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Chapitre 3. Conception de la méthodologie

3.2. Positionnement du chercheur et éthique

3.2.2. Prendre en compte les questions éthiques

La prise en compte des questions éthiques est également essentielle dans la relation au terrain. Elle intervient dès la conception de la recherche et interroge les aspects relatifs à la collecte et au traitement des données tout comme les implications de la recherche. Pour chacune des deux perspectives, nous détaillons les enjeux éthiques qui se sont posés à nous et les solutions que nous avons mises en place afin d’y répondre.

La collecte et le traitement des données

Notre étude impliquant des participants humains, deux points sont importants pour la collecte des données : obtenir le consentement éclairé des participants et garantir leur vie privée. Après avoir détaillé chacun de ces enjeux, nous exposons la manière dont nous y avons répondu.

D’après le guide pour compléter l’auto-évaluation éthique du programme européen Horizon 2020 (Directorate General for Research & Innovation - European Commission, 2018), recueillir le consentement éclairé des participants implique de les informer sur les buts, les méthodes et les implications de la recherche ainsi que sur les avantages et les risques encourus. La notice d’information doit également indiquer comment les données seront collectées et protégées pendant le projet, de même que leur durée de conservation.

Ensuite, la question de la protection de la vie privée est souvent entendue au sens de la confidentialité et de l’impossibilité d’identifier les participants (anonymisation ou pseudonymisation), mais elle relève également du cadre législatif. En France, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés encadre la collecte et le traitement des données à caractère personnel. Depuis le 31 mai 2018, elle est consolidée par le règlement général pour la protection des données (RGPD), en application de la directive européenne 2016/679. Afin de bien comprendre ce qu’englobe la protection de la vie privée, il convient de définir ce que recouvre une donnée à caractère personnel :

« Toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable (ci-après dénommée «personne concernée») ; est réputée être une «personne physique identifiable» une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu'un nom, un numéro d'identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale » (RGPD, 2018, article 4.1). Ainsi, les données enregistrées en audio ou en vidéo entrent dans la catégorie des données à caractère personnel. Cela englobe les entretiens avec les enseignants, mais aussi les observations en classe. Quatre mesures ont été prises pour répondre à ces enjeux : la signature d’autorisations de captation et d’exploitation de l’image, la garantie de la confidentialité, la sécurisation de l’accès aux données et la mise en place d’un contrat méthodologique (Sabra, 2016).

Du point de vue du droit à l’image, chaque enseignant a signé une autorisation de captation audiovisuelle et d’exploitation rédigée en concertation avec les services juridiques de l’ENS de Lyon (Annexe 1-1). Afin d’enregistrer les observations en classe, des autorisations ont également été signées par le chef d’établissement, les parents d’élèves et les élèves des classes visées (Annexes 1-2 et 1-3). Les quelques élèves qui ont refusé d’être filmés ont été placés hors champ lors des enregistrements.

La garantie de la confidentialité est une question épineuse du fait que les enseignants suivis exercent ou ont exercé dans le même établissement que nous. Pour traiter cette question, nous distinguons l’enquête exploratoire par questionnaire et le suivi longitudinal. Le questionnaire exploratoire a été diffusé à l’ensemble des enseignants du collège et a été conçu pour collecter les données de manière anonyme. Seuls les enseignants volontaires pour participer au suivi longitudinal étaient invités à laisser leur nom afin d’être contactés. La confidentialité des données issues du suivi longitudinal est plus complexe à garantir. L’anonymisation, c’est-à-dire la modification du contenu ou de la structure des données afin de rendre impossible la ré-identification, et ce de manière irréversible, n’était pas une solution envisageable. Nous avons donc opté pour la pseudonymisation, c’est-à-dire le remplacement d’un identifiant par un pseudonyme - un autre prénom. Cette technique permet la ré-identification et l’étude des corrélations qui sont nécessaires pour les besoins de l’étude. Par ailleurs, les images fixes et animées rendues publiques ont fait l’objet d’un traitement spécifique pour masquer toutes les informations à caractère personnel.

La question de la sécurisation de l’accès aux données s’est surtout posée en lien avec le développement de la plateforme AnA.doc (voir § 3.5.3 pour une présentation détaillée), dont un des objectifs est le stockage et le partage des données issues du travail documentaire des enseignants et en particulier les vidéos. Pour atteindre son objectif, cette plateforme est accessible sur Internet. Elle est hébergée sur un serveur de l’ENS de Lyon et afin d’en sécuriser l’accès, une double authentification est nécessaire. Seuls les chercheurs du projet ReVEA ont des codes d’accès et nous comptons sur la déontologie professionnelle de chacun pour en garantir la confidentialité. Enfin, pour répondre aux enjeux du consentement, nous empruntons à Sabra l’expression contrat méthodologique qu’il a forgée à partir du contrat didactique de Brousseau (1998) et qu’il définit comme « un ensemble d’attentes mutuelles entre le chercheur et l’acteur, essentiellement implicites, à propos d’une activité, individuelle ou collective, liée à l’enseignement des mathématiques » (Sabra, 2016, p.62). Nous reprenons à notre compte l’objectif d’explicitation des attentes mutuelles entre le chercheur et l’acteur, mais pour nous le contrat méthodologique a une portée différente : ce sont toutes les activités du travail documentaires qui sont concernées par le contrat, quelle que soit la discipline d’enseignement du professeur. En outre, en explicitant les attentes du chercheur, le contrat méthodologique informe chaque participant des objectifs de la recherche, de son périmètre et des méthodes de collecte des données (Annexe 2). En le signant, le participant donne ainsi son consentement éclairé. Le contrat méthodologique, tel que nous l’avons proposé, intègre aussi l’incertitude propre à la démarche de recherche : après une année de suivi, une nouvelle version intégrant les évolutions de notre question de recherche a été soumise à chaque enseignant lors d’un entretien individuel. Pour la signature du premier contrat, nous avions réuni les trois enseignants pour une réunion de présentation au cours de laquelle ils ont pu poser toutes les questions qu’ils souhaitaient. Ainsi chaque élément du contrat a pu être explicité à l’oral avant signature.

Selon nous, l’ensemble des mesures prises en amont pendant et après la recherche sont à même de répondre aux enjeux éthiques sur la collecte et le traitement des données.

Les implications de la recherche

La seconde perspective sur les enjeux éthiques concerne les implications de notre recherche. Deux aspects sont questionnés : l’impact de la recherche sur les enseignants participants au suivi longitudinal et les contreparties possibles pour les volontaires.

Notre étude ne concerne ni des questions de santé ni des personnes sensibles ou ayant subi un traumatisme, aussi les impacts psychologiques sur les participants sont-ils limités. Cependant, travailler sur le développement professionnel des enseignants avec un suivi sur plus de deux ans, a sans doute des conséquences sur les personnes impliquées. Bien que l’objectif de notre étude ne soit pas de promouvoir le développement professionnel des enseignants suivis, la mise en œuvre des principes de l’investigation réflexive y contribue probablement. Ainsi, lors des entretiens, chacun des enseignants a émis au moins une fois un jugement négatif sur la manière dont il organise ses ressources, souvent hors micro, et a procédé à une réorganisation de ses ressources avant ou à la suite d’une rencontre avec le chercheur.

Autre point sensible, la question des contreparties données aux personnes volontaires pour participer à l’étude. En tant que chercheur en sciences humaines et sociales, la contribution des participants est indispensable à l’éclairage de notre question de recherche et il est légitime de se demander ce qui pousse les volontaires à accepter d’investir du temps dans la recherche, d’autant qu’ils expriment souvent de la gratitude à l’issue des entretiens. Plusieurs hypothèses sont possibles : la curiosité et l’envie d’en savoir plus sur la question étudiée, le plaisir de rendre service, ou encore la conviction de servir l’intérêt général. Compte tenu de notre situation particulière, nous n’excluons pas que notre capital sympathie ait également influencé positivement les enseignants volontaires. Nous n’avons pas de réponse à ces questions et, à notre connaissance, il n’y a pas d’étude francophone qui amène des éléments. Cependant, au vu de l’investissement demandé pendant plus de 2 ans aux trois enseignants choisis pour le suivi longitudinal, la question des contreparties est cruciale. Le contrat méthodologique (Annexe 2) formalise deux contreparties différentes.

La première est une contrepartie financière d’une dizaine d’heures supplémentaires par an financée par l’Institut Français de l’Éducation (IFÉ). En effet, un des rôles de l’IFÉ est de favoriser la recherche participative en associant les enseignants aux différentes recherches qu’il soutient. Bien que symbolique sur le plan financier, ce geste témoigne de la reconnaissance de l’institution pour l’investissement des enseignants dans la recherche. La seconde contrepartie porte sur le partage des résultats avec les participants. Le suivi long et la confrontation des enseignants avec la matérialité de leur travail documentaire leur donnent accès à une partie des résultats de la recherche tout au long du processus de collecte.

En conclusion, notre méthodologie s’est attachée à intégrer les enjeux éthiques et à y répondre de manière à satisfaire aux intérêts de tous et de chacun. La collecte et le traitement des données sont en conformité avec les contraintes légales. Le recours au contrat méthodologique pour informer les participants et les inviter à co-construire le protocole de collecte ne relève pas seulement des considérations éthiques. C’est aussi une conséquence des principes de l’investigation réflexive. Enfin, un suivi sur le long terme ne peut pas être dénué de conséquences. Nous avons porté une vigilance particulière à tous les signes tangibles de l’impact de la participation à la recherche manifestés par les participants.

Pour un doctorant, la posture du chercheur n’est pas donnée d’emblée et sa construction est un des enjeux fondamentaux de la thèse. Nous avons décidé de mettre à profit notre fonction de professeur documentaliste en établissement scolaire pour construire notre terrain, ce qui donne à cet enjeu une coloration particulière. Cette partie a mis en lumière les moyens déployés pour asseoir notre posture de chercheur en parallèle de notre statut d’acteur de terrain. La triangulation des données pour le suivi des études de cas et pour la description du contexte informationnel du collège a permis de limiter la subjectivité du chercheur et contribuer à prendre de la distance avec un terrain très familier. La posture du chercheur implique également de considérer les questions éthiques : quelles sont les conséquences de notre recherche ? Comment les participants sont-ils informés avant de s’engager ? Quelles sont les contreparties à leur engagement ? Quels sont les procédés mis en œuvre pour protéger les données collectées et garantir la vie privée des

participants ? Toutes ces questions ont fait l’objet d’une réflexion approfondie. Nous y avons répondu sur plusieurs axes : pseudonymisation, sécurisation informatique des données, recueil des autorisations en conformité avec le droit à l’image et surtout, implication des participants dans la recherche au travers du contrat méthodologique.

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