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Atmosphère Océan

Chapitre 3. Du changement climatique au problème de décision

2. Aspects socio-économiques: le sans regret et au delà.

2.2. Les actions sans regret.

La distinction entre les diverses définitions possibles des coûts que nous venons de rappeler permet de comprendre une partie du débat scientifique soutenu ayant eu lieu autour de la question de l’existence et de l’importance pratique des actions « sans regrets »a33 : pourquoi certaines mesures, qui apparaissent rentables en elles-mêmes et apportent en plus un bénéfice pour l'environnement global,

a

On appelle actions sans regret, ou mesures utiles en tout état de cause, les mesures dont les bénéfices sont au moins égaux à leur coût pour la société, quels que soient les avantages apportés par l'atténuation des incidences de l'évolution du climat.

2000 2020 2040 2060 2080

Coûts de réduction (% GWP courant)

0.25 0.5 0.75 1 1.25 1.5 1.75 2 Total Permanent Adjustment

Figure 3.3 : Coûts de réduction

Une répartition possible des coûts permanents et des coûts d’ajustement, pour la réduction des émissions de CO2 , sans actualisation. On considère ici un programme de réduction des émissions qui suit une courbe en S,

visant une réduction de 50% au bout de 50 ans. La courbe représentant les coûts d’ajustement est un pic, qui atteint son maximum au milieu du programme de réduction, après 25 ans. C’est à cette période que l’on gagne chaque année le plus de points de réduction. Par contre, le coût permanent augmente en S, en suivant le niveau de réduction, pendant les 50 années du programme. Il décroît ensuite exponentiellement avec le progrès technique autonome. La dépense courante à chaque date est le total des deux courbes précédentes, c’est le coût de réduction.

n’ont pas été mises en place ?

Dans cette section, nous allons exposer synthétiquement l’autre partie du débat, en définissant plus précisément ce qu’on entend par « bénéfices sociaux justifiant des actions sans regret ». Ceux ci peuvent être de trois ordres : potentiel de coût négatif, double dividende économique, double dividende environnemental.

Le double dividende environnemental

Le double dividende environnemental désigne la synergie entre les stratégies de réduction des émissions de gaz à effet de serre et les réductions des autres nuisances environnementales comme la pollution locale de l'air, les encombrements routiers, la dégradation des solsa. Son existence pouvant difficilement être remise en question, nous nous proposons ici de montrer son importance pratique. Pour cela, nous exposerons un cas concret, l'acidification en Asie.

L'IIASA34, en partenariat avec le CIRED, illustre le bénéfice de réduire les émissions sur le problème de l'acidification en Asie. Il utilise le modèle RAINS, qui couple un module énergie-émissions, un module transport-retombées de pluies acides et un module d'impact sur les écosystèmes. Le module d'impact calcule la charge critique en soufre pour chaque région, c'est à dire le niveau de retombées qui ne cause pas à long terme de dommages aux écosystèmes locaux. Les modules d'émissions- transport permettent de leur côté d'estimer quelles seraient les retombées dans tel ou tel scénario. Le rapprochement de ces deux résultats permet de tracer la carte des lieux où la charge critique est dépassée. RAINS permet donc de simuler l'impact sur les écosystèmes d'un scénario économique et énergétique donné. Cette simulation permet de comparer trois scénarios :

• Soit F un scénario de référence dans lequel les émissions croissent sans contrainte environnementale. La Figure 3.4 représente, pour l'Asie de 2050, les régions de dépassement de la charge critique dans le scénario F. On voit que ces régions sont largement étendues, il apparaît donc que ce scénario est inacceptable.

• L'IIASA définit alors un scénario FS en imposant une contrainte sur les retombées acides, sans poser de contrainte sur les émissions de CO2 . Dans ce scénario, les émissions de soufre sont notablement réduites par rapport à F, mais pas les émissions de CO2 . Cela n'est pas une surprise. La plupart des émissions de S peuvent être captées, par exemple grâce à des filtres de désulfuration sur les cheminées. En conséquence, on peut dire qu'il n'y a pas un grand double dividende environnemental à réduire les émissions de soufre.

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On peut dire aussi qu’il s’agit des autres externalités environmentales positives des actions visant à modérer le changement climatique.

• Examinons maintenant la réciproque : soit FC un scénario défini en imposant une contrainte sur la concentration de CO2 , sans poser de contrainte sur les émissions de S. Dans FC, les émissions de CO2 sont notablement réduites par rapport à F. Mais de plus, les émissions de soufre sont aussi notablement réduites, pratiquement au même niveau que dans FS. Ce résultat est aussi intuitif, puisque la réduction des émissions de CO2 s'obtient en consommant moins d'énergies fossiles, et surtout de charbon riche en soufre. Il apparaît donc que parvenir à limiter les émissions de CO2 limite, en prime, les émissions de S. Dans ce cas, il existe un double dividende environnemental significatif.

Ces résultats sont repris Tableau 3.3. L'IIASA les a complétés en examinant les coûts supplémentaires de FC et FS par rapport à F. Les disparités géographiques et temporelles, non explicitées ici, sont significatives. Mais globalement, il apparaît que le coût de FS est 40 quand le coût de FC est 100. Cela signifie que dans le cas étudier, on pourrait imputer de l’ordre de 40% du coût de la réduction des émissions de CO2 à la lutte contre l'acidification régionale. Le double dividende environnemental peut à lui seul justifier la notion d'actions sans regrets.

Figure 3.4 : Retombée soufrées dépassant la charge critique en Asie, 2050.

Source IIASA (1997), scénario F. Le niveau de pluies acides dépasse ce que l'on a pu connaître de pire en Europe Centrale et de l'Est. Dans ce scénario, on peut par exemple estimer que les récoltes en Chine sont diminuées d'au moins 10% à cause des dommages directs dus à l'acidification. Dans ce pays, des écosystèmes seraient dévastés sur plus de 200 000 km² , suite à des excès supérieurs à 20 gS/m².

Scénario F FS FC

Emissions de Carbone (GtC) 13,5 12,5 9,5 Emissions de Sulfures (MtS) 130 70 70 Tableau 3.3 : Emissions mondiales de C et de S en 2050.

Deux approches différentes

L’existence des deux autres justifications possibles du sans regret, le potentiel de coût négatif et le double dividende économique, est moins évidente.

Le double dividende économique correspond aux avantages économiques indirects découlant des politiques visant à limiter les émissions. Le produit d'une taxe sur le carbone pourrait par exemple servir à diminuer la fiscalité sur le travail, et améliorer ainsi l'emploi et la croissance. Accélérer les programmes de recherche et développement pourrait avoir des retombées positives dues par exemples aux externalités de réseau ou autres.

La notion de réalisation d'un potentiel de coût négatif vise à souligner l'existence de technologies à la fois moins polluantes et plus économiques que les technologies actuellement employées.

La question de l'existence d'un potentiel de coût négatif et d'un double dividende économique, s'inscrit dans une tradition d'étude des systèmes énergétiques qui remonte à plusieurs décennies37, 38. Posée dans le cadre du problème du changement climatique, elle peut se traduire par "Est ce si cher que ça de réduire les émissions ?" La Figure 3.5 illustre deux vues différentes sur le coût de réduction des émissions. Ces deux vues illustrent les résultats de deux approches de la modélisation des systèmes énergétiques. -2% -1% 0% 1% 2% 3% 4% 5% 6% 7% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

Réduction des émissions de GES

Coût total

(Fraction de la production mondiale)

Nordhaus Cline 5.2 ++forestry

Figure 3.5 : Différentes vues sur le coût de réduction des émissions.

La figure montre l'existence d'un potentiel de réduction à coût négatif ou nul de l'ordre de 20-30%. D'après Nordhaus35 et Cline36.

Les deux premières courbes sont ajustées d'après les résultats de divers modèles. Elles ont pour équation, pour un taux de réduction x compris entre 0 et 1 :

Nordhaus y = e-2,679x2,89

Cline 5.2: y = - 1.16% + 9.1% x - 0.0246% (year - 1990)

++forestry Cette courbe, prend en compte deux éléments de plus que les précédentes. Premièrement, elle se base à la fois sur les résultats des modèles ascendants et descendants. Comme ces derniers aboutissent généralement à des coûts de réduction inférieurs, cela tend à descendre la courbe par rapport à la précédente. Deuxièmement, elle inclut la possibilité de capturer du carbone par la reforestation. Le coût d'un programme de reforestation est positif mais faible, il correspond à la hauteur de la partie plate de la courbe entre 25 et 40%.

• L'approche descendante (top-down en anglais), analyse les comportements agrégés en se basant sur des indices de prix et d'élasticités. La courbe d'après Nordhaus39 est une exponentielle ajustée d'après les résultats de diverses modèles de ce type, illustrés par exemple dans le GIEC40. Par construction, il n'y a pas de coûts négatifs.

• L'approche ascendante (bottom-up en anglais), dépend d'analyses détaillées des potentiels techniques, se centrant plus sur l'intégration des coûts et des performances des techniques concrètes. De telles approches montrent souvent un fort potentiel de coûts négatifs. Les deux autres courbes de la Figure 3.5 montrent une possibilité de réduire les émissions d'environ 20% à coût négatif. La première, notée "Cline 5.2" est aussi ajustée d'après des modèles descendants mais il s'agit d'une droite.

Les approches ascendantes sont mieux adaptées pour discuter les coûts technico-financiers, alors que les approches descendantes privilégient les coûts en PIB. Signalons aussi un problème réel de communication scientifique entre deux cultures, ingénieurs et économistes.

Mais au fond, on voit que ce sont les mêmes données qui supportent deux interprétations différentes. En effet, c’est le choix du type de courbe ajusté, exponentielle ou droite, qui permet de poser ou d’exclure a priori la possibilité de coûts négatifs. Il apparaît que contrairement à ce qu’on aurait pu penser en premier abord, la différence ne provient pas tant de l’approche choisie (ascendante ou descendante), mais de visions divergentes sur la nature de l’économie.

Des vues différentes sur l’économie

Pour qu’un potentiel de coûts négatifs existe, il faut que l'économie ne soit pas sur la frontière de production efficace. En d’autre termes, si il existe des distorsions des marchés qui contribuent à augmenter les émissions, alors il peut être possible, en réduisant ces inefficacités, d’améliorer l’activité économique tout en réduisant la pollution41.

Concernant l’état actuel de l’économie, même si tous les modèles ne le représentent pas explicitement, il semble que l’on puisse constater l’existence d’inefficacités significatives dans la production et la consommation d’énergie dans de nombreuses régions du monde. Par exemple, les pertes en ligne dans la transmission et la distribution d’électricité sont de l’ordre de 22% en Inde, contre moins de 10% dans les pays développés42. Toutefois, cet exemple illustre aussi la distance entre l’identification de l’existence d’un potentiel et sa mise en oeuvre pratique. Il permet de souligner une première fois l’importance de prendre en compte les coûts d’ajustement dans l’évaluation.

Concernant la vision de l’état futur de l’économie, les analyses sont instrumentées par la construction d’un scénario de référence, par rapport auquel les coûts de réduction sont calculés. Or, on comprend que si l'on se donne une situation de référence à 2050 très peu efficace énergétiquement, alors il est naturel de trouver des coûts marginaux de réduction plus faibles que si l’on suppose que la référence est déjà très efficace. Le problème est qu’à long terme, les deux hypothèses sont défendables. Les différences sur l’existence d’un potentiel sans regret illustrées Figure 3.5 reflètent donc des visions différentes quand à la persistance, dans l’évolution du monde non perturbée par les politiques climatiques, de déficiences du marché (market failures en anglais) et/ou de déficiences institutionnelles (institutional failure en anglais) génératrices d’inefficacité.

Les différents résultats sur l’existence d’un potentiel sans regret sont donc difficilement comparables entre eux puisqu’ils relèvent d’hypothèses différentes sur l’évolution à long terme de l’économie. Malgré ces divergences, il est toutefois frappant de constater une certaine cohérence sur un message politique essentiel43 :

La littérature indique que la plupart des pays ont la possibilité de prendre des mesures "sans regrets". Le risque global net de dommages imputables à l'évolution du climat, la prise en compte de l'aversion pour le risque et le principe de précaution justifient l'adoption de mesures plus ambitieuses que les mesures "sans regrets".

Le GIEC44 s'accorde à dire que des améliorations sensibles de l'efficacité énergétique, de l'ordre de 10%-30%, peuvent être réalisées en deux à trois décennies à des coûts négatifs ou négligeables, avec un potentiel nettement plus élevé à long terme. Cette citation montre clairement que les analyses économiques convergent pour signifier aux décideurs l'existence d'une marge de manoeuvre significative, même sans compter le double dividende environnemental dont l’existence et l’importance ne fait pas de doute.

2.3. Le principe de précaution

Le principe

Le principe de précaution principe: (Godard et alii45) est ainsi formulé par la Déclaration de Rio46 :

En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre a plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement.

Pour le changement climatique, le risque de dommages graves ou irréversibles est clair, ainsi que l'absence de certitude scientifique absolue. Le principe justifie donc non seulement d'exploiter la marge de manoeuvre identifiée ci dessus, mais d’aller au delà. Le principe fonde des actions limitant la souverainetéa des États, qui sont à défaut libres de leurs activités à moins que et jusqu'à ce que un lien causal entre une activité et un dommage particulier soit établi.

Les actions de politique climatique se classent usuellement en deux catégories, l'adaptation et l'atténuation. Le principe de précaution visant à prévenir la dégradation de l'environnement, il pourrait donc sembler concerner davantage l'atténuation que l’adaptation. Toutefois, et même si les négociations internationales actuelles portent également davantage sur l’atténuation, l’importance d’une politique pro-active d’adaptation au changement climatique ne saurait en être diminuée. Compte tenu des émissions passées et des inerties, un certain changement climatique est inévitable au cours du prochain siècle.

Décision séquentielle

Appliquer le principe de précaution, c'est prendre des mesures à temps, donc avant de disposer de toute l'information, quitte à réviser les choix ensuite. Bien qu’elle ne soit pas au centre de tous les modèles, la notion de décision séquentielle, synthétisée ci dessous par le GIEC47, est au centre de toutes les analyses sur les politiques climatiques48 :

Le problème n'est pas de définir aujourd'hui la meilleure politique pour les 100 ans à venir, mais de choisir une stratégie avisée et de l'adapter ultérieurement à la lumière des progrès des connaissances.

Pour rapprocher cette problématique de celle du développement durable on pourrait écrire que : Les mesures prises aujourd'hui doivent avoir un coût raisonnable pour la génération présente et laisser une situation suffisamment flexible pour la suite. La question de la fonction « coûts de réduction » globale à long terme n’est peut être pas insaisissable. Mais la nature séquentielle de la décision permet de minorer son importance, en la remplaçant par deux autres, concernant le coût à court terme et la flexibilité à moyen terme.

Les décisions concernant la mise en place des infrastructures économiques comme les réseaux de transports ou de distribution d’énergie, par exemple, peuvent avoir des effets importants sur les politiques futures concernant les émissions de gaz à effet de serre. En effet, des alternatives aux coûts

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Réaffirmée elle aussi dans la Déclaration de Rio, Principe 15: Conformément à la Charte des Nations Unies et

aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres Etats ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale.

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