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Chapitre 5. Cas d’étude n° 1, Marie

5.1. Analyse du système de ressources de Marie

5.1.3. Circulations des ressources

Le système de ressources précédemment décrit est un système dynamique en constante transformation. Il nous paraît donc essentiel d’étudier la circulation des ressources selon trois axes : les circulations physiques entre les espaces de travail (domicile-collège), les entrées-sorties du système de ressources et les circulations qui s’accompagnent d’une transformation des ressources. Les différents espaces de travail ont déjà été évoqués au paragraphe précédent : le domicile de l’enseignante et le collège. Il apparaît que l’usage de certaines ressources est sédentaire alors que d’autres usages impliquent une mobilité des ressources.

Parmi les ressources sédentaires, il y a les manuels scolaires envoyés par les éditeurs, les revues et les livres de mathématiques qui restent dans la bibliothèque de Marie. L’ordinateur portable de Marie reste également dans son bureau. Côté collège, Marie imprime tous ses cours pour les photocopier et les distribuer aux élèves. Elle en conserve systématiquement un exemplaire qu’elle range dans le classeur du niveau d’enseignement concerné. Les classeurs sont dans l’armoire de la salle de classe où elle donne la majorité de ses cours. Il s’agit donc là encore de ressources dont l’usage est sédentaire, mais qui sont stockées hors du domicile de l’enseignante. Ce stockage délocalisé s’explique par la volonté d’archiver et de conserver les ressources produites sur un support pérenne (Extrait 5-4).

Les usages nomades des ressources sont une conséquence de la dissociation des espaces de travail entre le domicile et le collège. Le cartable est l’objet emblématique de cette dissociation. Parmi les ressources qui circulent d’un espace à l’autre, il y a d’abord les ressources de référence que Marie

nomme documents ressources dans la CRSR (Extrait 5-3). Marie peut en avoir besoin à tout moment et préfère donc s’en garantir l’accessibilité permanente.

Ensuite, Marie transporte également les manuels des différents niveaux d’enseignements dont elle a la charge. Ces manuels sont utilisés au domicile de l’enseignante pour préparer les cours et au collège au moment de la mise en œuvre en classe. Son cartable comporte aussi des copies d’élèves qu’elle transporte d’un espace à l’autre car la correction à principalement lieu au domicile. Une autre conséquence de la multiplicité des lieux de travail est que les différents ordinateurs utilisés par Marie n’ont pas d’espace de stockage commun. Cela implique que pour transporter ses ressources numériques de son domicile (préparation) au collège (pour la mise en œuvre), elle utilise un support de stockage intermédiaire, les clés USB, qui occupent une place cruciale dans son système de ressources.

Extrait 5-5 : Entretien visite guidée des ressources, Marie, septembre 2016, 3’21’’

[3:21 Marie] : Donc essentiellement, moi tout mon travail il est sur ma clé. Alors j'en ai 2 : une pour sauvegarder, pour être sûr de pas perdre. Ça c'est elle de l'an dernier, et ça c'est celle de cette année. Je vais te montrer celle de l'an dernier.

On pourrait se demander pourquoi elle n’utilise pas le réseau Internet et les services de stockage en ligne. Il semble que ce soit par souci d’autonomie. En effet, utiliser n’importe quel système qui passe par Internet implique d’être dépendant d’une connexion. Or, le réseau informatique de l’établissement scolaire subit plusieurs contraintes (§ 4.1.1). Les trois enseignantes suivies témoignent toutes d’une certaine méfiance quant à la fiabilité technique des technologies et d'Internet en particulier.

Le deuxième axe de circulation concerne les entrées et les sorties du système de ressources. Il semble que les sorties soient beaucoup moins fréquentes que les entrées et qu’elles concernent uniquement les ressources papier. Parmi les données collectées, Marie rapporte uniquement deux moments où elle s’est séparée de ses ressources. Le premier se passe lors du changement de programme de 2016 : elle a donné presque tous les manuels qui étaient associés à l’ancien programme et a gardé uniquement la collection qu’elle utilisait le plus fréquemment (Extrait 5-6). Elle justifie le tri par le passage de la réforme et la volonté de travailler uniquement à partir des nouveaux manuels reçus quelques mois auparavant. Bien que cela n’ait pas été évoqué, nous faisons aussi l’hypothèse que la réception d’une dizaine de manuels ait nécessité un tri afin de trouver la place pour les ranger.

Extrait 5-6 : Entretien visite guidée des ressources, Marie, septembre 2016, 0’19’’

[00’19’’Marie] : Déjà pour commencer, étant donné qu'on rentre dans la période de réforme du collège, j'ai fait du tri et j'ai enlevé tous mes anciens manuels, et je n'ai gardé que, quasiment que, enfin pas tout à fait, je mentirais, que les nouveaux manuels et les nouveaux programmes. Parce que donc j'ai conservé les anciens manuels la collection Triangle parce que c'est une collection que je trouvais déjà à l'époque je trouvais qui donnait des exercices un peu plus intéressants. Donc ceux-là je me suis dit que je pourrais assez facilement les intégrer dans le nouvel enseignement et sinon tout le reste j'ai attaqué qu'avec des nouveaux manuels.

Dans le même entretien, Marie mentionne également le tri qu’elle fait périodiquement dans les classeurs où sont dupliqués ses cours (Extrait 5-6). Marie exprime clairement la volonté de tenir à jour ses classeurs. Il nous semble qu’il lui est d’autant plus facile de jeter du papier qu’elle dispose de la copie numérique dans ses archives.

Le dernier type de sortie du système de ressources est assez différent, il s’agit des ressources qui sont partagées avec des collègues ou avec les élèves, ce type de sortie relève davantage de la duplication que d’une sortie définitive. Nous faisons cependant l’hypothèse que ces partages influencent la conception des nouvelles ressources.

Les ressources qui entrent dans le système de ressources de Marie sont beaucoup plus nombreuses et plus fréquentes. Chaque année, Marie s’appuie sur les cours qu’elle a produits l’année précédente pour les actualiser. Elle part d’une mère et la transforme pour en faire une ressource-fille. Ce principe de travail, qu’on retrouve chez beaucoup d’enseignants (Bruillard 2018, Drot-Delange, 2019), irrigue tout le système de classement de Marie. Marie décrit le processus de conception d’une nouvelle ressource comme une recomposition de plusieurs ressources issues de ses archives, des manuels scolaires et d’Internet (Extrait 5-7).

Extrait 5-7 : Entretien visite guidée des ressources, Marie, septembre 2016, 28’13’’

[28:13 Marie] En fait grosso modo, quand je vais concevoir mon cours, je vais aller chercher, dans 2015-2016 ma leçon de 3e, par exemple. Je vais l'ouvrir, je vais ouvrir mes manuels, aller sur Internet, voir ce que je modifie, ce que je ne modifie pas, ce que je garde, etc., etc. Et quand ce sera fait, mon nouveau document je l'enregistrerai dans 2016-2017, 3e, leçon.

En plus des nouvelles ressources produites très régulièrement, Marie collecte aussi des ressources produites par ses collègues (dans sa messagerie professionnelle) ou plus rarement des ressources qu’elle a trouvées sur Internet et qu’elle va utiliser sans les modifier. Il s’agit alors le plus souvent de fichier PDF (Extrait 5-8).

Extrait 5-8 : Entretien visite guidée des ressources, Marie, septembre 2016, 11’40’’

[11:40 Chercheur] : Et là il y a des documents PDF aussi ?

[Marie] : Alors ça, euh c'est effectivement. Alors pour le coup c'est effectivement des choses que j'ai trouvées telles quelles, que je n’ai pas modifiées, mais que j'ai trouvées sur Internet au gré de mes navigations et que je ne suis pas sûr de retrouver exactement la fois d'après. Donc tout ce qui est fiches d'exercices tirées d'un manuel si je le prends tel quel si je sais que le manuel c'est toujours, j'ai l'habitude de l'utiliser je vais aller le retrouver, je ne vais pas le sauvegarder. Par contre si c'est un truc que je trouve comme ça en cherchant quelque part sur Internet, celui-là je vais le sauvegarder.

Le dernier axe concerne la circulation des ressources à l’intérieur du système de ressources de Marie, circulation qui implique un changement de forme et/ou un changement de lieu. Tout d’abord, il y a tout un jeu de transformation des ressources qui fait partie des genèses documentaires. Revenons sur l’exemple d’une ressource donnée par un collège. Si au cours d’une discussion un collègue propose de lui donner une de ses ressources, Marie demande qu’elle lui soit envoyée par mail. Le fichier reste ensuite dans sa boîte mail jusqu’à ce qu’elle décide de l’utiliser pour tout ou partie dans un cours qu’elle met à jour. Et c’est seulement lorsque la ressource a été transformée qu’elle est stockée sur une de ses clés USB : l’original reste sur la boîte mail. Cet exemple met en avant le processus d’intégration progressive d’une ressource qui reste à la périphérie de son système de ressources jusqu’à ce qu’elle décide de l’intégrer avec ses propres ressources. Le processus inverse existe pour les clés USB, les plus anciennes sont repoussées vers la périphérie pour archivage, et ne sont, pour la plupart, plus jamais consultées.

Ensuite, nous observons un processus de transformation à partir des manuels scolaires. Lorsque Marie sélectionne un exercice qu’elle souhaite intégrer à sa leçon, elle va recopier les consignes

dans un logiciel de traitement de texte, éventuellement en reformuler une partie, ou bien garder le principe de l’exercice, mais en changer l’énoncé. Pour nous, il s’agit également d’une circulation de ressources qui viennent se fondre dans la fiche de travail produite par Marie. De plus, cet exemple montre comment une ressource papier subit une double transformation qui contribue à la création d’une nouvelle ressource : d’une part elle est numérisée par l'intermédiaire d’un traitement de texte, et d’autre part, elle est extraite de son contexte pour être replacée dans un contexte spécifique créé par l’enseignante (voir § 5.3.4).

Les circulations internes qui impliquent un changement de lieu sont au nombre de deux. Le premier cas observé concerne l’impression des ressources produites par Marie pour être distribuées aux élèves et stockées dans les classeurs au collège. Cela implique à la fois un changement de forme, du numérique à l’imprimé et un changement de lieu, du domicile au collège. Le second cas concerne l’archivage des ressources numériques. Marie a en permanence deux clés USB dans sa trousse, la clé qui correspond à l’année courante contient toutes les ressources de l’année scolaire en cours (n) qui sont complétées au fur et à mesure, et toutes les ressources produites l’année précédente (n-1). La seconde clé USB contient les ressources des années n-1 et n-2. Marie a conservé de cette manière toutes ses ressources depuis 2010, les anciennes clés USB sont stockées au domicile de Marie. Ainsi, les ressources les plus anciennes sont progressivement archivées et se déplacent physiquement d’une clé USB vers une autre dans la trousse de Marie, puis dans son bureau pour archivage. À l’inverse, les ressources les plus récentes, n-1 et n-2, sont copiées sur la nouvelle clé, où sont également enregistrées les nouvelles ressources créées au fil de l’année scolaire. Le changement de programme n’a pas modifié cette manière de faire, mais au lieu de partir de la ressource sur le même thème et le même niveau d’enseignement, Marie a puisé dans toutes les ressources qui traitent du même thème (Extrait 5-9).

Extrait 5-9 : Entretien visite guidée des ressources, Marie, septembre 2016, 43’09’’

[Marie] Pour te donner un exemple entre l'an dernier et cette année, le 1er chapitre en 3e il a changé. Je suis allé chercher, en fait, ce que j'avais fait l'an dernier en 3e. Il couvre sur plusieurs chapitres, la vision des choses l'an dernier, l'arithmétique, le 1er chapitre c'était la notion de diviseur, de multiple et puis derrière on abordait le PGCD. Là on a décidé de faire les choses différemment, donc on est vraiment sur la notion de diviseur, les critères de divisibilité et la division euclidienne, vraiment qui est à fond dans les nouveaux programmes. Donc je suis allée chercher sur mon cours de 3e la première partie qui était l'introduction, et donc j'ai modifié ce que j'avais à modifier, mais pas grand-chose, parce que ça me servait. Puis après, les critères de divisibilité c'est un truc que j'aborde en 6e donc je suis allée chercher sur mon cours de 6e pour rappeler aux 3e, parce qu'on va les utiliser, les critères de divisibilité, donc j'ai fait un espèce de copier-coller, avec un mélange, et je me suis servie de plusieurs trucs pour recréer mon nouveau document, dans l'esprit du nouveau chapitre qui est fait cette année.

[Chercheur] : d'accord

[Marie] : Donc en fait, je fais ça. J'ai l'impression, enfin pour le moment-là l'année c'est le début, mais que les choses ont été modifiées comme ça. C'est la manière d'imbriquer les choses. Les notions en elles-mêmes, il y a quelques nouveautés, mais il n'y en a pas tant que ça, mais par contre la manière de les imbriquer est différente. Donc là quand je fais ma:: nouvelle leçon, enfin mes nouvelles leçons, là c'est ce que j'ai fait. Je vais aller chercher, ouvrir tous mes anciens documents qui sont en lien avec tout ce qui est dans la nouvelle leçon et la manière de le présenter, et je vais partir de ça. En tout ça, ça va être ma base de travail pour faire mon nouveau chapitre.

Le système de ressources de Marie fonctionne sur un double mode d’accumulation et de collection. La dimension cumulative est visible dans la duplication et l’enrichissement des cours d’une année sur l’autre. En revanche, très peu de ressources sont éliminées. Le système de ressources est en croissance puisqu’il cumule l’ensemble des ressources créées ou acquises au fil du temps. Cependant, la quantité de ressources actives, c’est à dire réellement utilisée pour mener les activités d’enseignement augmente peu, c’est essentiellement la partie archivée qui croît. Pour s’y retrouver, Marie a mis en place des repères puisque la plupart de ses ressources sont organisées en collections. En ce qui concerne les ressources papier, nous avons identifié une collection de manuels scolaires et une collection de classeurs. Dans les deux cas, le premier critère de classement est le niveau d’enseignement concerné. Pour les ressources numériques, les collections contenant les cours sont organisées dans des répertoires, d’abord par année scolaire puis par niveau d’enseignement. Autour de cette structure de base, il existe aussi des collections créées en fonction des besoins (cf. annexe 24 : évolution de l’organisation du répertoire 2016-2017) comme pour les responsabilités autres que l’enseignement : coordination de l’équipe de mathématiques, projet de classe ou encore professeur principal. Le système de ressources de Marie apparaît donc comme fortement structuré et très dynamique.

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