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Observer l’activité grâce au dispositif de l’auto-captation du travail documentaire documentaire

Chapitre 3. Conception de la méthodologie

3.1. Fondements méthodologiques

3.1.3. Observer l’activité grâce au dispositif de l’auto-captation du travail documentaire documentaire

sur la veille informationnelle, car nous avons réalisé que nous disposions de très peu d’information sur cette pratique professionnelle des enseignants qui est peu formalisée. À la suite de cet entretien, nous avons demandé à chacun des enseignants de compléter un journal de bord de leur pratique de veille (Voir les consignes en Annexe 4-3) où il devait noter les ressources consultées, leur origine et ce qu’il en avait fait.

Pour conclure, l’investigation réflexive est une méthodologie qui s’appuie sur des principes robustes déjà éprouvés dans plusieurs contextes : l’enseignement des mathématiques en maternelle (Besnier, 2016), l’enseignement des sciences physiques (Alturkmani, 2015 ; Hammoud, 2012) et des mathématiques dans le secondaire (Rocha, 2016 ; Sabra, 2011 ; Tufféry-Rochdi, 2016). Elle permet d’élaborer des stratégies de collecte et d’analyse du travail documentaire qui favorisent l’accès aux processus cognitifs des enseignants qui participent à ces études. C’est également une méthodologie qui continue d’évoluer. Pour répondre aux enjeux spécifiques de notre problématique, identifier les connaissances relevant des cultures de l’information qui sont mobilisées dans le travail documentaire, nous avons développé le dispositif d’auto-captation du travail documentaire.

3.1.3. Observer l’activité grâce au dispositif de l’auto-captation du travail

documentaire

Le modèle de l’expertise documentaire présentée au § 2.5.2 place l’étude des schèmes au cœur du processus de développement professionnel des enseignants. Nous avons isolé différents types de connaissances - épistémiques, pédagogiques, didactiques, technologiques et informationnelles - et notre hypothèse est que ces différentes connaissances se manifestent (et se développent) dans les situations du travail documentaire. Il s’agit donc d’observer les enseignants en situation pour identifier les invariants opératoires (§ 2.3), autrement dit les connaissances-en-acte, qui correspondent aux différents types de connaissance isolés dans notre modèle. Atteindre cet objectif implique nécessairement une observation de l’activité des enseignants dans son

déroulement. L’action apporte des éléments d’information implicites, souvent complémentaires à ce qui est explicité à travers le discours. Or, l’activité du travail documentaire est complexe : multiples lieux, ressources hétérogènes - textuelles, audio, vidéo, mais aussi imprimées ou numériques -, et processus se développant sur un temps long. Comment en observer toutes les facettes ? Les principes de l’investigation réflexive apportent plusieurs pistes dont nous nous sommes inspirée pour concevoir le dispositif d’auto-captation du travail documentaire qui est décrit dans cette section. Il s’agit d’un outil méthodologique qui répond à trois objectifs : suivre le travail de l’enseignant à son domicile sans la présence du chercheur, observer les interactions avec les ressources numériques et favoriser la posture réflexive de l’enseignant.

Suivre le travail de l’enseignant sans la présence du chercheur

À partir des premiers résultats de ReVEA (Bruillard, 2015), il est apparu que la phase de préparation d’une leçon était particulièrement riche du point de vue du travail documentaire. Nous avons donc choisi de centrer nos observations sur ce moment particulier du travail documentaire avec deux observations à une année d’intervalle. La phase exploratoire de notre étude a mis en évidence que les préparations de leçon se déroulaient essentiellement au domicile de l’enseignant et sur une temporalité discontinue. Nous souhaitons capter toute la richesse de cette préparation de leçon sur un temps long tout en restant au plus près du travail quotidien des enseignants. Étant donné qu’il nous était impossible de suivre l’enseignant tout au long de la préparation d’une leçon, nous avons réfléchi à un dispositif qui permettrait de se substituer à la présence du chercheur : la caméra embarquée sur l’ordinateur personnel de l’enseignant nous a semblé une alternative à explorer.

De plus, le choix d’observer l’activité s’inscrit dans la logique de notre cadre théorique : les connaissances opératoires sont parties prenantes du travail documentaire des enseignants et transparaissent dans le déroulé de l’action. Accéder à l’intimité du travail documentaire est donc essentiel pour répondre à notre problématique. Le screencast, ou vidéographie en français, consiste à réaliser un enregistrement vidéo de l’écran d’un appareil informatique. Il est aussi possible d’enregistrer en même temps ce qui se trouve devant la webcam. Par ailleurs, nous souhaitions également diminuer le sentiment d’intrusion qui peut être ressenti par la présence du chercheur. Le choix de demander à l’enseignant de se filmer en autonomie avec son ordinateur résulte aussi de cette préoccupation.

Utiliser un logiciel qui filme à la fois ce qui se passe sur l’écran et le visage de l’enseignant implique que ce dernier déclenche l’enregistrement chaque fois qu’il travaille sur la préparation d’une leçon. Cela n’est pas sans soulever des questions techniques et méthodologiques. Sur le plan technique, le choix du logiciel, la question de la compatibilité avec plusieurs systèmes d’exploitation ou l’ergonomie de l’interface pour un usage intuitif sont autant de critères qui ont été considérés dans la sélection du logiciel. Après plusieurs essais infructueux avec des logiciels libres, nous nous sommes tournée vers la solution payante Camtasia, disponible pour Windows, macOS et Linux, qui propose deux types de captation - écran et webcam -, ainsi que des fonctionnalités de montage vidéo, le tout à travers une interface fluide et simple. Sur le plan méthodologique, l’accompagnement dans la prise en main du logiciel et la transmission de la consigne sont des points délicats. Une brève entrevue au domicile de l’enseignant a été dédiée à l’installation du logiciel sur son ordinateur portable et la prise en main des fonctions de bases : lancer et arrêter l’enregistrement. À cette occasion, nous avons repris la consigne qui avait été énoncée lors de la signature du contrat méthodologique (voir § 3.2.2) quelques semaines plus tôt et répondu aux éventuelles questions.

À la suite de cette entrevue, nous avons envoyé par mail une version écrite de la consigne (voir Annexe 4-4) ainsi qu’un tutoriel rappelant comment utiliser le logiciel. Nous nous sommes également chargée de récupérer les données lorsque les sessions de préparation de la leçon étaient

terminées. L’objectif de cet accompagnement est de soulager au maximum l’enseignant de toutes les contraintes techniques afin de perturber à minima ses habitudes.

Le dispositif de l’auto-captation du travail documentaire propose donc une alternative à la présence continue du chercheur. La contrepartie de cette autonomie est la difficulté pour le chercheur de reconstruire le contexte de l’auto-captation - qui s’étale parfois sur plusieurs semaines - et de lever les implicites qui par définition ne sont pas formulés par l’enseignant. Une autre limite est l’absence de visibilité sur ce que fait l’enseignant lorsqu’il est hors champ de la webcam : la lecture de ressource papier (souvent en silence) ou la recherche dans un manuel peuvent être inférées, mais l’accès à cette partie de l’activité est partiellement empêché par le dispositif, même si parfois l’enseignant montre à la webcam la ressource papier sur laquelle il travaille, comme nous le lui avons demandé dans les consignes.

Observer les interactions avec les ressources numériques

Le second objectif concerne l’observation des interactions avec les ressources numériques. Nous avons vu au chapitre 1 que les ressources numériques sont de plus en plus utilisées par les enseignants. Nous avons logiquement réfléchi à mettre en place un dispositif de collecte de données qui permettent de saisir les interactions avec les ressources numériques en plus des ressources papier. Une observation directe du travail documentaire n’aurait pas été satisfaisante : difficulté d’observer et de prendre des notes en même temps sans avoir des blancs dans l’observation, difficulté à suivre toutes les actions lorsqu’il s’agit de micro-gestes qui se succèdent rapidement, et unique prise possible de l’information au moment de l’action (Veillard, 2013). L’un des principaux avantages des enregistrements vidéo est la captation d’une temporalité singulière que le chercheur peut revoir autant de fois que nécessaire, voire faire des ralentis lorsque les actions s’enchaînent trop rapidement. Le support audiovisuel permet aussi de saisir la multimodalité des situations observées : d’une part, ce qui est dit et la manière dont s’est énoncé, d’autre part ce qui est fait, c’est-à-dire d’une part l’expression non verbale pendant les silences et l’enchaînement des actions réalisées à l’écran. En plus de la parole, le multimodal renvoie aussi aux gestes, au regard, à la position des corps et à l’utilisation de l’espace (Mondada, 2017). La mise en relation de ces différents éléments amène une épaisseur qu’il n’est pas possible de saisir dans l’observation non instrumentée. La vidéographie nous a semblé tout indiquée pour observer comment l’enseignant interagit avec les ressources numériques, puisque cette technique permet d’enregistrer tout ce qui se passe à l’écran. Ainsi les vidéos produites ont mis en évidence la manière dont les enseignants naviguent dans l’arborescence de leurs dossiers, les modalités d’enregistrement des ressources produites ou encore les modalités de recherche, d’analyse et de sélection de nouvelles ressources sur Internet. La webcam permet au chercheur de voir l’enseignant, et à l’enseignant de montrer les ressources papier qu’il manipule pendant la préparation de la leçon.

Malgré ces avantages, l’usage de la vidéo n’est pas neutre et certains points doivent être questionnés. Sensevy (2013) souligne que l’image induit par essence une infinité d’interprétations et que celles retenues par le chercheur résultent de ses choix épistémologiques. De plus, bien que le film d’étude présente tous les traits de la réalité, Faïta (2007) insiste sur le fait qu’il est une construction du chercheur, et que tout, depuis le choix de la scène à observer jusqu’au celui de la place de la caméra, en passant par le montage et la sélection des extraits analysés, relève de la subjectivité du chercheur qui y projette bien plus que son arrière-plan théorique et ses hypothèses. Le film est par ailleurs un extrait d’une situation globale et, comme pour l’observation directe, ce qui se passe avant et après n’est pas nécessairement accessible au chercheur. Dans notre cas, les vidéos issues de l’auto-captation sont une co-construction avec l’enseignant, et il est d’autant plus difficile de démêler la subjectivité de chacun. Dernier point délicat, le film en lui-même ne donne pas accès à toute la subjectivité de l’enseignant. C’est pourquoi le dispositif de l’auto-captation du travail documentaire a également été conçu pour favoriser la posture réflexive de l’enseignant.

Favoriser la posture réflexive de l’enseignant

En cohérence avec les principes de l’investigation réflexive, l’enseignant est pleinement associé à la collecte des données. Tout d’abord, le thème de la leçon observée a été choisi avec lui, de façon à satisfaire aux exigences de la recherche tout en donnant à l’enseignant une place active dans la conduite de la recherche. Mais surtout, la consigne donnée à l’enseignant l’incite à adopter une posture réflexive : non seulement il gère en totale autonomie le déclenchement et l’arrêt de l’enregistrement, mais il commente également son activité en même temps qu’il la réalise.

La responsabilité du déclenchement et de l’arrêt de l’enregistrement signifie que l’enseignant détermine par lui-même à quel moment commence et finit son travail documentaire. Ce geste, qui paraît anodin, l’oblige à adopter une posture métacognitive sur son travail, c’est-à-dire à prendre conscience de ses activités cognitives. Il est obligé de se demander ce qu’est le travail documentaire, mais aussi où et quand il commence et se termine. Ce simple élément donne en lui-même des renseignements précieux sur ce que représente le travail documentaire dans la préparation d’une leçon pour chacun des enseignants suivis, malgré la transmission de consignes identiques. Cette grande autonomie laissée aux enseignants a produit des vidéos très variées tant sur la durée - de 20 min à plus de 4 h - que sur la nature des activités filmées ou des commentaires formulés. En plus du déclenchement de l’enregistrement, nous demandons à l’enseignant de commenter son activité à voix haute en même temps qu’il la réalise. Deux raisons à cela. Tout d’abord, le modèle du praticien réflexif de Schön (1983) insiste sur la réflexion dans l’action. Demander à l’enseigner d’expliciter la conduite de son action et de nature à renforcer sa réflexivité, nous donnant ainsi accès à une partie de ses processus cognitifs. Ensuite, nous nous sommes appuyée des outils utilisés par certains chercheurs qui ont étudié la gestion personnelle de l’information en demandant aux enquêtés d’effectuer une tâche en pensant à voix haute (Dumouchel, 2016 ; Kwasnik, 1991). Soutenu par Ericsson et Simon (1980) la méthode de la pensée à voix haute est cependant contestée par Wilson (1994) qui souligne que tout n’est pas conscient et qu’il est impossible de tout exprimer. Selon nous, ce sont justement les moments de décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait qui nous semblent les plus intéressants à analyser.

En conclusion, cette section a mis en évidence que l’instrumentation de la recherche par la vidéo, et en particulier le dispositif de l’auto-captation du travail documentaire, est un outil précieux pour observer les interactions des enseignants avec les ressources. Tout d’abord, l’identification des connaissances-en-acte passe nécessairement par l’observation de l’activité en train de se faire. Ensuite, la vidéo rend accessible au chercheur de nombreuses dimensions de l’activité : enchaînement des actions, discours sur l’activité, interactions avec les ressources papier et numériques. Enfin, la trace de l’activité, ainsi inscrite sur un support pérenne, est disponible autant que nécessaire, que ce soit pour l’analyse ou comme matière pour une nouvelle collecte de données dans le cas de l’auto-confrontation (Clot, Faïta, Fernandez, & Scheller, 2000 ; Theureau, 2010). L’auto-captation du travail documentaire est donc un dispositif original de collecte des données où la caméra remplace l’œil du chercheur et où l’enseignant dispose d’une grande autonomie pour donner à voir son travail documentaire. Malgré ces avantages, le dispositif de l’auto-captation a deux limites principales : d’une part, c’est l’enseignant qui décide ce qu’il donne à voir au chercheur, et d’autre part, les ressources imprimées sont peu visibles, puisque le dispositif est centré sur l’écran de l’ordinateur de l’enseignant.

Les fondements méthodologiques adoptés pour garantir le caractère scientifique de notre recherche et répondre à notre problématique s’articulent donc autour de trois pôles : l’étude de cas comme méthode d’investigation à même de capter le contexte dans lequel évolue chaque enseignant, l’appropriation des principes de l’investigation réflexive, et la saisie de l’activité par la vidéo grâce au dispositif de l’auto-captation du travail documentaire. Grâce à l’étude de cas, nous pouvons saisir les singularités de chacun des enseignants suivis et analyser en profondeur les

mécanismes qui guident leurs actions dans certaines situations d’interactions avec les ressources. Le choix des cas à étudier est décisif, aussi avons-nous mis en place une étude exploratoire auprès d’un public élargi (§ 3.4) à la suite de laquelle nous avons sélectionné trois enseignants. Le suivi longitudinal s’est largement inspiré des principes de l’investigation réflexive en associant étroitement les enseignants à la collecte des données, favorisant ainsi leur posture réflexive. Nous avons proposé un outil critique de ce point de vue, l’auto-captation du travail documentaire où l’enseignant se filme lui-même à son domicile pendant la préparation d’une nouvelle leçon tout en expliquant en même temps ce qu’il faisait. Cet outil méthodologique met aussi en évidence l’importance de la vidéo pour observer les actions réelles des enseignants pendant l’activité. Cependant, comme toutes données produites, elles sont imprégnées du positionnement et de la subjectivité du chercheur. Il convient donc de clarifier notre positionnement et les garde-fous mis en place pour limiter les biais possibles.

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