• Aucun résultat trouvé

Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat 14, 15 (GIEC, ou IPCC en anglais)

Atmosphère Océan

Chapitre 3. Du changement climatique au problème de décision

1. La prise en charge institutionnelle du changement climatique

1.3. Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat 14, 15 (GIEC, ou IPCC en anglais)

est un organe intergouvernemental scientifique et technique original, qui joue un rôle vital pour fournir des évaluations de la recherche sur le changement climatique aux décideurs.

Le GIEC est constitué d’un très petit secrétariat sis à Genève et un réseau mondial de plusieurs milliers de scientifiques et d’experts faisant référence dans leur discipline, nommés par les gouvernements ainsi que par des organisations gouvernementales ou non. Il dispose d’un fonds pour couvrir les dépenses de fonctionnement et pour permettre aux pays en développement de tenir un rôle. Il s’exprime en publiant des rapports basés sur la littérature scientifique existante, à partir desquels il produit aussi des documents non techniques plus ciblés.

Son mandat est triple : évaluer l'état de la connaissance scientifique sur le changement climatique; examiner les impacts environnementaux, économiques et sociaux du changement climatique; et

a

Sur 90-95, les pays en transition ont diminué leurs émissions de 30%, l’Union Européenne de 1%, ce qui a plus que compensé l’augmentation de 8% dans les autres pays de l’OCDE.

formuler des stratégies de réponse. Pour cela, le GIEC a formé trois groupes de travail. Le Working Group I s'est concentré sur la science, le Working Group II a étudié les impacts, et le Working Group III a analysé les options de réponses possibles. Le GIEC a aussi établi un comité spécial pour promouvoir la pleine participation des pays en développement dans ses travaux.

L’objectivité des rapports d'évaluation du GIEC16

Dans les médias et dans beaucoup de forums publics, les débats ne sont pas toujours basés sur une pratique scientifique saine. Les idées et opinions peuvent être librement exprimés, mais ne font pas toujours l'objet d'un examen rigoureux. Au contraire, le GIEC ne publie qu’à l’issue d’un processus d'évaluation particulièrement rigoureux. Les rapports sont examinés trois fois. Premièrement, la plupart des recherches évaluées dans les rapports ont été publiées dans des revues à comité de lecture. Deuxièmement, le projet de rapport est largement revu par un groupe d'experts nombreux et variés. Troisièmement, le rapport est revu par les gouvernements. Ce processus n'est pas facile, mais il assure que les rapports sont objectifs, transparents, et basés sur la meilleure information disponible dans le monde.

1) Pour chacun des environ cinquante chapitres du rapport, l’équipe de rédaction est constituée de plusieurs directeurs de rédaction et auteurs principaux, éventuellement coordonnés par un auteur unique. Cette équipe reçoit également la contribution d’autres scientifiques qui fournissent des informations techniques sur la base de la littérature publiée, sous forme de texte, graphique ou données. Chaque équipe compte au moins un expert d'un pays en développement, et reflète une diversité de points de vue. L'équipe rédige un premier projet principalement basé sur les travaux publiés dans les revues scientifiques et techniques prennant aussi en compte, avec les précautions nécessaires, les travaux plus récents et en identifiant clairement les points de vue scientifiquement valides mais divergents.

2) Des milliers d'experts revoient les premiers projets de chapitre. Les relecteurs incluent les scientifiques et techniciens spécialistes du domaine, et aussi les organisations non gouvernementales et internationales. Les relecteurs commentent l'objectivité et la complétude du projet de chapitre. Les références sont soigneusement vérifiées. Lorsque le temps le permet, un second projet est soumis à relecture. En se basant sur les projets de chapitre, les auteurs principaux et le bureau de chacun des groupes de travail rédige et un Résumé Technique (Executive Summary) et un Résumé Destiné aux Décideurs, non technique (Summary for Policy-makers). 3) Les gouvernements relisent les projets de chapitres approuvés par les experts et les résumés. Ils

peuvent organiser leur propre expertise. Cette étape est importante car elle promeut et démontre une large acceptation internationale des conclusions techniques.

4) Les projets sont ensuite représentés devant le groupe de travail approprié pour approbation ou acception finale. L’approbation concerne les résumés, qui sont rediscutés ligne par ligne au cours d'une session spéciale du groupe de travail, et elle signifie qu'ils sont cohérents avec toute l'évaluation scientifique et technique. Les chapitres et le résumé technique, plus longs, ne peuvent pas être rediscutés ligne par ligne, ils sont seulement “acceptés”. L’acception signifie que le groupe de travail juge que le texte est un compte rendu complet, objectif et équilibré de son sujet. Le résultat est un rapport en quatre volumes de plusieurs centaines de pages. Chaque groupe de travail rédige un volume. Le quatrième reprend les résumés non techniques destinés aux décideurs, ainsi qu'un texte de synthèse. Le rapport de synthèse met en lumière les points principaux, y compris les plus controversés. Au niveau final, le GIEC tout entier accepte les résumés non techniques et discute ligne par ligne, avant de l'approuver, le rapport de synthèse.

Le premier rapport en 1990

Ce rapport d'évaluation et son supplément en 1992 ont largement été reconnus comme l'expression la plus légitime des opinions des scientifiques et des experts sur le changement climatique. Ils ont constitué une base importante pour la négociation de la Convention Climat.

• Le groupe de travail sur la science17, unissant à peu près tous les chercheurs du monde ayant apporté une contribution significative dans ce champ, a conclu avec certitude que la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre augmentait, et que si cette tendance continuait cela conduirait à un réchauffement de la surface de la terre. Ce groupe de travail a aussi formé certaines projections. Il a par exemple estimé que pour stabiliser la concentration atmosphérique de CO2 , qui causerait plus de la moitié du forçage radiatif supplémentaire d'origine humaine, il faudrait réduire les émissions actuelles de 60 - 80% .

• Le groupe de travail sur les impacts18 a conclu que le changement climatique pourrait avoir des effets hautement déstabilisant sur la société humaine. Le groupe a analysé les impacts qui pourraient se produire sur l'agriculture, la sylviculture, les écosystèmes naturels, les ressources en eau, l'habitat humain, les océans, les zones côtières... Il a conclu que ces impacts seraient selon toute vraisemblance très variables d'une région à l'autre, et que l'augmentation de la population, les avances techniques, et les changements dans les événements naturels comme El Niño pourraient influencer les impacts régionaux. Le groupe a souligné le besoin de recherches supplémentaires sur ces problèmes, et a remarqué que des études d'impact pourraient devenir plus précises lorsque des prédictions plus précises du changement climatique seront disponibles.

• Le groupe de travail sur les stratégies de réponse19 a proposé des mesures spécifiques pour limiter le et s'adapter au changement global. Mettant l'accent sur le principe de responsabilité commune mais différenciée des pays développés et des pays en développement, le groupe a délimité des mesures à court et à long terme, la plus importante étant de limiter les émissions. Il a reconnu que ces mesures proposées ne pourraient réussir que grâce à la coopération internationale.

• Le comité spécial pour la participation des pays en développement a souligné le besoin d'assistance technique et financière du tiers-monde, qui ne disposent pas des ressources ni des informations nécessaires pour lutter contre les menaces du changement climatique. Cependant, les pays en développement pourraient être encore davantage affectés que les pays industrialisés. Pour ces raisons, le comité a considéré qu'il était important que les pays industrialisés offrent une assistance technique et financière aux pays en développement. Dans ce but, le GIEC a organisé une série de séminaires dans ces pays.

Le rapport spécial en 1994

En novembre 1992, le GIEC a établi un plan de travail pour continuer son effort et s'est restructuré. Alors que le Groupe I reste concentré sur la science, le Groupe II est responsable à la fois des impacts et des options de réponse. Le Groupe III se penche sur les aspects socio économiques théoriques et appliqués. Le développement des capacités propres dans les pays en développement devient une tache intégrale de chacun des trois groupes de travail.

Le GIEC a élargit ses activités en vue d'établir des méthodologies standardisées. Elles concernent les méthodes de mesure des sources et les puits de gaz à effet de serre dans chaque pays20, 21 . Ses rapport guident aussi directement les études nationales sur les impacts et les réponses au changement climatique22. Il apparaît en effet indispensable de coordonner les mécanismes comptables utilisés dans les communications nationales, dans la perspective de mettre en place le processus de vérification nécessaire pour la crédibilité des engagements quantitatifs formulés à Kyoto.

Les nécessités politiques ont également conduit les experts à élaborer un système d’équivalence entre les différent gaz à effet de serre, basé sur le potentiel de réchauffement global (GWP, global warming potential en anglais) afin de préciser la notion d’équivalent CO2 .

Enfin, comme le remarque D. Thery23, le rapport spécial de 199424 a introduit l’idée qu’en première approximation, le niveau de concentration atteint dépend seulement du cumul des émissions passées. Cela est quantifié, compte tenu des plage d’incertitudes sur le fonctionnement du cycle du carbone, Tableau 3.2. La conséquence politique importante est que des trajectoires d’émissions différentes à court terme pouvaient aboutir à un même objectif de concentration à long terme. Physiquement, des émissions additionnelles aujourd’hui peuvent être compensées par des réductions supplémentaires

demain. Il existe donc une certaine souplesse temporelle (« where flexibility » en anglais) dans la réalisation de l’objectif de la Convention Climat.

Le second rapport en 1996

Si le rapport spécial a introduit la souplesse temporelle, il proposait surtout une réflexion sur un choix d’objectifs à long terme pour la concentration de CO2 : 350 ppmv, 450 ppmv ... jusqu’à 1000 ppmv. Pour chaque objectif, un et un seul chemin d’émission était exposé aux décideurs. Cette situation a changé ensuite.

Le second rapport non seulement reprend l’éventail des objectifs à long terme, mais il propose deux chemins différents pour atteindre chacun de ceux-ci, comme on le voit Figure 3.1. On voit que les implications à court terme sont fort différentes. Les deux chemins ainsi définis délimitent une sorte de ‘corridor’émissions:Safe C, pour reprendre le terme de J. Alcamo25, à l’intérieur duquel différentes trajectoires permettent d’atteindre un même objectif.

Pour orienter l’action à court terme, le second rapport propose donc de se poser deux questions, qui seront celles que nous étudierons tout au long de cette thèse :

Quel objectif de concentration choisir à long terme ?

Laquelle des trajectoires d’émission l’atteignant est préférable ?

L’intérêt est alors que dans une large mesure, la seconde question peut se libérer de beaucoup des incertitudes sur les aspects physiques du problème, puisque justement il s’agit de choisir parmi des comportements aux effets indiscernables (au premier ordre) pour le climat.

Niveau final de Stabilisation Variation inter-modèles Profils S† Profils WRE*

350 ppmv 300-430 GtC

450 ppmv 640-800 GtC 630 650

550 ppmv 880-1060 GtC 870 990

650 ppmv 1000-1240 GtC 1030 1190

750 ppmv‡ 1220-1420 GtC 1200 1300

Tableau 3.2 : Emissions de CO2 cumulées entre 1990 et 2100 (en GtC)

Profils appelés WGI à partir de 1995. En trait pleins sur les figures ci dessous.

*

En traits pointillés sur les figures ci dessous.

Profils de la concentration de dioxyde de carbone devant permettre une stabilisation au niveau 450, 550, 650 ou 750 ppmv selon les trajets établis par le GIEC (1994) (traits pleins) et en supposant que le scénario IS92a sera vérifié au moins jusqu'en 2000 (tirets). Le dioxyde de carbone seul (c'est-à-dire sans tenir compte de l'incidence des autres gaz à effet de serre (GES) et des aérosols) entraînerait une élévation de la température d'équilibre par rapport à 1990 d'environ 1 °C (fourchette de 0,5 à 1,5 °C) en cas de stabilisation au niveau 450 ppmv, d'environ 2 °C (fourchette de 1,5 à 4 °C) pour 650 ppmv et d'environ 3,5 °C (fourchette de 2 à 7 °C) pour 1000 ppmv. En cas de doublement de la concentration de C02 par rapport à l'époque préindustrielle (où elle s'établissait à 280 ppmv), cette concentration atteindrait 560 ppmv. En cas de doublement par rapport à aujourd'hui (358 ppmv), elle atteindrait à peu près 720 ppmv.

Emissions de dioxyde de carbone permettant une stabilisation de la concentration au niveau 450, 550, 650, 750 ou 1000 ppmv selon les profils indiqués ci dessus, d'après un modèle moyen du cycle du carbone. Les résultats obtenus à partir d'autres modèles pourraient varier jusqu'à ± 15 % par rapport aux chiffres présentés ici. A titre de comparaison, on a également représenté les émissions de C02 selon le scénario IS92a et les émissions actuelles (traits pleins fins).

Figure 3.1 : Différents profils d’émissions et de concentrations à long terme.

Sources pour la page IPCC, Radiative Forcing of Climate Change, Table 2, p. 22, 1994 ; IPCC, Document de Synthèse, Tableau 1 et Figure 1, 1996

Cette évolution montre en substance qu’il est possible d’attendre et de réaliser quand même les objectifs à long terme. Il peut sembler que cela modère sur l’urgence d’une action pour limiter les émissions. Toutefois, la plus remarquée des nouveautés du second rapport26 va dans le sens d’une alarme, puisque c’est la détection et l’attribution du changement climatique aux activités humaines, explicitée au chapitre précédent. De plus, les experts ont aussi attiré l’attention sur l’existence historique de variations climatiques rapides27, qui renforcent la crédibilité du risque de surprises climatiques.

Sur le plan des impacts, des premiers éléments de la régionalisation des prédictions ont été introduits. Plusieurs conséquences vraisemblables ont été identifiées, dont certaines sont plus liées à la rapidité qu’au niveau du changement climatique : une intensification du cycle de l’eau avec une accentuation des extrêmes ; une mutation des grands types de concernant une proportion importante des zones

actuellement boisées ; et un risque de recrudescence des maladies infectieuses dues à l’extension des zones de reproduction des vecteurs.

Actualité et avenir du GIEC

Le GIEC ne s'est concentré sur les aspects économiques qu’à partir de 1992 pour un rapport achevé en 1995. Dans un premier temps, les outils économiques qui ont été appliqués au problème sont donc ceux qui étaient disponibles rapidement. En particulier, l'économie de l'énergie disposait de longue date de modèles numériques et conceptuels éprouvés. Par contraste, l'économie de l'environnement est peut être une branche relativement plus jeune. Il nous semble que mobiliser ses outils dans les évaluations du GIEC, et en particulier dans les modèles d’évaluation intégrée, pourrait être une tache importante. Cela pourrait apporter des éléments de réponse à plusieurs questions qui restent encore apparentes :

• On trouve encore peu d’analyses historiques reliant le problème actuel au déroulement des crises environnementales précédentes.

• Le problème des valeurs non marchandes reste pour une large part à explorer, avec en particulier la question encore délicate de la valorisation statistique de la vie humaine. Pour se limiter aux incidences liées à l'usage des ressources, ce qui est très loin d'épuiser le problème des préférences sociales pour la qualité de l'environnement, le GIEC souligne28 :

Les incidences non liées au marché telles que la dégradation de la santé humaine, le risque de mortalité et la détérioration des écosystèmes représentent une part importante des estimations disponibles sur le coût social de l'évolution du climat. L'estimation des dommages hors marché est cependant très incomplète et possède un caractère hautement spéculatif.

• Ce second problème fait déboucher sur une troisième question, cruciale mais pour laquelle on peut ressentir un grand manque d’éléments quantitatifs appropriés : comment évaluer les bénéfices de l’action ?

En conclusion, le GIEC est un effort de coopération internationale qui fonctionne. Il est sans précédent pour ce qui concerne le Groupe III, l’économie. Il est encore très jeune par rapport au temps de la science et au temps du problème qu’il analyse, mais ses analyses ont déjà progressé notablement entre le premier et le second rapport d’évaluation. L’avenir du GIEC reflétera l’évolution des travaux de la communauté scientifique, que nous allons voir maintenant.

Documents relatifs