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Chapitre 2. Les conditions du problème du changement climatique

1. Aspects géophysiques: Un système susceptible de surprendre

1.2. De grandes incertitudes subsistent.

L'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre va affecter le climat, mais on ne sait pas encore bien précisément comment. Les différentes composantes du climat terrestre interagissent d'une façon complexe, causant des variations naturelles dont beaucoup sont encore mal comprises au- jourd'hui. A cause de l'augmentation rapide sans précédent des concentrations de gaz à effet de serre, nous entrons à long terme dans un régime climatique nouveau, inexploré jusqu'ici. Mais nous allons voir que même si nous comprenions d'une façon nettement meilleure le système climatique actuel, le futur pourrait nous réserver des surprises.

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Un changement déjà rapide

Lorsque la dernière glaciation a pris fin, la concentration de gaz carbonique est passée de 180 à 300 parties par million en l'espace d'une centaine d'années. La paléoclimatologie donne aussi des exemples de bouleversement importants de la circulation océanique en moins d'un siècle3. Ces exemples sont confirmés par les simulations numériques et par la théorie.

Aujourd’hui, on ne mesure pas encore les conséquences du fait que la vitesse de variation de la tem- pérature actuelle, de l’ordre de 0.5°C par siècle est sans commune mesure avec la vitesse moyenne de réchauffement à la fin de la dernière ère glaciaire, 1°C par millénaire. Lovelock4 compare l’augmentation du forçage radiatif à l’effet d’une balle: un événement très bref mais très rapide peut avoir des conséquences très importantes. Jusqu’à présent toutefois, les modèles climatiques ont ex- ploré les conséquences d’une concentration élevée mais stable de gaz à effet de serre davantage que les chemins de transition.

a

Particules microscopiques en suspension dans l'air provenant de l'utilisation des combustibles fossiles, de la biomasse, et d'autres sources. Voir cependant Cane et alii (Science 275, 957-961).

b Le forçage radiatif est l'unité simple exprimant la perturbation du bilan énergétique du système sol-atmosphère,

exprimée en Wm-2 . Cette unité permet de mesurer l'ampleur d'un mécanisme susceptible de conduire à un changement climatique. Au prix de l'utilisation de modèles plus ou moins sophistiqués, elle permet de comparer sur une même échelle l'effet de gaz différents.

L’échelle de temps pour l’évolution de la société humaine se situe entre plusieurs années et plusieurs décennies5. L’unité convenable pour étudier le climat est plus difficile à définir, tant les échelles de temps sont étendues de plusieurs décennies à plusieurs millénaires. Il apparaît toutefois que le temps d’évolution de la société humaine et celui du climat pourraient être comparables, à l’échelle de la décennie. Pour la suite de cette thèse, il importe de noter ce point : l'évolution du climat peut ne pas être lente devant l'évolution de la société.

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Un changement important à long terme

Si les scientifiques se préoccupent aujourd’hui davantage du risque lié à la vitesse du changement climatique, le risque lié à la magnitude du changement reste très significatif à long terme, comme le rappelle Cline6. Dans le scénario de référence IS92a, la concentration de CO2 atmosphérique atteint

un niveau de 650 ppmv avant la fin du XXIe siècle. Si elle se stabilisait instantanément à ce niveau, l’augmentation de température à l’équilibre pourrait être comprise entre +2.5°C et +7°C. Ce réchauf- fement est comparable à celui, de l’ordre de 5 à 7°C, qui s'est produit entre le dernier âge glaciaire et l'époque actuelle.

Si l'on suppose que l'on ne fait rien pour réduire les émissions, les modèles numériques indiquent7 que la température moyenne de surface de la terre augmentera de 1 à 3 degrés C au cours des 100 pro- chaines années. Cette augmentation est plus importante et probablement plus rapide que tout ce qui s'est passé au cours des derniers 9000 ans. Même si des incertitudes subsistent et justifient une inten- sification de la recherche, les conditions générales du problème du changement climatique sont suffis- amment claires pour motiver les négociateurs de la Convention Climat. A long terme, il est nécessaire de réduire les émissions de gaz à effet de serre bien en dessous du niveau actuel, afin d’éviter de subir des conséquences graves.

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Risque de surprises

Les systèmes non linéaires connaîssent des catastrophesa , et le système climatique l’est. Ces change- ments brutaux sont d’autant plus vraisemblable que le système est soumis à des perturbations impor- tantes et rapides, et nous venons de montrer qu’ils l’étaient aussi. Donnons trois exemples :

• Nous ne saurions mieux exposer que Jean-Claude Duplessy8, la question de la stabilité de la circu- lation thermohaline dans l’Atlantique Nord et du climat Européen :

« Grâce au Gulf Stream, l'Europe occidentale connaît des températures extrêmement douces par rap- port aux régions situées aux mêmes latitudes. Ce courant pompe de la chaleur dans l'hémisphère Sud et la restitue dans l'hémisphère Nord, comme un énorme tapis roulant avec une partie en surface, et autre, invisible, en profondeur. C'est dans la partie Nord de l'Atlantique que les eaux refroidies plon- gent pour continuer leur circuit. Lorsqu'elles ne plongent plus, et il pourrait suffire pour cela d'un apport très important d'eau douce en surface, le Gulf Stream se ralentit ou s'arrête. Un tel phénomène s'est produit il y a 12 600 ans, au sortir de la glaciation du Dryas récent, avec la débâcle des glaces arctiques. L'hémisphère Nord a connu un retour de l'ère glaciaire qui a duré mille ans et dont il est sorti , aussi vite qu'il y était rentré, en moins de 70 ans. Tout cela aurait pu se reproduire plus ré- cemment : entre 1965 et 1980, on trouvait une énorme lentille d'eau peu salée entre le Groenland et la Norvège. Pour le futur, des simulations numériques confirment la possibilité d'un affaiblissement de la circulation océanique, temporaire ou définitif selon les hypothèses concernant les émissions de gaz à effet de serre. »

• La plus importante source connue de variabilité interannuelle du climat est le phénomène El Niño - Oscillation Australe (ENSO). Il s’agit d’un affaiblissement des alizés accompagné d’un reflux vers l’est des eaux superficielles chaudes du bassin pacifique. Ce mouvement modifie les transferts d’énergie de l’océan vers l’atmosphère et perturbe complètement la circulation atmosphérique : sé- cheresse à l’est du Pacifique et pluie à l’Ouest, mais aussi sécheresse en Afrique et sur la côte At- lantique de d’Amérique du Sud9. Le changement de son comportement vers 1976/77, marqué par

une persistance sans précédent connu entre 1990 et 1995 et une intensité record en 1997, pose aux experts du changement climatique une question qui reste à traiter dans les rapports du GIEC.

• La dislocation de la calotte glaciaire Ouest-Antarctique provoquerait une montée rapide du niveau des mers. Le problème est que ces glaces reposent sur un socle rocheux à une altitude inférieure au niveau de la mer. L’équilibre est donc instable puisque la densité de l'eau est supérieure à celle de la glace. La question est d’autant plus sérieuse que la dynamique d’écoulement de la glace a pu connaitre récement des variations rapides mal expliquées10.

Ces trois exemples sont souvent cités car la recherche actuelle s’en préoccupe beaucoup, non sans un certain succès : le dernier événement El Niño a été prédit11 et il semblerait possible de prévoir la vari- abilité climatique multidécennale de l’Atlantique Nord1213.

Toutefois, l’énumération ci dessus n’est pas limitative, il ne s'agit que d'exemples illustratifs. Certes, la connaissance scientifique du système climatique progresse à un rythme soutenu, mais la complexité du Monde demeure. La débâcle en 1997 du "glacier de feu" Vatnajökull, conséquente à l'éruption du volcan Grimsvötn en Islande, rappelle l’existence d’événements naturels extrêmes imprévisibles.

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