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1.2. Simulation ou optimisation

L’interdisciplinarité signifie que des climatologues et des économistes construisent des modèles pour examiner le problème du changement climatique. Mais existe-t-il une approche commune de la modélisation ? On peut en effet discerner dans les modèles existants deux tendances qui correspondent à peu près à la spécialisation plutôt physicienne ou plutôt économiste de l'équipe qui les a construits10.

Pour analyser une question comme « Quelle sera la magnitude du changement climatique ? » , et une autre comme « Pourquoi et comment construire une coopération internationale pour réduire les émissions ? », il est en effet nécessaire de recourir à deux conceptions opposées de la temporalité. Les modèles physiques reflètent le principe fondamental de causalité : les causes se produisent avant les effets. En conséquence, on peut décrire les systèmes au moyen d'équations différentielles ou d'équations au différences finies, pourvu que l'on spécifie les conditions initiales. Une fois ces équations écrites, le calculateur peut procéder en s'intéressant successivement à l'état à la date 1, puis

à la date 2, et ainsi de suite. On peut qualifier cette façon de calculer de "récursive". A chaque instant, l'état du système est déterminé en fonction du passé.

Un grand nombre de modèles économiques sont aussi récursifs, comme par exemple WorlsScan11. Mais certains, et nous allons en examiner beaucoup dans la suite, sont très différents. La valeur fondamentale d'une action, par exemple, s'obtient comme la somme des dividendes futurs. En économie et en sciences sociales, les objets que l'on étudie sont des agents intelligents qui prennent leurs décisions en pensant aux conséquences, il existe donc des anticipations et des buts qui déterminent l'évolution du système. La prise en compte des anticipations est un point très importants en économie, notamment depuis Lucas12. En première approximation, on peut par exemple supposer que les agents sont parfaitement clairvoyants, ce qui n’est pas sans conséquence sur la maximisation de leur utilité intertemporelle.

Donc, beaucoup de modèles économiques sont des modèles d'optimisation intertemporels. Numériquement, les problèmes d'optimisation intertemporels se résolvent en considérant le vecteur d'états V = (S1, S2, .. , ST), que l'on doit traiter comme un tout. On ne peut plus organiser le calcul par périodes, récursivement, mais on doit tout calculer d'un coup, intertemporellement. Le calcul devient alors plus difficile que pour la simulation puisque le nombre de variables est multiplié par T. En conséquence, à capacité de calcul égale, les modèles de simulation seront moins détaillés que les modèles d'optimisation.

Au moyen d'une simulation du comportement du système, les sciences physiques cherchent à faire des prédictions sur ce qui se passera dans le futur. Les modèles socio-économiques à long terme ne cherchent pas à prédire, mais à projeter une vision du futur qui a plusieurs particularités: Le scénario projeté doit être cohérent dans son ensemble. Il doit être compatible avec ce que l'on sait extérieurement. Et si possible, il ne doit pas y avoir de gaspillage, le scénario doit être optimal. Le Tableau 4.2 synthétise les différences conceptuelles entre les modèles climatiques et les modèles socio-économiques, différences persistantes quand les équipes étendent ou combinent ces modèles pour en faire des modèles intégrés.

Il n’y a pas de frontière nette entre les modèles de simulation et les modèles d’optimisation. On peut en effet noter que la différence ne porte pas sur les équations des modèles, mais seulement sur la façon de les résoudre. Il est possible d’utiliser en simulation des modèles d’optimisation, comme l’ont fait remarquablement Wigley, Richels et Edmonds13. C’est aussi nécessaire pendant le processus de développement du modèle, pour savoir comment il se comporte. Il est aussi possible de résoudre en optimisation un modèle de simulation, bien que cela représente une tâche informatique exceptionnelle. Le module TIME-CYCLES14 du modèle IMAGE, par exemple, peut s’optimiser à l’aide d’un algorithme génétique spécial.

Si les modèles intégrés sont par nature au confluent des deux traditions définies ci dessus, on peut encore en distinguer deux types. Chacun peut être classé a priori selon le langage de programmation utilisé pour le développement. La variété des langages utilisés pour construire les modèles intégrés (voir Tableau 4.1 page 107) s'organise sur une échelle allant de GAMS, spécifiquement construit pour représenter des programmes d'optimisation, à STELLA, dédié à la simulation. On a aujourd’hui :

• Des modèles d'analyse des politiques par simulation , qui sont souvent les plus régionalisés et les plus détaillés, comme le modèle IMAGE15.

• Des modèles d'optimisation des politiques, comme DICE16 ou Global 210017.

Une troisième classe de modèles se dessine. A côté des modèles de contrôle optimal, il existe en effet quelques modèles de contrôle viable18, comme ICLIPS19. Le contrôle optimal recherche l’unique stratégie qui maximise un objectif tout en respectant des contraintes dans le temps. Le contrôle viable définit un ensemble de stratégies qui respectent des contraintes, dans le temps également. A l’heure actuelle, la Climat Socio-économie

Monde fini Croissance Prédiction Projection Causalité Anticipation Simulation Optimisation

Récursif Intertemporel Tableau 4.2 : Différences modèles Climatiques - modèles Socio- économiques

viabilité a néanmoins comme handicap par rapport à l’optimisation d’offrir infiniment moins d’outils informatiques généraux et performants clés-en-main comme GAMS.

Chaque tradition présente ses avantages et ses défauts objectifs. Les modèles de simulation tendent à avoir des comportement extrêmes de type "overshoot and collapse", alors que les modèles d’optimisation sont souvent plus stables, bien que plus techniques à résoudre. La simulation conduit aussi souvent à des modèles détaillés, qui comportent nécessairement un certain nombre de paramètres arbitraires et demandent beaucoup de ressources humaines.

D'un côté, les modèles d'optimisation supposent des agents parfaitement clairvoyants, hypothèse peu réaliste. Mais de l’autre, les modèles de simulation reviennent à modéliser le comportement des agents. Cela implique l’hypothèse tout autant discutable selon laquelle le modélisateur dispose de plus d'information qu'eux sur le système. Ce dernier argument, classique20, introduit toutefois une discussion sur la nature des ‘agents’ modélisés.

On peut en effet voir trois types d’agents dans la modélisation intégrée21 : le monde physique régit par des lois causales, les agents économiques privés régis par l’optimisation de l’utilité ou du profit, et des instances publiques supérieures de régulation chargées de l’intérêt général, qui pourrait relever de la viabilité. Les travaux de Matarasso et Courrège22 au CIRED tendent actuellement à cerner la question dans un cadre d’optimisation en temps discrets, mais on peut aussi envisager d’utiliser des modèles à génération imbriqués que nous n’étudierons pas ici, dans la mesure où il s’agit d’une classe de modèles intégrés relativement nouvelle23, 24, 25, 26, 27.

Ces considérations sur les différences objectives entre la simulation et l’optimisation ne doivent cependant faire oublier l’importance de la différence culturelle évoquée au début de cette section. On pourrait par exemple rattacher le modèle décrit plus bas dans cette thèse, inspiré de DICE, à une tradition d’optimisation en économie remontant à Ramsey28.

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