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Chapitre 2. Croiser les perspectives didactiques et informationnelles informationnelles

2.1. Développement professionnel et connaissances des enseignants

2.1.3. Forces et faiblesses des modèles des connaissances professionnelles professionnelles

Les sections précédentes ont mis en évidence la relation entre l’expérience et à la pratique dans le développement professionnel. Cependant, des connaissances professionnelles sont nécessaires pour guider l’enseignant dans ses actions et l’aider à déterminer ce qui est pertinent ou non. Nous exposons dans cette section deux modèles des connaissances professionnelles, celui de Shulman (1986, 1987) puis celui de Koehler & Mishra (2009), avant de questionner les forces et les limites de ces modèles dans les situations d’interactions avec les ressources.

Le modèle de Shulman

En 1987, Shulman s’indigne contre l’image déplorable des enseignants aux États-Unis et publie l’article Those Who Understand : Knowledge Growth in Teaching43 qui met en avant les connaissances nécessaires pour enseigner. Shulman (1986) distingue sept catégories de connaissances qu’il nomme knowledge base (Figure 2-1).

Figure 2-1 : les 7 catégories de connaissance des enseignants d'après Shulman (1986)

Les trois principales catégories concernent le contenu, la pédagogie et les connaissances pédagogiques sur le contenu.

La première catégorie concerne les connaissances relatives au contenu enseigné, CK pour content knowlege (1), nommées connaissances épistémiques par Sensevy et Amade-Escot (2007). Ces connaissances correspondent aux savoirs scientifiques que le professeur va transmettre à ses élèves : les mathématiques, le français, l’anglais, la biologie, etc. En France, la dimension disciplinaire est très importante dans la formation des enseignants qui sont recrutés avec, au minimum, une licence dans le domaine scientifique de référence. La seconde catégorie regroupe les connaissances pédagogiques générales, PK pour pedagigcal knowledge (2), qui renvoient à la gestion et l’organisation de la classe. Shulman regrette que ces connaissances soient présentées comme des techniques applicables déconnectées de leur contenu d’enseignement. Il propose donc une troisième catégorie : les connaissances pédagogiques sur le contenu, PCK pour pedagogical content knowledge, qui sont à la jonction des connaissances sur le contenu enseigné et des connaissances pédagogiques. Sensevy et Amade-Escot (2007) les assimilent aux connaissances didactiques. Le concept de PCK est introduit par Shulman pour mettre les contenus au centre de la réflexion sur l’enseignement. C’est surtout dans le domaine de l’enseignement des sciences que les chercheurs francophones se sont saisis du concept, les PCK sont alors convoquées dans les recherches en didactique (voir le numéro de RDST dirigé Kermen & Izquierdo-Aymerich, 2017). Il s’agit en effet de comprendre comment l’enseignant s’approprie le savoir scientifique pour le transformer en savoir enseigné : « It represents the blending of content and pedagogy into an understanding of particular topics, problems or issues are organized, represented and adapted to the diverse interests and abilities of learners, and presented for instruction » (Shulman, 1987, p. 8).

Le modèle de Shulman intègre quatre autres catégories (Figure 2-1). Les connaissances relatives au curriculum (4) correspondent à la fois aux programmes scolaires de la discipline enseignée et à l’ensemble des attentes institutionnelles. Les professeurs du secondaire sont chargés d’enseigner certaines notions à tel niveau d’étude, suivant une progression définie, mais ils sont aussi responsables des enseignements transversaux comme l’éducation à l’orientation, à la citoyenneté ou encore l’éducation aux médias et à l’information. Les connaissances à propos des élèves (5) consistent à connaître leurs caractéristiques socioculturelles (spécificité de chaque tranche d’âge, établissement urbain ou rural…). Les connaissances à propos du contexte éducatif (6) s’étendent du fonctionnement du groupe classe et de l’établissement jusqu’à celui de la gestion des moyens financiers de l’éducation. Les connaissances relatives aux finalités de l’éducation (7), ses valeurs, les différents courants philosophiques sous-tendent les débats et son histoire.

D’autres modèles des connaissances existent (voir par exemple Tardif, Lessard, & Lahaye, 1991), mais de notre point de vue, celui de Shulman semble être le plus précis. La typologie qu’il propose pourra être à même de nous aider à comprendre quels sont les types de connaissances mobilisées dans les situations d’interactions avec les ressources.

Le modèle TPACK

Au moment où Shulman établit son modèle, les technologies numériques en étaient encore à leurs balbutiements. Considérant leur introduction massive dans le quotidien des enseignants (§1.1), Koehler et Mishra (2009) proposent, à partir des travaux de Shulman, un modèle qui intègre les TIC qu’ils nomment TPACK pour Technology, Pedagogy, And Content Knowledge.

Koehler et Mishra ajoutent ainsi aux connaissances sur le contenu (CK) et la pédagogie (PK), les connaissances de la technologie. Leur objectif est de proposer un modèle qui aide les enseignants à intégrer efficacement les technologies numériques dans leurs pratiques d’enseignement. Les connaissances technologiques - notées TK pour Technological Knowledge - ne concernent pas la technique, mais sont centrées sur les usages :

« Persons understand information technology broadly enough to apply it productively at work and in their everyday lives, to recognize when information technology can assist or impede the achievement of a goal, and to continually adapt to changes in information technology. » (Koehler & Mishra, 2009, p.64)

Il s’agit de comprendre la portée et les implications des TIC dans les pratiques quotidiennes, mais aussi de savoir s’adapter aux évolutions constantes.

Le modèle TPACK introduit deux autres catégories qui découlent des connaissances technologiques : les TPK (Technological Pedagogical Knowledge) et les TCK (Technological Content Knowledge). Les TPK, que nous traduisons par connaissances pédagogiques des technologies, permettent d’appréhender les conséquences sur l’apprentissage et l’enseignement de l’usage d’une technologie spécifique. Par exemple ; l’utilisation d’un vidéoprojecteur en classe pour diffuser un manuel scolaire numérique a pour conséquence de focaliser le regard de tous les élèves vers le lieu de projection (souvent près du bureau de l’enseignant). Mais une autre conséquence est aussi que les élèves du dernier rang peuvent avoir du mal à lire ce qui est vidéoprojeté si l’enseignant n’a pas pris soin de vérifier la taille des caractères.

Les TCK, que nous traduisons par connaissances du contenu technologique, permettent de mesurer l’adéquation entre la technologie utilisée et le contenu enseigné. Par exemple, un logiciel de géométrie dynamique sera bien adapté pour travailler le théorème de Pythagore, mais pas pour enseigner les identités remarquables.

L'intégration des TIC par l'enseignant supposerait alors une maîtrise des TPACK, c’est-à-dire qu’il articule ses connaissances du contenu, ses connaissances pédagogiques et ses connaissances technologiques.

Avantages et limites des modélisations présentées

Le modèle de Shulman et le modèle TPACK sont intéressants, car ils proposent une typologie des connaissances professionnelles, connaissances que l’enseignant acquiert en formation initiale ou développe au fil de sa pratique. Ces connaissances professionnelles peuvent aider l’enseignant à identifier et considérer les éléments d’information pertinents dans chaque situation et adopter ainsi l’action la plus adaptée.

Cependant, les deux modèles présentés soulèvent également des questions. D’une part, la focale porte essentiellement sur les connaissances théoriques : l’articulation avec la pratique n’est pas intégrée aux modèles. Au vu de la distinction que nous établissons entre savoir et connaissance (voir § 2.3.1), la formalisation de ces connaissances par une institution en vue de former les enseignants leur donne alors un statut de savoir, déconnecté de la pratique. Cette question est aussi liée à la polysémie du terme knowledge qui en anglais renvoie aussi bien au savoir qu’à la connaissance. D’autre part, l’ajout de la dimension technologique correspond à une période d’essor des outils numériques, alors que de tout temps, les enseignants ont utilisé des outils pour enseigner et se sont adaptés aux innovations - voir les travaux sur les lanternes magiques en éducation (Nourrisson, 2011 ; Perriault, 2008) ou encore l’analyse de Baron (2013) sur les discours autour des technologies éducatives depuis la fin du 19e. Certes, l’usage des technologies numériques implique de nouvelles connaissances, mais celles-ci sont en constante évolution et les connaissances dans ce domaine peuvent rapidement être dépassées. Koehler et Mishra (2009) en ont bien conscience et de fait, ils proposent une définition qui est plus proche de la compétence - au sens où ils posent les conditions d’un usage pertinent et adapté - que de la connaissance. Dernière question soulevée par ces modèles en lien avec notre problématique sur les situations d’interactions avec les ressources (voir § 1.4) : dans quelle catégorie peut-on inclure les connaissances relatives aux cultures de l’information qui relèvent à la fois de la littératie numérique - inclue en partie dans les TK -, de la littératie médiatique et de la littératie informationnelle ?

Pour conclure cette partie, nous avons soutenu, à partir des travaux en psychologie et en sciences de l’éducation que le développement professionnel est indissociable de la pratique. Cependant la pratique seule ne suffit pas. Certes l’expertise relève d’une intelligence en situation, mais certains contextes sont plus favorisants que d’autres à son développement - rencontre d’une situation nouvelle par exemple - et une posture réflexive pendant la résolution de problème semble nécessaire pour provoquer un nouvel apprentissage. Nous choisissons donc de considérer l’expertise de l’enseignant avec un regard pluriel : l’enseignant développe une multitude d’expertises en fonction des situations spécifiques qu’il rencontre. L’expert est celui qui sait repérer dans une situation les informations pertinentes pour l’analyser et ajuster au mieux son action (Tochon, 1993). La définition des critères de pertinence est peu évoquée dans la littérature. Le modèle des connaissances professionnelles proposé par Shulman (1986 et 1987) puis enrichi par Koehler et Mishra (2009) ouvre quelques pistes pour mieux déterminer les critères qui guident l’action de l’enseignant. Cependant, les connaissances propres aux cultures de l’information ne sont pas - ou peu - intégrées dans ces modélisations. Un de nos objectifs de recherche est donc de proposer une modélisation de l’expertise documentaire des enseignants qui inclut aussi les connaissances spécifiques des cultures de l’information.

2.2. L’approche documentaire du didactique, appréhender le

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