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Chapitre 2. Croiser les perspectives didactiques et informationnelles informationnelles

2.6. Conclusion du chapitre 2

Afin de conclure ce chapitre, nous proposons une synthèse des outils théoriques qui guident notre travail doctoral (§ 2.6.1) et nous permettent de transformer notre problématique en question de recherche opérationnelle (§ 2.6.2).

2.6.1. Synthèse du cadre théorique

Le chapitre 2 présente les outils conceptuels que nous avons choisis pour éclairer notre problématique. Il positionne également le point de vue épistémologique que nous adoptons, à la croisée des sciences de l’éducation et des sciences de l’information et de la communication. L’expertise de l’enseignant est essentiellement définie par l’accumulation d’expérience et relève d’une dimension empirique. Nous assumons que l’activité est un puissant moteur du développement de l’expertise. La simple pratique de l’activité ne suffit cependant pas à faire advenir de l’expertise. Son développement est favorisé par une posture réflexive, c’est-à-dire la capacité à analyser une situation pour y prélever des informations pertinentes (Tochon, 1993) et la capacité à mettre en relation les différents aspects de son activité (Grangeat, 2013). Pour Pastré (2011), le développement professionnel nécessite que trois conditions soient réunies : une situation de discordance, un engagement du sujet dans l’action et l’élargissement de ses capacités de penser et d’agir. Alors, le sujet est à même de transformer ses connaissances et sa conduite de l’activité, c’est-à-dire qu’il va soit apprendre à faire quelque chose de nouveau, soit améliorer quelque chose qu’il sait déjà faire.

Plusieurs travaux soulignent l’importance de la nouveauté (Vergnaud, 1990 ; Rabardel, 1995), de la discordance (Pastré, 2011) ou du changement perpétuel (Dervin, 1983 ; Zhang et al., 2008) pour stimuler les processus d’adaptation et de développement des individus. Nous regroupons l’ensemble de ces situations sous le terme de situation de mutation.

Notre recherche se focalise plus spécifiquement sur l’expertise mobilisée dans les situations d’interactions avec les ressources caractéristiques du travail documentaire (Gueudet & Trouche, 2010a) : concevoir, rechercher, collecter, transformer, organiser et partager des ressources. Ces différentes situations recoupent les travaux menés sur la recherche d’information et sur la gestion personnelle de l’information. De nombreux auteurs ont proposé des modèles de la recherche d’information (§ 2.4.1), le plus souvent en considérant l’activité de recherche pour elle-même. L’originalité de notre approche est d’étudier la recherche et la gestion de l’information en considérant l’ensemble de l’activité finalisée dans le contexte professionnel de l’enseignement. La question de l’expertise implique de poser celle des connaissances de l’enseignant. Si plusieurs modélisations existent (Koehler & Mishra, 2009 ; Shulman, 1987), elles insistent sur la dimension épistémique, pédagogique et didactique et prennent peu en compte les connaissances spécifiques des cultures de l’information. Seul le modèle TPACK inclut la dimension technologique fortement imbriquée dans les TIC. Afin de proposer des hypothèses de travail sur les connaissances reliées aux cultures de l’information, nous avons analysé la littérature sur la recherche d’information et la gestion personnelle des informations. Plusieurs facteurs sont récurrents dans les modélisations : la définition des besoins d’information, les stratégies de recherche d’information et de formulation des requêtes et enfin la construction de la pertinence. Sur le plan de la gestion personnelle des informations, l’organisation du système de ressources et toutes les actions qui contribuent à son maintien impliquent aussi des connaissances spécifiques qui permettent au sujet de créer des schémas de classification et d’organiser ses collections de ressources. Ainsi, nous définissons l’expertise documentaire comme la mise en œuvre dans le travail documentaire de connaissances professionnelles issues de cinq domaines de connaissances : épistémiques, pédagogiques, didactiques, technologiques et informationnelles.

Les connaissances sous-jacentes aux activités informationnelles sont des connaissances-en-acte (Vergnaud 2011). Vergnaud fait la différence entre les connaissances-en-acte (ou invariants opératoires) et les connaissances prédicatives. (§ 2.3.2) Le schème, tel que défini par Vergnaud (1990), articule ces deux aspects de la connaissance. Les invariants opératoires (IO) sont les propositions tenues pour vraies ou pertinentes dans le cours de l’activité. Parfois les IO s’appuient sur un savoir institutionnel, c’est le cas pour les connaissances épistémiques, d’autres fois ils s’appuient sur la répétition d’une action qui s’effectue avec succès. Par exemple, repérer qu’il est possible de faire un copier-coller dans un traitement de texte, mais pas à l’intérieur d’une image. Partant de l’analyse de l’activité de l’enseignant, le schème permet d’inférer les connaissances opératoires et prédicatives effectivement mises en œuvre dans le travail documentaire, ce qui inclut les activités liées à la recherche (accéder), à la création et à la transformation de ressources (concevoir) ainsi qu’à leur utilisation (partager), auxquelles il faut ajouter la gestion des ressources (organiser). Cependant, ces différentes familles d’activités (§ 1.3.1) ne peuvent pas être mises sur le même plan du point de vue des enseignants. Concevoir et partager les ressources d’enseignement constituent la tâche principale du travail documentaire alors que rechercher et organiser les ressources relèvent de tâches secondes qui contribuent à la réalisation des tâches principales. En suivant la distinction proposée par Rabardel (1995) entre les schèmes d’usage et les schèmes d’action instrumentée, nous différencions les schèmes d’action documentaire qui sont relatifs aux tâches de conception et de transformation des ressources et les schèmes d’usage documentaire qui sont relatifs aux tâches de recherche et d’organisation des ressources.

Pour guider notre analyse, nous nous appuyons sur un modèle de l’expertise documentaire qui inclut cinq domaines de connaissances - disciplinaires, pédagogiques, didactiques, technologiques et informationnelles - et trois facteurs – la nouveauté des situations, la réflexivité, et le travail collectif - qui interagissent pour créer une dynamique de développement professionnel.

La clarification des outils conceptuels et théoriques qui sous-tendent ce travail doctoral nous permet de définir précisément nos questions de recherche et nos hypothèses de travail.

2.6.2. Questions de recherche et hypothèses

À l’issue du chapitre 1, nous avons formulé la problématique suivante (§ 1.4.1 p. 43) :

La complexité croissante des situations d’interactions avec les ressources et la responsabilité de former les élèves aux usages de l'information impliquent une maîtrise des cultures de l’information toujours plus exigeante de la part des enseignants ; or, l’institution n’assume pas pleinement son rôle de formation sur ces questions ; dans ces conditions, de quelle manière les situations

professionnelles d’interactions avec les ressources auxquelles l’enseignant fait face lui permettent-elles de développer les connaissances professionnelles spécifiques aux cultures de l’information ?

Le modèle de l’expertise documentaire que nous proposons d’éprouver dans nos travaux contribue à reformuler cette problématique en une question de recherche principale :

Comment les enseignants développent-ils l’expertise documentaire nécessaire à l’exercice de leurs fonctions dans des situations de mutation ?

Nous pouvons maintenant décliner cette problématique en trois questions spécifiques de recherche.

Question 1 : Quelles sont les composantes de l’expertise documentaire mises en œuvre dans le travail documentaire des enseignants ?

Hypothèse H1 : en observant les situations de travail documentaire d’un enseignant, il est possible de repérer des invariances dans l’organisation de ses activités, et d’identifier et caractériser des

schèmes spécifiques à son expertise documentaire et des invariants opératoires qui appartiennent à différents domaines de connaissances. Un suivi sur un temps suffisamment long devrait permettre d’observer une évolution des invariants opératoires. Notre modèle propose de catégoriser les invariants opératoires selon cinq domaines de connaissances. Nous testons son opérationnalité sur les cas étudiés.

Question 2 : Quelles sont les situations du travail documentaire qui favorisent le développement de l’expertise documentaire des enseignants ?

Hypothèse H2 : Du point de vue de l’enseignant, les situations d’interactions avec les ressources qui favorisent la réflexivité, la construction d’un sens nouveau ou bien le travail collectif sont propices au développement de l’expertise documentaire. Du point de vue contextuel, les situations de mutation favorisent ces comportements. Le fait de travailler sur un contenu nouveau ou avec des outils nouveaux pourrait jouer comme un accélérateur du développement. La rencontre d’une situation qui ne correspond pas aux classes de situations existantes amène l’enseignant à reconsidérer ses acquis, à se poser des questions et à développer de nouvelles stratégies (c’est-à-dire de nouvelles règles d’action pour un schème donné), voire de nouvelles connaissances dans une ou plusieurs composantes de l'expertise documentaire. Le travail collectif, par la décentration qu’il apporte, contribue aussi à enrichir l’expertise documentaire des enseignants.

Question 3 : Quelle est l’influence de la discipline enseignée sur le travail documentaire ?

Hypothèse H3 : Les connaissances professionnelles des enseignants sont fortement marquées par la discipline qu’ils enseignent : cela impacte le type de ressources utilisées préférablement par les enseignants et modifie leur expérience ainsi que la construction de la pertinence des situations du travail documentaire traversée. La dimension collective peut également prendre des aspects différents en fonction de la discipline enseignée.

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