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TERRITOIRES DE GESTION ET TERRITOIRES POLITIQUES

A CHAQUE DEPARTEMENT , SES LOGIQUES DE DECOUPAGES

4. Orientations pour la mise en œuvre locale de l’action sociale

4.1. Sectoriser ou désectoriser ?

Le métier d’assistant social s’est construit sur le modèle de la « polyvalence de secteur », selon lequel un assistant social répond à l’ensemble des besoins de la population résidant dans le secteur dont il a la charge. La « circonscription » se trouve ainsi découpée en autant de secteurs qu’il y a d’assistants sociaux. Dans ce modèle, le territoire se trouve au centre de la relation entre l’assistant social et la population résidante. Les tenants de ce type d’organisation soulignent la connaissance très fine qu’a acquise l’assistant social de son secteur, ce qui lui permet d’exploiter au mieux les ressources locales et de travailler en partenariat étroit avec les acteurs locaux ; ses détracteurs lui reprochent de favoriser une relation de dépendance de la population vis-à-vis du travail social ainsi qu’un enfermement des deux parties sur le périmètre restreint du secteur. Ces débats sont anciens ; ils ont pris naissance au cours des années 70 au moment de la remise en cause générale de la profession d’assistant social, alors que de nouvelles méthodes d’intervention se diffusaient, moins

78 Le terme d’usagers tend à s’imposer pour désigner les personnes auprès desquelles les travailleurs sociaux

centrées sur le travail individuel et davantage tournées vers une action préventive et collective. Trente ans après, la tendance est à la « désectorisation », même si la question continue de faire débats.

• Les modèles observés

Les deux modèles, sectorisé et désectorisé, ont été rencontrés à parts égales au fil des quinze « circonscriptions » d’action sociale visitées. A partir de cet échantillon restreint, nous ne prétendons pas aborder l’ensemble des modalités locales d’organisation du travail des assistants sociaux départementaux. Néanmoins, la diversité des déclinaisons locales des deux modèles, sectorisé et désectorisé, laisse apparaître quatre types d’organisation.

Un certain nombre de « circonscriptions » continue de fonctionner selon le modèle

sectorisé. Leur configuration demeure très variable : certaines comptent des communes

rurales de faible densité, d’autres sont composées d’une ou deux communes urbaines au tissu urbain serré. Ce modèle sectorisé peut subir, en outre, de fortes distorsions : certains secteurs se révèlent être discontinus, composés de morceaux de quartiers ou de communes, voire même d’une suite d’adresses. De telles constructions relèvent parfois de choix délibérés : il s’agit par exemple de répartir la charge d’un quartier « lourd socialement» entre plusieurs assistants sociaux79. Ainsi, un quartier d’habitat social, classé ZUF dans le cadre de la politique de la ville, est partagé entre plusieurs assistants sociaux, qui ont par ailleurs chacun la charge d’une ou deux communes rurales, entrant également dans la composition de la « circonscription ». Cependant, le morcellement des secteurs ne procède pas toujours de choix délibérés. Il a pu aussi se construire au fil des ans et des ouvertures de poste : on affecte par exemple au nouveau venu des bouts de secteurs « difficiles » pour alléger les charges de travail des collègues. Un deuxième type d’organisation combine une organisation de l’accueil désectorisé, et une organisation du suivi des « usagers » sur un modèle sectorisé.

Un troisième type d’organisation, concerne quelques circonscriptions complètement

désectorisées. Ces circonscriptions encadrent bien souvent un nombre de travailleurs sociaux

relativement peu élevé et fonctionnent selon le principe suivant : les situations sont réparties entre les assistants sociaux au fur et à mesure qu’elles se présentent, quel que soit le lieu de résidence de l’usager. Dans ce modèle désectorisé, il est assez fréquent que l’équipe d’assistants sociaux soit partagée entre deux fonctions : l’accueil d’un côté, et

79 Et éventuellement la prime attribuée aux assistants sociaux qui travaillent en ZUS le cas échéant, sans

l’accompagnement de l’autre. La spécialisation d’une partie des assistants sociaux rompt ici avec le modèle de la polyvalence de secteur.

Enfin, un quatrième type d’organisation concerne en priorité de grosses équipes,

désectorisées dans le cadre de « grands secteurs ». Chacun de ces « grand secteur », regroupe

trois ou quatre assistants sociaux, ou bien un groupe plus conséquent, pouvant compter une petite dizaine de personnes. Ce type d’organisation est justifié par plusieurs arguments. D’une part, désectoriser une équipe d’une trentaine d’assistants sociaux, auxquels il faut ajouter les autres travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés, conseillères en économie sociale et familiale…) et le secrétariat, constitue un projet difficile à mettre en œuvre, tant du point de vue de la gestion que de l’animation de l’équipe. En outre, cette forme de désectorisation réintroduit un ancrage territorial, dont certains responsables de circonscription ont souligné l’intérêt lorsqu’il s’agit de travailler en partenariat avec d’autres acteurs locaux. Ce point sera plus particulièrement abordé dans le chapitre 8.

On relève que différents types d’organisation peuvent coexister dans une même « circonscription d’action sociale » : ici, une commune découpée en trois grands quartiers, dont l’un seulement est organisé selon le modèle désectorisé ; là, une circonscription composée de deux communes, dont la plus petite est complètement désectorisée, tandis que la plus grande continue d’être gérée selon le modèle sectorisé.

• Du point de vue des conseils généraux

L’investissement des conseils généraux et de leurs administrations centrales dans ces questions d’organisation locale apparaît inégal. A notre connaissance, seul le conseil général de l’Essonne et celui du Val-de-Marne ont délibéré sur ces questions. Dans l’Essonne, la question de la sectorisation n’a pas été abordée en tant que telle, mais seulement comprise comme le moyen de renouveler les conditions d’accueil des usagers. Face aux problèmes posés par les permanences surchargées et les délais de rendez-vous trop longs, le choix a été fait d’organiser un accueil désectorisé, sans rendez-vous, les personnes devant être accueillies au fur et à mesure qu’elles se présentent. L’organisation du suivi des « usagers », pour lesquels une réponse immédiate et/ou ponctuelle n’est pas suffisante, est laissée à la discrétion des responsables de circonscription. Ce choix est très récent puisque début 2005, il se trouvait en cours d’application localement.

La position du conseil général du Val-de-Marne en faveur de la désectorisation demeure, quant à elle, très explicitée. Le conseil général s’est prononcé en 2002 sur un accueil désectorisé et a placé très clairement la désectorisation de l’accompagnement des usagers

comme horizon à atteindre. On en veut pour preuve l’introduction du rapport, sur la base duquel le conseil général a délibéré (cf. annexe 6), et dans lequel sont présentées les « évolutions identifiées comme nécessaires » :

« … aujourd’hui, la plupart des circonscriptions sont divisées en « secteurs », et à

chacun d’eux est affecté un assistant social. Demain, l’organisation évoluera vers un travail concerté de plusieurs professionnels intervenants sur un même territoire, qui pourra être une commune, un quartier, voire un espace intercommunal.» (CONSEIL

GENERAL DU VAL-DE-MARNE, 2002a, p. 1)

Les conseils généraux de la Seine-et-Marne et des Yvelines, qui se sont prononcés très explicitement sur le découpage et l’organigramme du niveau des « circonscriptions », comme nous l’avons exposé précédemment, ont laissé les questions d’organisation locale de l’accueil et du suivi des usagers à la discrétion des responsables de circonscription. Les conseils généraux de la Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine ne se sont pas non plus prononcés sur le sujet – même s’il existe des orientations assez nettes au sein des directions, soit en faveur de la désectorisation de l’accueil et du suivi, soit en faveur de la désectorisation de l’accueil uniquement.

• Du point de vue des « circonscriptions »

Dans tous les cas, au responsable de circonscription revient la tâche de répartir les charges de travail, d’organiser l’accueil et le suivi des usagers en suivant les directives du conseil général lorsqu’elles existent. Il doit aussi, le cas échéant, définir les secteurs. Localement, les arguments avancés dans le choix de telle ou telle option sont multiples. On peut énumérer les principaux, sachant que certains sont davantage mis en avant que d’autres selon les lieux et les personnes.

Un premier argument tient à la prise en compte des souhaits des équipes d’assistants sociaux. Ainsi, les responsables de « circonscription » nous ont présenté, de façon récurrente, le volontariat des équipes comme une condition indispensable à un projet de désectorisation. Un deuxième type d’argument relève de considérations pratiques, qui peuvent encourager tout aussi bien le choix d’une organisation sectorisée ou désectorisée. En particulier, la répartition de la charge de travail s’effectue différemment dans les deux cas. Dans le modèle d’organisation sectorisé, il s’agit de découper la circonscription en secteurs de « poids » égal, ce poids étant apprécié notamment à l’aide d’indicateurs statistiques (en fonction du nombre de RMIstes par exemple). Dans le modèle d’organisation désectorisé, il s’agit cette fois de répartir les dossiers, certains « pesant » plus lourd que d’autres. Mais comment mesurer la

charge de travail représentée par le montage et le suivi d’un dossier RMI, d’un FSL80, ou encore d’une action de protection de l’enfance ? La tâche est d’autant plus ardue que cette charge peut varier selon les méthodes et les approches des assistants sociaux eux-mêmes. Dès lors, l’impossibilité d’identifier des secteurs équivalents peut être avancée comme un argument justifiant la désectorisation, de même que les difficultés rencontrées pour envisager une répartition équitable du travail peuvent être avancées comme un frein puissant à la désectorisation. Dans le même ordre de considérations pratiques, la gestion des postes non pourvus et des absences de toutes sortes est apparue de façon récurrente comme un argument en faveur de la désectorisation. On imagine aisément qu’il est plus facile de répartir le travail relevant du poste vacant dans une organisation désectorisée. Ainsi, on nous a rapporté le cas de la désectorisation d’une petite circonscription, au départ dans le cadre de trois « grands secteurs » correspondant à trois grandes cités d’habitat social, qui ont été progressivement réunis pour faire face à la vacance plus ou moins temporaire de l’un ou l’autre poste. C’est suivant des considérations essentiellement « pratiques » que la circonscription a été progressivement complètement désectorisée.

Un troisième type d’argument tient au projet d’action sociale lui-même. Le travail en partenariat avec les autres acteurs locaux a été présenté comme étant plus ou moins facilité par l’une ou l’autre organisation selon les lieux et les points de vue. Il en est de même de la possibilité de mettre en place un travail collectif avec les usagers (groupe de bénéficiaires du RMI par exemple) ou encore le montage de projet de prévention (groupe de parole sur la parentalité ou sur la maltraitance par exemple). Un argument qui fait consensus chez les partisans du modèle désectorisé tient à la possibilité de faire intervenir plusieurs assistants sociaux sur un même territoire, voire autour du cas d’un même usager. Selon les responsables de « circonscription » qui l’ont évoqué, l’intérêt de ce « partage des dossiers » entre les travailleurs sociaux revêt soit une portée générale, le modèle sectorisé faisant alors figure d’archaïsme, soit une portée plus limitée à certaines configurations locales. Ainsi, un responsable a mis en avant l’intérêt de multiplier les intervenants sur un même immeuble dans le cadre de regroupements de familles – d’origine africaine en l’occurrence - autour d’une même cage d’escalier. On note que dans cette circonscription, la désectorisation est organisée en « grands secteurs », qui ont été construits de manière discontinue, afin de répartir la charge de travail équitablement et « de façon à ce que gens qui ont des quartiers très lourds aient

aussi des espaces moins lourds ». On note qu’il s’agit autant de répartir les charges de travail,

que de permettre aux assistants sociaux d’intervenir également sur des espaces moins défavorisés. Cette nécessité de diversifier les terrains d’action pour les assistants sociaux qui travaillent dans les contextes les plus durs a été évoquée par plusieurs responsables. Il ne s’agit pas seulement de « changer d’air » mais de sortir du travail en urgence et de l’accompagnement de familles en très grandes difficultés. Enfin, les tenants du modèle désectorisé ont souligné que ce type d’organisation favorisait le travail en équipe des assistants sociaux.

Ces questions d’organisation de l’accueil et du suivi des usagers, selon le principe d’une sectorisation de l’espace ou non, peuvent apparaître à première vue purement fonctionnelles. Il est vrai qu’elles sont investies de façon inégale selon les lieux et les acteurs. Il s’est aussi avéré que les arguments relevés au cours des entretiens ne recouvrent que partiellement ceux relatifs à la relation travailleur social/usager et au projet d’action social lui-même, et qu’ils tiennent tout autant à des questions très concrètes d’organisation. On peut certes voir là un appauvrissement du débat et des ambitions pour l’action sociale. On peut aussi considérer que la réalité de terrain s’est imposée, qui témoigne de l’importance des questions d’organisation et de répartition du travail dans un contexte où les postes d’assistant social ne sont pas tous pourvus et où les situations d’urgences sociales sont fréquentes.