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1.3. Enseignants - ressources, des situations d’interactions complexes

1.3.3. Concordances et spécificités disciplinaires

Une des forces du programme ReVEA est la diversité des terrains d’études : diversité de lieu - lycée général technologique, lycée professionnel et collège - et diversité de disciplines. Les pratiques des enseignants relevant de quatre disciplines d'enseignements ont été étudiés : STI (sciences et techniques industrielles), sciences de la physique et de la chimie, mathématiques et anglais. Des enseignements interdisciplinaires en sciences comme l’option MPS ou ISN où se croisent certaines des disciplines retenues ont également fait l’objet d’un suivi. L’étude de ces disciplines contrastées a permis de mettre en avant des caractéristiques transversales et disciplinaires. Nous allons d’abord

36Rappel : obligatoire lors de l’entrée en application de la réforme en septembre 2016, ce dispositif encourageant le travail interdisciplinaire est rendu facultatif par le gouvernement issu des élections présidentielles de mai 2017

37Le cycle 1 correspond à la maternelle, le cycle 2 comprend les classes de CP, CE1, CE2, le cycle 3 CM1, CM2, 6e

détailler les résultats communs à toutes les disciplines, puis nous présenterons les spécificités pour deux disciplines particulières, l’anglais et les mathématiques, dont le choix sera justifié dans la partie méthodologique (voir § 3.3.4).

Caractéristiques transversales

Au terme du programme ReVEA qui a duré 4 ans, il apparaît que le travail sur les ressources peut être analysé selon 3 temporalités (Bruillard, 2018). C’est d’abord un processus continu, sur le long terme, qui participe à la construction de l’identité professionnelle de l’enseignant. Ce dernier entretient un rapport intime et personnel à ses ressources, qui sont aussi un révélateur de ses valeurs. En cela, le travail avec les ressources peut être pensé en termes de trajectoire documentaire (Rocha, 2018). C’est également un processus cyclique, sur des cycles longs (année scolaire, projet pluriannuel) ou courts (mise à jour une séquence à partir de trames pré-établies). Ces différentes temporalités éclairent la complexité du travail des enseignants avec les ressources. Cependant, à partir des données collectées par les différentes équipes impliquées dans le programme, des éléments saillants se dégagent : une grande diversité de ressources mobilisées et un accroissement du temps de préparation des cours. Nous analysons ensuite les conséquences de ces résultats du point de vue des cultures de l'information.

La diversité des ressources mobilisées se traduit à la fois dans leur forme et dans leur nature. Sur le plan du format des ressources, la documentation papier occupe toujours une place de choix, que ce soit au travers des différentes collections de manuels que possèdent les enseignants et les établissements scolaires, ou par les nombreuses impressions et photocopies réalisées par les enseignants. Une différence marquante par rapport à l’étude réalisée par Liquète (2002) au tournant de 21e siècle : le déclin de l’usage des périodiques qui était central il y a 20 ans. En parallèle, la documentation au format numérique est beaucoup plus présente aujourd’hui et de nature beaucoup plus diversifiée. Le textuel et l’iconographie restent dominants, mais de nombreuses ressources logicielles sont également utilisées, pour préparer la classe (traitement de texte et PAO38), mais aussi en cours (vidéoprojection ou logiciels spécialisés en sciences notamment). Les études ReVEA s’accordent aussi pour constater la montée en puissance de la vidéo. Les outils - calculatrice, instruments de mesure, machines-outils - sont également présents en classe en fonction des disciplines enseignées. Enfin, les ressources interactives répondent au besoin d’individualisation de l’enseignement avec des bases d’exercices comme Mathenpoche ou encore les ressources de la BRNE.

L’évolution des usages vers une plus grande diversité de ressources est à corréler avec une évolution du public scolaire (voir § 1.3.2). Une des préoccupations constantes de l’enseignant est de capter l’attention des élèves d’où l’utilisation de ressources vidéoprojetées (manuel, vidéo, cours…) ou de photocopies pour encadrer les activités de lecture et d’écriture des élèves (Khaneboubi, Roux-Goupille, Maitre, & Le Hénaff, 2017).

L’accroissement du temps consacré à la préparation des cours est également un élément récurrent dans les discours des enseignants interrogés (Baron et al., 2018 ; Gueudet et al., 2018), en particulier pour la recherche et la conception des ressources. Sur le versant des situations de recherche, c’est principalement la recherche sur Internet qui est la plus chronophage. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce résultat : l’abondance des ressources disponibles rend difficile la sélection de ressources ou encore la quête de la ressource idéale. La majorité des enseignants interrogés dans ReVEA déclarent chercher sur Internet à l’aide d’un moteur de recherche. Ils sont peu nombreux à établir une liste de sites de référence (favoris). Ce point est à mettre en relation avec le contraste entre la maîtrise modeste de compétences informationnelles constatée par les études en SIC et le

sentiment d’efficacité déclaré des enseignants (voir § 1.2.2 et 1.2.3). Sur le versant des situations de conception, le processus d’assemblage, de transformation et d’adaptation des ressources peut être relativement long. L’enseignant mixe d’anciennes ressources qu’il a produites avec de nouvelles (voir § 1.3.1). La diversité des ressources évoquée précédemment laisse entrevoir la complexité de traitement de ces ressources hétérogènes. Nous pouvons également supposer que la construction d’une ressource pour les élèves doit répondre à plusieurs impératifs - institutionnel, scientifique, didactique, pédagogique - que l’enseignant doit conjuguer. De plus, au-delà de la réflexion menée sur le contenu et la structure de la ressource, les questions relatives à sa mise en page sont aussi déterminantes pour le rendu final.

Quelles sont les conséquences de ces résultats en termes de cultures de l’information ? Quelques hypothèses ont déjà été avancées. Tout d’abord, l’abondance des ressources disponibles nécessite une stratégie de recherche efficace et des critères de sélection clairement définis. Or les facteurs de sélection identifiés dans le programme ReVEA ne prennent pas en compte la maîtrise des outils et des stratégies de recherche ni la connaissance des ressources disponibles. Ensuite, l’hétérogénéité des ressources disponibles, ainsi que leur existence sous de multiples formats et à de multiples emplacements, questionnent de manière aiguë l’organisation de toutes ces ressources dans un système cohérent et encore plus la capacité à se repérer et se mouvoir au sein de ce système. La question du cycle de vie des ressources est aussi à appréhender que ce soit en termes de versionnage39, de recyclage, d’archivage ou de suppression. Enfin, est à considérer la maîtrise des artefacts techniques, médiateurs de l’interaction, qui permettent d’agir sur les ressources. Au-delà des concordances transversales, des spécificités existent pour les différentes disciplines. Les deux sections suivantes mettent en lumières les particularités propres aux enseignants de mathématiques et d’anglais.

En mathématiques

Cette section met en évidence les résultats du programme ReVEA pour la discipline des mathématiques selon trois angles de vue : le type de ressources mobilisées, les conséquences de la réforme de 2016, et les connaissances impliquées dans les situations d’interactions avec les ressources. Elle se conclut par une analyse des conséquences de ces résultats du point de vue des cultures de l'information.

À côté des instruments propres à la discipline - calculatrice, compas, équerre -, les manuels scolaires et les bases d’exercices (Mathenpoche par exemple) sont les ressources privilégiées des professeurs de mathématiques. Qu’elles soient au format numérique ou papier, il s’agit essentiellement de ressources didactisées, conçues pour l’enseignement. Les instructions officielles recommandent l’usage de ressources non didactisées dans le seul cas des enseignements de statistiques. Enfin, les logiciels spécialisés comme GeoGebra pour la géométrie dynamique ou le tableur, font aussi partie des ressources régulièrement utilisées en mathématiques.

La réforme du collège de 2016 a eu une incidence forte sur les professeurs de mathématiques avec l’introduction de l’algorithmique dans les programmes du cycle 3 et cycle 4. La majorité n’a jamais été formée à l’algorithmique et cette absence a eu au moins deux conséquences : premièrement la nécessité de trouver des ressources à la fois pour s’auto-former à cette thématique nouvelle et pour concevoir leur enseignement ; deuxièmement, une difficulté à discerner et sélectionner les ressources les plus pertinentes, faute de connaissance solide sur le sujet. Si l'institution a fortement recommandé d’utiliser le logiciel Scratch, l’appropriation de cet artefact par les enseignants a été peu accompagnée.

Sur le plan des connaissances professionnelles impliquées dans les situations d’interactions avec les ressources, les équipes du CREAD et de l’IFÉ (Gueudet et al., 2018 ; Trouche, et al. 2018) ont mis en évidence des éléments forts de culture disciplinaire40 qui interviennent dans le processus de conception d’une ressource : révision de concepts au début d’une nouvelle leçon selon une trajectoire d’apprentissage, volonté de personnaliser l’enseignement en utilisant des bases de données d’exercices numériques.

Quelles sont les conséquences de ces résultats en termes de culture de l’information ? L’épistémologie des mathématiques montre que cette discipline entretient un rapport étroit avec les notions de vérité et de preuve, rapport qui culmine dans la pratique de la démonstration. Ce rapport à la vérité et à la preuve a progressivement évolué avec l’introduction de la statistique en 2002 (Trouche, 2001). En effet, le programme aborde alors explicitement la fabrication des données chiffrées. Nous pouvons faire l’hypothèse que l’algorithmique peut aussi modifier le rapport à la vérité des enseignants. Le besoin de ressources sur un thème mal connu nous amène aussi à questionner la construction de la pertinence dans le processus de sélection (voir § 2.4.1). Sur l’aspect organisationnel, il sera aussi intéressant d’observer comment ce nouveau champ de connaissance prend place dans le système de ressources des enseignants.

En anglais

Cette section met en évidence les résultats du programme ReVEA pour la discipline anglais selon trois angles de vue : le type de ressources mobilisées, les conséquences de la réforme de 2016, et les connaissances impliquées dans les situations d’interactions avec les ressources. Elle se conclut par une analyse des conséquences de ces résultats du point de vue des cultures de l'information. Contrairement aux mathématiques, les enseignants d’anglais privilégient les ressources authentiques (ou non didactisées) comme le préconisent les instructions officielles depuis la publication en 2001 du CECRL (§ 1.1.2). En didactique des langues, une ressource authentique est définie en opposition à une ressource didactisée. Est considérée comme authentique toute ressource qui n’a pas été conçue à des fins d’enseignement. La ressource authentique « peut être écrite, audio ou audiovisuelle et elle est conçue par un locuteur natif et destinée à d’autres locuteurs natifs, sans être pourvue à l’origine d’intentions didactiques » (Mirela, 2016). Beauné, Bento et Riquois (2015), soulignent les ambiguïtés de cette notion : comment une ressource peut-elle conserver un caractère d’authenticité à partir du moment où elle est insérée dans une situation d’enseignement et d’apprentissage ? La ressource authentique est nécessairement détournée de son usage premier pour servir l’apprentissage et subit alors un processus de didactisation.

Le CECRL incite les enseignants de langues vivantes à adopter l’approche actionnelle (Bagnoli et al., 2010), un courant didactique qui découpe l’apprentissage d’une langue en champs de compétences (parler en continu, interagir à l’oral, écrire un texte, comprendre un texte écrit ou oral…) et où le contact de l’apprenant avec la langue dans des contextes réels est primordial. Dans cette perspective, les enseignants d’anglais sont à la recherche de ressources avec des locuteurs natifs et qui puissent fonctionner comme des déclencheurs de paroles pour les élèves. De fait, les ressources vidéo sont parmi les plus utilisées. Une plateforme comme YouTube offre un large choix et c’est un site de référence pour tous les enseignants d’anglais. En contrepartie, ces derniers conçoivent des ressources d’accompagnement qui permettent d’exploiter au mieux les ressources authentiques. Ce processus de didactisation est assez caractéristique des professeurs de langue. Les manuels scolaires sont aussi utilisés, mais de manière plus ponctuelle, et essentiellement pour les exercices (Le Hénaff, 2018).

La réforme curriculaire de 2016 a eu peu d’impact sur les besoins de ressources des professeurs d’anglais. En effet, les nouveaux programmes respectent les principes généraux du CECRL. Les quatre thématiques41 de travail sont la seule nouveauté, mais les entrées extrêmement larges qu’elles recouvrent laissent une grande marge d’action aux enseignants. L'inscription de la dynamique inter-langues et interculturelle a pu renforcer le travail en interdisciplinarité et la dimension collective du travail sur et avec les ressources.

Sur le plan des connaissances professionnelles impliquées dans les situations d’interactions avec les ressources, il est remarquable que les enseignants d’anglais cherchent des ressources actuelles, en particulier au lycée. Cela tient au fait qu’ils sont sensibles à la motivation et à l’implication des élèves pendant le cours : une ressource qui fait réagir les élèves sera d’autant plus efficace comme déclencheur de parole et stimulera l’expression orale des élèves (Gruson, Gueudet, Le Hénaff, & Lebaud, 2018).

Quelles sont les conséquences de ces résultats en termes de cultures de l’information ? L’utilisation fréquente de ressources non didactisées implique une préoccupation de la validité des ressources sélectionnées. À l’aune de quels critères les ressources authentiques sont-elles évaluées ? De plus, les médias anglophones sont une source très prisée, nous pouvons donc supposer que les enseignants d’anglais ont développé une certaine expertise en littératie médiatique qu’ils transmettent peut-être à leurs élèves.

En résumé, les interactions entre les enseignants et les ressources mettent en jeu des situations complexes où plusieurs facteurs interviennent : les contraintes institutionnelles, l’hétérogénéité des situations d’interactions et des ressources mobilisées, et bien sûr les compétences des enseignants. Les situations d’accès aux ressources, de conception, d’organisation et de partage sont interdépendantes les unes des autres. La diversité des ressources mobilisées soulève autant des questions sur le contenu, la forme et les contraintes techniques inhérentes à chaque ressource. Si les implications didactiques du travail sur les ressources ont bien été mises en avant par les équipes impliquées dans le programme ReVEA, l’analyse des résultats montre que de nombreuses questions liées aux cultures de l’information des enseignants sont soulevées.

1.4. Conclusion du chapitre 1 : problématique et pertinence

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