pu être obtenue, mais trois catégories de facteurs ont été identifiées (Baron, Bento, & Riquois, 2016) : les facteurs individuels et relationnels (ancienneté dans le métier, goût personnel, activité collective), les facteurs didactiques et pédagogiques (contexte d’enseignement, savoir scientifique en jeu, intention assignée à la ressource, préconisations institutionnelles), et les facteurs contextuels (contrainte matérielle, critère marchand, territorial).

Les situations de production de ressources recouvrent toutes les situations où l’enseignant s’approprie les ressources sélectionnées pour les transformer, les modifier, et les adapter à son besoin afin de créer sa propre ressource.

« Les médias créés par les enseignants mêlent plusieurs sources. Les contenus ont souvent été élaborés à partir, soit de cours déjà créés et archivés sur les machines des enseignants (ordinateur portable, clé USB), soit à partir de cours téléchargeables sur Internet. Les contenus ont été complétés par des recherches aléatoires sur Internet, en tapant l'intitulé exact dans le moteur de recherche Google, sans que l'on puisse identifier, de manière précise, une “source particulière” » (Baron et al., 2018 p. 39).

Les situations de production aboutissent le plus souvent à une ressource composite qui associe des éléments de différentes provenances ainsi que des apports originaux de l’enseignant. Nous distinguons deux variantes dans cette situation : le recyclage des ressources déjà produites par l’enseignant, et la création d’une ressource pour un nouvel enseignement. Les situations de recyclage correspondent le plus souvent à l’actualisation d’un cours d’une année sur l’autre, mais aussi à la reprise d’une ressource pour l'adapter à un autre niveau d’enseignement sur le même contenu (fréquent dans les approches spiralaires34 ou pour des sessions de révision). Les situations de création d’une nouvelle ressource correspondent le plus souvent à la conception d’un nouvel enseignement dû soit à une modification du programme scolaire (voir § 1.3.2), soit à l’attribution d’un niveau d’enseignement que l’enseignant n’a jamais assuré, ou après de nombreuses années. Dans la situation de création, l’enseignant est amené à consulter davantage de ressources externes à son système de ressources. Cette situation est probablement beaucoup plus chronophage que la situation de recyclage.

Les situations de conception sont sensibles à la forme des ressources sollicitées. La mobilisation de ressources numériques implique des possibilités et des contraintes différentes de la mobilisation de ressource papier. Le format de la ressource, ainsi que ses affordances - définies comme les propriétés de l’environnement et des objets qui s’y trouvent, propriétés qui, lorsqu’elles sont perçues, permettent de savoir comment agir dans un contexte donné (Gibson, 1986) -

34 Initialement pensé par Bruner (1960), la progression en spirale consiste à revenir sur les connaissances acquises précédemment en les enrichissant, en ajoutant à chaque fois des informations plus détaillées. La plupart des programmes scolaire ont intégré ce principe.

conditionnent les possibilités d’actions de l’enseignant sur cette ressource pour la transformer et l’adapter (format verrouillé, conservation de la mise en page d’un format à l’autre…). Les interactions en jeu dans les situations de conception de ressources sont donc conditionnées autant par les intentions de l’enseignant que par les caractéristiques propres à chaque ressource.

Partager

Cette section s’intéresse à la quatrième catégorie de situations d’interactions des enseignants avec les ressources, celles où les enseignants partagent leurs ressources. Cette catégorie d’interactions concerne principalement la dimension collective du travail des enseignants.

Nous différencions les situations de partage qui se déroulent au sein de l’établissement d’affectation de l’enseignant, et celles qui se déroulent à l'extérieur. Le programme ReVEA a suivi le travail collectif d’enseignants dans ces deux situations (tâche 3 et tâche 4). Les collectifs suivis sont considérés comme des communautés de pratique, au sens de Wenger (1999), puisque leurs membres partagent un répertoire commun de ressources.

Les situations de partage de ressources qui se déroulent au sein de l’établissement concernent majoritairement les élèves et l’équipe disciplinaire de l’enseignant. Le questionnaire diffusé auprès des professeurs de lycée Bretagne (Gueudet et al., 2018) indique que plus d’un enseignant sur 2 partage ses ressources avec ses collègues. Ainsi, certains professeurs de sciences de lycée mettent en commun les fiches de travaux pratiques dans le laboratoire. Cependant, ils sont seulement ¼ à déclarer utiliser les ressources partagées par leurs collègues. Il est surprenant de constater un usage si faible alors que des ressources sont disponibles.

Les situations de partage de ressources étudiées dans ReVEA qui se déroulent hors de l’établissement scolaire (Trouche, Restrepo, Quentin, & Sabra, 2014) concernent des collectifs disciplinaires associatifs un groupe du GFEN langue (Groupe Français d’Education Nouvelle) -, institutionnel - un groupe de travail d’un IREM-, ou académique - Groupe d'Intégration Pédagogique des Usages du Numérique en Bretagne. L’engagement des enseignants dans des collectifs semble aussi influencer leur pratique individuelle.

Loin d’être exclusives les unes des autres, les familles de situations d’interactions avec les ressources énoncées dans cette partie - accéder, organiser, concevoir et partager - sont complémentaires et s’entremêlent le plus souvent les unes aux autres. Pour exemple, les situations d’organisation viennent souvent s’intercaler dans les situations de conception. Dans la présentation des résultats (chap. 5, 6 et 7), nous analyserons en détail certaines de ces situations à la lumière des données collectées sur le terrain.

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