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Chapitre 3. Conception de la méthodologie

3.1. Fondements méthodologiques

3.1.2. S’approprier les principes de l’investigation réflexive

Outre la prise en considération des contextes, la conception de notre méthodologie est basée sur l’investigation réflexive, une méthodologie élaborée puis formalisée par Gueudet et Trouche (2010a) dans leurs travaux sur l’approche documentaire du didactique. Cette méthodologie continue d’évoluer (Trouche, Gueudet, & Pepin, 2018) pour répondre aux besoins pratiques et conceptuels de cette approche théorique. L’investigation réflexive a été conçue pour collecter et analyser les produits du travail documentaire des enseignants de mathématiques : nous l’avons adaptée aux besoins de notre problématique. Cette section présente d’abord les cinq principes de l’investigation réflexive avant d’expliciter comment nous avons intégré ces principes à la conception de notre méthodologie. Enfin, nous détaillons les outils issus de l’investigation réflexive que nous avons adoptés.

Les principes de l’investigation réflexive

La méthodologie de l’investigation réflexive a été développée en interrelation avec les besoins conceptuels de l’ADD. Elle s’appuie sur cinq principes (Trouche, Gueudet, & Pepin, 2018) : une collecte élargie des ressources des enseignants, un suivi en tout lieu, un suivi sur le long terme, un suivi réflexif et la confrontation des points de vue de l’enseignant sur son travail documentaire. Le premier principe est l’observation dans la durée qui permet de saisir les évolutions et les éléments de stabilité, autrement dit les invariances. Puisqu’un de nos objectifs est de décrire les connaissances mobilisées dans le travail documentaire des enseignants et tenter de saisir leur développement, une étude longitudinale sur plusieurs années nous semble tout à fait appropriée.

Ce principe s’articule avec la logique de l’étude de cas qui suppose de décrire plusieurs aspects d’un phénomène.

Le deuxième principe est un suivi en tout lieu. En effet, les espaces de travail de l’enseignant sont multiples. Si en primaire, les professeurs des écoles disposent le plus souvent d’une salle de classe, ce n’est pas le cas des enseignants du secondaire qui changent constamment de salle et qui n’ont pas, non plus, de bureau personnel. De fait, les situations du travail documentaire se déroulent dans des lieux multiples - dans la classe, en salle des professeurs, au domicile de l’enseignant ou encore dans les espaces virtuels disponibles sur les réseaux numériques. Dépasser l’hétérogénéité des lieux pour assurer un suivi continu est un des enjeux de conception de notre méthodologie. Le troisième principe de l’investigation réflexive est la collecte élargie des ressources de l’enseignant. C’est un aspect important pour réaliser la triangulation des données. En effet, en plus de collecter des données sur l’activité du travail documentaire, soit par l’observation de l’activité, soit par le récit, la collecte des ressources utilisées et produites par l’enseignant est aussi précieuse pour approfondir les analyses et croiser les points de vue.

Le quatrième principe est le suivi réflexif du travail documentaire. La singularité de l’investigation réflexive est d’associer l’enseignant au processus de collecte des données. La participation active de l’enseignant est une nécessité pratique, car lui seul a accès à l’ensemble de son travail documentaire. Cela crée également une posture réflexive conduisant l'enseignant à faire un pas de côté par rapport à ses habitudes, et l’amenant à considérer son travail documentaire sous un angle nouveau.

Le dernier principe est la confrontation permanente des points de vue de l’enseignant sur son travail documentaire et sur la matérialité de ce travail. Le suivi sur le temps long permet au chercheur de reprendre les données collectées et de proposer à l’enseignant d’interpréter les traces de son travail documentaire. Il en résulte une mise en abîme qui accentue encore la posture réflexive de l’enseignant qui participe au suivi.

Ces cinq principes guident l’ensemble des méthodologies qui se réclament de l’investigation réflexive, ils sont au fondement de notre méthodologie dès sa conception.

Influence de l’investigation réflexive sur la conception de notre méthodologie

Nous avons adopté les principes de l’investigation réflexive pour concevoir le cadre général de notre méthodologie et définir la durée et les lieux de la collecte des données. Au départ de notre travail de thèse, nous avons envisagé une collecte des données sur trois ans. Quelque mois après le début du doctorat, nous avons débuté la phase exploratoire de l’enquête (voir § 3.4), nous permettant ainsi de commencer le suivi longitudinal rapidement (voir Figure 3-2). La temporalité initialement envisagée est en moyenne de 24 mois entre mai 2016 et juin 2018.

Afin de recueillir une vision la plus complète possible, nous avons réalisé des entretiens avec les enseignants suivis dans leur établissement, mais aussi à leur domicile. Pour identifier des schèmes et les classes de situations auxquelles ils se rapportent, nous proposons d’observer la même situation du travail documentaire à différents moments (n et n+1). Il sera ainsi possible de comparer l’activité de l’enseignant afin de mesurer des invariances et des évolutions. Notre choix s’est porté sur une situation récurrente du travail documentaire de l’enseignant : la préparation d’une leçon. Les données liées à cette phase du travail ont pu être collectées grâce au dispositif d’auto-captation du travail documentaire (§ 3.1.3). Par la suite, nous avons observé l’enseignant en classe pendant la mise en œuvre de sa leçon, puis la révision de la leçon l’année suivante. Pour être au plus près de l’activité réelle des enseignants, nous avons décidé de ne pas imposer de tâches spécifiques à réaliser pour, au contraire, nous adapter aux besoins des enseignants dans la mise en

œuvre du travail documentaire : toutes les données collectées correspondent donc aux pratiques réelles des enseignants suivis.

Figure 3-2 : protocole de la collecte des données

Concernant le principe de collecte élargie, nous avons collecté les vidéos réalisées pendant que l’enseignant préparait une nouvelle leçon, pendant sa mise en œuvre et sa révision. Nous avons aussi collecté les ressources qu’il a produites pour mettre en œuvre cette leçon avec ses élèves ainsi que toutes les sources dont il s’est inspiré pour mener à bien son travail documentaire. Aucun des enseignants suivis n’utilisant de système de stockage et de partage des données en ligne, c’est souvent le mail qui a été utilisé pour nous transmettre les ressources produites et utilisées. Les sources mobilisées étaient récupérées sous forme de photocopie lorsque la version numérique n’était pas disponible, ou bien grâce à des liens hypertextes et des fichiers transmis par l’enseignant. Le principe de la confrontation permanente des points de vue consiste à questionner l’enseignant sur les données précédemment collectées. Ainsi, pour chaque enseignant suivi, nous pouvons demander des précisions sur ce qu’il a fait ou dit précédemment, mais sans aller jusqu’à mettre en œuvre un dispositif d’autoconfrontation (Clot, Faïta, Fernandez, & Scheller, 2000).

En reprenant à notre compte les principes de l’investigation réflexive, nous mettons en place une méthodologie de collecte de données que nous qualifions d’extensive, dans le sens à nous collectons un maximum de données associées à une situation. Au-delà du cadre général, l’investigation réflexive s’est progressivement dotée d’outils de collecte et d’analyse que nous avons en partie repris et adaptés.

Les outils de l’investigation réflexive

Les dispositifs de collecte et d’analyse de données que nous avons utilisés intègrent pleinement une dimension réflexive. Ils sont au nombre de trois : la visite guidée des ressources, la représentation schématique du système de ressources, et l’entretien bilan.

La visite guidée des ressources est un entretien semi-directif (Barbillon & Le Roy, 2012) réalisé au domicile de l’enseignant dont l’objectif est de dresser un état des lieux des ressources qu’il mobilise régulièrement et de la manière dont il les organise (Voir Annexe 4-2). Pour y parvenir, nous empruntons à Gueudet et Trouche (2010a) la méthode de l’instruction au sosie. Cette technique a été mise au point par Oddone, Re, et Briante (1981) pour analyser le travail des ouvriers dans les usines Fiat de Turin. Clot introduit cette méthode en psychologie du travail et définit l’instruction au sosie comme « un « moyen détourné », un « contact social » artificiel avec soi-même. Il autorise une « ré-entrée »

dans l’action, une répétition sans répétition, la mise au travail de l’action dans une autre activité avec le sosie où elle sert maintenant de ressource. La conscience est ce dédoublement du vécu, revécu pour vivre autre chose. » (Clot, 2001, p. 261). Le sosie est donc un moyen de mettre à distance le vécu de l’enseignant et l’amener à regarder autrement ce qui peut lui sembler banal dans son travail quotidien, introduisant ainsi un premier niveau de réflexivité.

La représentation schématique du système de ressources est un outil proposé par la méthodologie d’investigation réflexive (Gueudet & Trouche, 2010a) afin d’exploiter le regard du professeur sur son propre système de ressources. Le chercheur propose au professeur de dessiner une représentation de l’organisation de ses ressources, en la mettant en relation avec ses activités. Rocha (2018) a proposé le terme de cartographie pour souligner le caractère dynamique du processus. Le terme de cartographie fait aussi référence à la dimension spatiale d’un territoire qui se découvre progressivement. Elle distingue les cartographies réflexives des systèmes de ressources (CRSR), que le professeur dessine lui-même, des cartographies inférées des systèmes de ressources (CISR) que le chercheur produit à partir de l’analyse du travail documentaire du professeur. Ces outils cartographiques permettent à la fois une vue synthétique du système de ressources de l’enseignant et une mise à distance qui favorise la posture réflexive. Les CISR sont par ailleurs un outil d’analyse pour le chercheur qui génère ainsi une vue synthétique, un instant t, du système de ressources de l’enseignant.

L’entretien bilan met en œuvre le cinquième principe de l’investigation réflexive. Il a pour objectif de mettre en perspective les évolutions ressenties par l’enseignant depuis le début du suivi. À partir des éléments précédemment collectés et analysés, le chercheur confronte l’enseignant à son travail

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