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A PPROCHE SPATIALE ET CHOIX METHODOLOGIQUES

5. Choix méthodologiques

5.3. Méthodes qualitatives

Afin d’en apprendre plus sur la genèse des mailles, sur les fonctions qui y sont associées et sur leurs usages, nous avons entrepris de rencontrer des professionnels directement concernés par ces questions.

Le chercheur se trouve inévitablement démuni lorsqu’il prétend poser un regard sur des questions nouvelles pour lui, face à des acteurs qui ont une connaissance intime des

problèmes, façonnée par une pratique professionnelle quotidienne, et ce depuis souvent de longues années. Le sociologue américain Howard S. Becker (2002) a très bien exposé tous les dilemmes que pose au chercheur le recueil de la parole d’autrui et les écueils qui le guette dans cette démarche. Comment trancher entre la volonté de transcrire aussi fidèlement que possible les entretiens menés avec les personnes qui, manifestement, en savent beaucoup plus que nous sur les problèmes que nous abordons, et notre devoir de questionner leur discours, de les remettre en cause finalement, afin de pouvoir y porter notre propre regard ? Nous avons repris à notre compte la « ficelle » proposée par Becker, que lui avait enseigné son professeur Everett C. Hugues27 : il n’y a certainement rien que le chercheur sache qu’au moins un des membres du groupe interrogé ne sache également, mais, comme il sait un peu de ce que chacun sait, il en sait finalement plus que n’importe lequel d’entre eux.

Autrement dit, c’est donc dans la confrontation des points de vue que nous avons situé notre apport. Ainsi avons-nous, autant que possible, multiplié les terrains de recherches, de façon à pouvoir mettre en série les entretiens. Ces entretiens ont été menés selon la méthode des entretiens semi-dirigés, à partir d’une grille établie par avance mais utilisée de manière très souple (on trouvera cette grille dans l’annexe 2). Nous avons effectivement modulé les entretiens suivant les spécificités locales et suivant l’état d’avancement de notre connaissance des questions abordées. En outre, il nous faut avouer que l’approche spatiale et a fortiori la question des découpages du territoire ne présentaient pas toujours un intérêt évident pour certains de nos interlocuteurs. Plus généralement, nos questions sur les tracés des découpages, sur les fonctionnements et disfonctionnement des partenariats pouvaient revêtir une dimension politique qui, bien que d’envergure locale, nécessitait parfois qu’une certaine confiance soit établie pour être évoquée.

Nous avons enquêté principalement auprès de quatre types d’acteurs. Après avoir déterminé dix territoires d’études, qui nous semblaient représentatifs de la variété des contextes locaux de précarité sociale (cf. chapitre 5 pour la sélection de ces territoires et l’annexe 3 pour une présentation de chacun d’entre eux), nous nous sommes intéressée, dans un premier temps, aux acteurs locaux. Concernant l’action sociale départementale, nous avons rencontré des responsables de « circonscription d’action sociale », qui présentent la particularité d’être à l’interface entre l’institution du conseil général et les travailleurs sociaux, et qui sont responsables de l’organisation et de la répartition du travail dans leur

27 Everett C. Hugues était lui-même un ancien étudiant de Robert E. Park, membre fondateur de l’Ecole de

« circonscription ». Concernant la politique de la ville, notre attention s’est portée sur les chefs de projets « politique de la ville », théoriquement mandatés par les communes et l’Etat. Dans un deuxième temps, forte de cette connaissance « du terrain », nous avons rencontré les responsables départementaux d’action sociale des six départements auxquels appartiennent les territoires d’études ainsi que les sous-préfets à la ville. En parallèle à cette série d’entretiens, complétés dans certains cas par des entretiens téléphoniques, nous nous sommes efforcée de rencontrer quelques personnes susceptibles de porter un regard un peu différent, soit du fait de leurs fonctions, soit du fait de leur terrain d’intervention. Seuls les premiers entretiens ont été enregistrés, les autres ont été retranscrits le jour même ou dans les jours suivant l’entretien, à l’aide des notes prises en rendez-vous. Les citations communiquées dans le texte ont été notées au fil de la conversation, elles correspondent à des énoncés qui nous ont semblés particulièrement significatifs.

Nous avons d’abord pris contact avec les personnes que nous souhaitions rencontrer au moyen d’un courrier, accompagné d’une fiche présentant le sujet de notre thèse. Dans certains cas, un rendez-vous a été obtenu suite à ce courrier ; dans d’autres, la demande a été relancée par téléphone. Nous avons essuyé un seul refus. Au total, nous avons ainsi mené 45 entretiens (cf. annexe 1).

Aucun entretien n’a été conduit sous couvert d’anonymat. Néanmoins, nous avons fait le choix de ne pas citer dans le texte le nom des personnes rencontrées, un tel élément n’apportant rien à la confrontation des points de vue. Seuls les noms des « circonscriptions d’action sociale », ou des communes ou encore des départements le cas échéant, auxquels les personnes interrogées étaient rattachées, sont mentionnés lorsque cela apparaît nécessaire à la compréhension du discours. Le genre de la personne rencontrée n’a pas non plus été conservé. L’usage du masculin qui prévaut dans ce cas ne doit pas masquer la large féminisation des professionnels du champ de l’action sociale ni l’exclusivité du genre masculin dans le corps préfectoral rencontré (cf. annexe 1).

Enfin, notre recherche s’est également appuyée sur une analyse des textes officiels ou des documents administratifs relatifs à notre sujet. Il s’agit précisément des textes de loi, de rapports précédents les délibérations des conseils généraux, de brochures destinées à la communication du conseil général, de fiches de postes ou encore de notes de travail que l’on nous a demandé de garder confidentielles et enfin, des textes des contrats d’action publique (contrats de ville et contrat de « grand projet de ville »).

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Lorsqu’il s’intéresse à l’articulation des nombreuses politiques de lutte contre la précarité sociale, le géographe ne manque pas d’être frappé par le fait que chacune est mise en œuvre dans un maillage qui lui est spécifique, et que l’ensemble ainsi constitué est fort discordant. Derrière la question de l’efficacité d’une telle complexité territoriale, se profile celle de son fonctionnement et celle des raisons propres à chaque maillage.

La démarche retenue – analyse de la genèse, des formes et des fonctions des mailles de deux politiques publiques – vise à répondre à ces questions. Elle mobilise une palette d’outils classiques de la géographie, depuis les statistiques jusqu’aux enquêtes de terrain, en passant par l’analyse des cartes des maillages en question.

Conclusion de la première partie

Cette thèse porte sur deux politiques publiques de lutte contre la précarité, l’action sociale départementale et la politique de la ville. La première, classique, est déclinée sur le territoire au moyen de deux maillages emboîtés, les « circonscription d’action sociale » et les secteurs d’action sociale. Ces deux niveaux se trouvent pris dans un mouvement de redécoupages inégaux suivant les départements, « patrons » de l’action sociale depuis les lois de décentralisation du début des années 80. La deuxième, la politique de la ville, appartient à cette nouvelle génération de politique publique, contractuelle, dont l’autorité est partagée entre l’Etat et les communes. Les territoires dans lesquels elle est mise en œuvre, notamment les contrats de ville, participent à la recomposition territoriale à l’œuvre dans l’Hexagone.

Chaque famille de maillage soulève des questions et des enjeux qui lui sont propres. Eut égard à l’injonction récurrente qui est faite de coordonner l’action publique menée en direction des plus démunis, elles méritent également d’être confrontées. Ce sont donc les logiques des découpages, leurs fonctions et leurs usages que nous proposons de mettre au jour. Cette analyse perdrait une grande partie de son intérêt si elle n’était pas connectée avec la cible de ces politiques publiques, à savoir la précarité sociale et, plus particulièrement en ce qui concerne la politique de la ville, son inégale répartition dans l’espace, auxquelles est consacrée la partie suivante.

PARTIE 2.

PRECARITE SOCIALE : FORMES SOCIALES,