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Chapitre 5. Cas d’étude n° 1, Marie

5.2. Le schème d’action documentaire ‘préparer une leçon’

5.2.1. Première préparation de leçon (Ma1)

Le premier film a été réalisé en avril 2017 grâce au dispositif d’auto-captation du travail documentaire (§ 3.1.3), lorsque Marie a préparé la leçon sur la programmation pour sa classe de 3e. La préparation a été filmée en une seule session de 116 min (transcription disponible en annexe 17). Nous avons également collecté les ressources utilisées par la professeure (annexe 18) et la ressource qu’elle a produite (annexe 19). Il s’agit d’une nouvelle leçon puisque l’algorithmique est une notion introduite au programme de mathématiques du collège avec la réforme de 2016. Le thème n’est cependant pas complètement nouveau pour Marie puisqu’elle a déjà fait une séquence sur la programmation avec sa classe de 6e quelques semaines plus tôt dans le cadre d’un projet de liaison CM2-6e. Nous commençons par décrire le répertoire des ressources impliquées dans la

situation, puis nous présentons les principales étapes de la préparation de la leçon. Enfin, nous mettons en évidence les caractéristiques du schème ‘préparer une leçon’ dans cette situation particulière.

Répertoire de ressources

Pour préparer la leçon, Marie mobilise différentes ressources documentaires : les deux fichiers qu’elle a déjà réalisés sur le thème de l’algorithmique pour sa classe de 6e dans le cadre d’un projet de liaison CM2-6e (annexe 18-1), une leçon sur la programmation en 3e donnée par un collègue, des manuels scolaires de cycle 4 (Myriade, MathMonde et Transmath, annexe 18-2 à 18-4) et la version en ligne du manuel Sésamath cycle 4 qui est aussi le manuel utilisé en classe par les élèves. Toutes ces ressources sont des ressources curriculaires (§ 2.2.1).

Les ressources utilisées par Marie ne se limitent pas à la documentation qu’elle consulte. Dans la situation Ma1, préparer une leçon implique également d’utiliser un ordinateur et des logiciels. Ces derniers répondent à différents besoins. Les logiciels de traitement de texte Microsoft Word et LibreOffice sont utilisés pour rédiger la leçon. Le logiciel de programmation par bloc Scratch a une double fonction : d’une part il est l’objet de la leçon puisque les élèves doivent apprendre à le manipuler, d’autre part il est utilisé pour saisir et tester les exercices de programmation qui seront ensuite intégrés à la leçon. Le logiciel FS Capture sert à faire des copies d’écran, en particulier des programmes saisis dans Scratch, qui sont ensuite collées sous forme d’image dans le logiciel de traitement de texte. Enfin, Marie utilise un navigateur pour aller sur Internet (consultation de sa boîte mail pour retrouver la ressource envoyée par son collègue et recherche d’un exercice sur le site de Sésamath).

Les étapes de la préparation

Nous nous sommes inspirée du travail de Trouche, Gitirana, Pepin, Miyakawa, & Wang (2019) pour structurer la préparation de la leçon en fonction de nos choix théoriques. La situation est représentée schématiquement (Figure 5-5). Il s’agit de décrire les différentes interactions entre l'enseignante et les ressources qu’elle mobilise. Les différentes couleurs correspondent aux quatre familles d’activités du travail documentaire identifiées au § 1.3.1 : en marron accéder, en vert organiser, en bleu concevoir et en rouge partager. Nous proposons un découpage de la situation (Figure 5-5) en fonction des différents sous-buts identifiés lors de la préparation. Ils sont au nombre de cinq : (1) prise de connaissance de l’ensemble des ressources déjà disponibles sur ce thème, qu’il s’agisse de ressources produites par Marie, données par un collègue ou déjà repérées dans un manuel ; (2) commencer la conception à partir de ses propres ressources complétées avec des définitions issues du manuel Myriade ; (3) relire ce qui a déjà été écrit et rechercher des ressources complémentaires ; (4) poursuivre la conception de la leçon ; (5) préparer une activité bonus pour les élèves les plus rapides.

Dans la première étape, Marie va chercher les ressources qu’elle a déjà produites sur ce thème pour le projet CM2/6e, la ressource envoyée par mail par un collègue et les lit attentivement. Elle consulte également le manuel Myriade. Une des limites du dispositif d’auto-captation est l'impossibilité de savoir ce qui a été réalisé avant et après la captation vidéo. Il semble bien que Marie ait déjà pris connaissance du manuel Myriade, car elle reconnaît immédiatement la définition d’un algorithme issue de ce manuel sur la ressource de son collègue.

La deuxième étape est une étape de sélection des activités de 6e qu’elle souhaite réutiliser. Afin de les adapter au niveau 3e, elle ajoute des éléments de définition issus du manuel Myriade. Elle souhaite que les élèves acquièrent des notions théoriques sur la programmation. Elle tente au départ de faire un copier-coller de la définition présente sur la ressource de son collègue, mais face aux difficultés de mise en forme, elle y renonce et décide de recopier la définition à partir du manuel (voir § 5.3.4). Elle fait également plusieurs copier-coller des activités déjà mises en œuvre avec pour le cycle 3 (liaison CM2/6e).

La troisième étape est centrée sur la recherche de nouvelles ressources. Marie s’appuie exclusivement sur les manuels scolaires de cycle 4, à l’intérieur desquels elle consulte le chapitre sur l’algorithmique et la programmation. Cette étape prend fin avec la sélection d’un exercice dans le manuel Mathmonde. Celui-ci est alors intégré dans la fiche élève (étape 4) par le détour du logiciel Scratch où Marie saisit les instructions du programme. Elle les copie-colle ensuite dans la fiche élève à l’aide d’un logiciel de capture d’écran et teste le programme. Elle complète ensuite les consignes de l’exercice par une définition.

Dans la dernière étape, Marie décide d’ajouter une activité complémentaire pour les élèves les plus rapides à partir d’un exercice de type brevet qu’elle va chercher dans la version en ligne du manuel Sésamath. Cette étape se clôture sur l’impression de la fiche de travail.

Tout au long de la préparation, Marie relit régulièrement la fiche de travail (voir annexe 19) et modifie ou ajoute des consignes. Un temps important est également dédié à la mise en page et à l’harmonisation de la présentation des exercices.

Caractéristiques du schème ‘préparer une leçon en algorithmique’

À partir de nos analyses, nous avons identifié les composants du schème ‘préparer une leçon’ associé à la situation Ma1 : un but et des sous-buts, des règles d’action de prise d’information et de contrôle et des invariants opératoires.

Le but principal de ce schème est de concevoir une nouvelle leçon. Il se décompose en cinq principaux sous-buts :

• Vérifier quels sont les éléments pertinents à reprendre parmi les ressources déjà disponibles ;

• Définir clairement les objectifs de la leçon ;

• Concevoir une nouvelle ressource à partir des informations sélectionnées dans les ressources consultées ;

• Adapter les consignes et les exercices en fonction des objectifs ; • Trouver des exercices complémentaires pour atteindre les objectifs ; • Garder la trace du travail réalisé.

Les règles d’action de prise d’information et de contrôle de la situation Ma1 sont entremêlées, mais permettent de définir le mode opératoire qui guide l’activité. Les nombreux temps de relecture sont autant de moments de contrôle et de prise d’information, mais ils sont souvent silencieux. Les règles d’actions sont plus facilement remarquables. Marie commence par faire le bilan des ressources disponibles sur l’algorithmique. Si des éléments de la ressource correspondent à ce dont elle a besoin, alors elle décide de les réutiliser. Cette phase de sélection est liée aux objectifs de la leçon que Marie redéfinit régulièrement. Les principaux paramètres qui modulent la définition d’objectifs sont le niveau des élèves, le programme scolaire, l’examen du DNB et les ressources qu’elle consulte. Ensuite, Marie transforme et adapte les consignes recopiées en fonction de ses objectifs. Afin que le cours soit clair pour les élèves, Marie harmonise la mise en page et la

présentation de la leçon tout au long de la conception. Afin de garder la trace de son travail, elle enregistre régulièrement le fichier en cours d’élaboration. Enfin, lorsqu’elle considère que la leçon est terminée, elle l’imprime.

Le mode opératoire est guidé par des invariants opératoires. Dans la perspective de notre problématique, nous nous focalisons principalement sur les invariants opératoires liés à l’expertise documentaire.

a/ Produire ses nouvelles leçons sur l’ordinateur permet à Marie de constituer une collection de ressources disponibles et gagner du temps lors des prochaines préparations. Cet invariant n’est pas explicité pendant la situation Ma1, mais un extrait de l’entretien de prise de contact (Extrait 5-10) met en évidence le gain de temps et de qualité générés par la production numérique des ressources.

Extrait 5-10 : Entretien prise de contact, Marie, mai 2016, 37’54’’

[38:30 Marie] : Je ne conçois pas de ne pas travailler avec du numérique. Enfin ça me parait. J'en discutais avec une copine qui est instit, qui me disait, elle est remplaçante, j'ai du boulot, j'ai du boulot, je fais des trucs et tout. Je lui dis : ouais, mais tu les auras pour l'année d'après. Mais non je jette. Cette nana, elle tape tout sur l'ordinateur, elle imprime et elle ne sauvegarde rien ! Elle se sert d'un ordinateur comme d'une machine à écrire. T'imagines ? Et en fait je me rends compte qu'il y a des instits, pour moi c'est tellement une évidence et je me rends compte qu'il existe encore des enseignants, alors est-ce que c'est plus dans le premier degré que dans le second degré je n’en sais rien, il existe des enseignants qui encore euh tu vois travaille comme ça ! Moi je ne conçois pas. Moi tout est sur l'ordinateur euh donc mes activités Internet pour tout ce qui est recherche de nouveautés et tout ça puis après voilà ! Je sauvegarde, je stocke, d'une année sur l'autre je reprends certaines parties, fais des copier-coller, je modifie euh je voilà. Tout est basé là-dessus. Tout est basé là-dessus. »

b/ Une nouvelle leçon s’appuie sur des éléments de cours présents dans des leçons déjà produites l’année en cours ou les précédentes. Nous observons cet invariant dans les différentes interactions avec les ressources de la situation Ma1 et il a également été formulé par Marie dans plusieurs entretiens (Extrait 5-1, Extrait 5-7 et Extrait 5-9)

c/ Utiliser plusieurs manuels scolaires offre une plus grande variété d’exercices et de manières de présenter une notion. Cet invariant n’est jamais explicité par Marie, nous l’inférons de l’analyse de la situation Ma1 puisqu’elle consulte plusieurs manuels pour choisir un exercice. Dans les moments de lecture des ressources consultées, Marie est silencieuse, il est donc difficile de savoir comment elle analyse ces ressources.

Extrait 5-11 : Situation Ma1, Marie, avril 2017, 12’45’’

[12:45 Marie] Alors j’aimerais partir sur ce que j’ai fait avec les 6e pour que, ils apprennent à utiliser les boucles tout seuls, sans forcément que j’explique ce que c’est qu’une boucle. Ce qui me manque dans ce que j’ai fait avec les 6e c’est toute la partie euh discussion échange entre le lutin et la personne qui est face à l’ordinateur, qui n’est pas du tout dans les parties que j’ai faites. d/ Les exercices sont sélectionnés en fonction de ses objectifs (Extrait 5-11), du programme scolaire (Extrait 5-10), du type d’exercice qu’il peut y avoir à l’examen du brevet des collèges (Extrait 5-12).

Extrait 5-12 : Situation Ma1, Marie, avril 2017, 70’54’’

[01:10:54 Marie] Donc là je vais prendre un exercice qu’on peut avoir pour le brevet et ne pas les faire manipuler ou alors les faire manipuler après coup »

f/ Un dernier invariant fort identifié pour le schème préparer une leçon en algorithmique concerne la manière de faire travailler les élèves : pour les élèves de 3e ce n’est pas suffisant de manipuler, ils ont aussi besoin de théorie (Extrait 5-13). Marie distingue deux manières de faire suivant le niveau des élèves. Pour les élèves de 6e, la manipulation du logiciel suffit, conformément aux instructions officielles, mais les élèves de 3e ont besoin de théorie.

Extrait 5-13 : Situation Ma1, Marie, avril 2017, 05’17’’

[05:35 Marie] C’est-à-dire autant avec les 6e j’ai vraiment fait quelque chose de très manipulation, avec aucun texte, aucune explication, aucune leçon entre guillemets. Dans les textes sur Eduscol c’est vraiment dit que ça doit se faire par manipulation du logiciel, qu’il n’y a pas de leçon à entériner spécifique sur ce qu’est un algorithme, sur les boucles et tout ça. Maintenant je me dis qu’avec des 3e, vu qu’ils ne l’ont jamais fait, que ça va tomber au brevet, et tout ça. Peut-être ça vaut quand même le coup de leur donner quelques notions de base. 

Dans la situation Ma1, Marie mobilise un nombre important de ressources : les ressources produites pour le projet CM2/6e, plusieurs manuels scolaires (Myriade, Mathmonde, Transmath et Sésamath), la ressource d’un collègue qu’elle lit à deux reprises, et le logiciel Scratch. Si une partie de sa leçon s’appuie sur des exercices qu’elle avait déjà utilisés pour le cycle 3, l’essentiel des nouveautés provient des manuels scolaires. On peut noter une prédominance de la collection Myriade qui est systématiquement prise comme référence pour définir les notions de l’algorithmique. La leçon produite s’apparente ainsi à un processus de recomposition que nous pouvons qualifier de genèse documentaire. L’analyse met en aussi en lumière la redocumentarisation effectué pour créer le nouveau document : à partir du travail réalisé pour un autre niveau et d’extraits de manuels scolaires, Marie bâtit une nouvelle ressource adaptée au nouveau contexte d’enseignement (public, programme, examen du DNB). Nous soulignons également le rôle des ressources matérielles dont elle dispose : un traitement de texte pour mixer du texte et de l’image, un logiciel de programmation (Scratch) et un logiciel pour transformer les programmes en images intégrables dans le traitement de texte (FS Capture). La maîtrise de ces ressources technologiques est consubstantielle du processus de genèse documentaire.

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