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A PPROCHE SPATIALE ET CHOIX METHODOLOGIQUES

2. Le maillage territorial, un objet de recherche

Roger Brunet (BRUNET R., DOLLFUS O., 1990) a largement participé à fixer le vocabulaire utilisé pour décrire les divisions de l’espace géographique, suggérant après discussion, de réserver l’emploi du terme « maillage » aux partitions territoriales, (BRUNET R. 1987a ; RIQUET P., 1987 ; BAUDELLE G., 1997 ; BRUNET R. 1997a) ce qui sera repris par d’autres auteurs et notamment par François Durand-Dastès en 2003 dans son article « maillage » du dictionnaire de la géographie publié sous la direction de Jacques Lévy et Michel Lussault (2003). On note ici que les périmètres d’action de la politique de la ville constituent des « maillages » un peu particuliers, puisqu’ils ne visent pas à couvrir l’ensemble du territoire. Les contrats de ville ne peuvent s’appliquer qu’aux espaces urbains et les quartiers prioritaires, par définition, ne concernent que les quartiers connaissant le plus de difficultés.

Outre les atlas et les recensements assortis d’analyses critiques souvent très stimulantes des nombreuses partitions qui maillent le territoire (AUROUX J., 1998 ; BENOIT J.-M. et al., 1998), les études consacrées aux maillages territoriaux peuvent être classées en trois grands champs, par rapport auxquels nous positionnons notre approche.

2.1. Maillage et projet politique

Claude Raffestin, dans son ouvrage Pour une géographie du pouvoir (1980), a souligné l’intérêt d’étudier les maillages territoriaux, en montrant qu’ils sont partie prenante des projets socio-politiques ou socio-économiques qu’ils encadrent. La définition des départements français en 1789, développée par cet auteur, figure certainement parmi les plus beaux exemples d’un tel projet. Dans le contexte exceptionnel de la Révolution Française, les Constituants ont estimé que le changement de régime ne pouvait que s’appuyer sur un maillage radicalement différent de celui associé au système précédent, à la fois dans ses formes et dans ses principes de découpage – le carroyage étant l’incarnation la plus extrême imaginée alors. La genèse du maillage départemental a été étudiée dans le détail par Marie-Vic Ozouf-Marignier (1989) qui souligne la logique de compromis et la continuité relative avec les limites antérieures qui a finalement prévalu17. Dans une période plus récente, les pays de l’ancienne Europe de l’Est, soumis à des changements politiques de grande ampleur, ont connu de profonds remodelages de leurs maillages territoriaux, offrant un cadre d’étude exceptionnel des différentes déclinaisons des relations entre projet politique et maillages politico-administratifs (MAUREL M.-C., 1984 ; BOULINEAU E., 2003 ; REY V., SAINT-JULIEN T., 2005).

On ne saurait certes, comparer les retouches ou les redéfinitions des maillages utilisés dans l’action sociale à ces bouleversements historiques. En effet, le « passage de pouvoir » en matière d’action sociale auquel on a assisté suite aux lois de décentralisation de 1982 entre l’Etat et les départements a été très précisément encadré par la loi, dans un contexte historique moins marqué par la rupture franche que par la continuité. Pourtant, la redéfinition des « circonscriptions d’action sociale » mérite d’être examinée à la lumière des changements introduits par cette décentralisation. Le département, à son tour « patron » de l’action sociale, ne peut-il pas avoir un intérêt à définir ses propres mailles d’action ?

17 Sur ce thème on consultera également le recueil de travaux établi à l’occasion du bicentenaire de la Révolution

2.2. Maillages et discontinuités

Claude Grasland (1997) a largement contribué à renouveler l’étude des maillages territoriaux en proposant un cadre théorique et un ensemble de méthodes permettant d’appréhender les effets des partitions territoriales sur les structures socio-spatiales. Il a, entre autres, montré comment les maillages pouvaient être à l’origine de « barrières », sur le passage des flux, matériels et d’informations, ou de « discontinuités », affectant cette fois la ressemblance entre des lieux contigus. Dans cette lignée, les travaux de Jean-Christophe François (1995) sur l’espace des collèges, ou encore ceux de Renaud Le Goix (2003) sur les

gated communities de Los Angeles ont souligné tout l’intérêt d’une telle approche. En

étudiant les dérogations à la carte scolaire, Jean-Christophe François a montré les différentiels de perméabilité de ce maillage, certaines de ses limites constituant des barrières quasiment infranchissables pour certains collégiens. De son côté, Renaud Le Goix a pu apprécier dans quelle mesure les communautés fermées renforçaient la ségrégation intra-urbaine.

Les maillages de l’action sociale départementale, tout comme ceux de la politique de la ville, ne sont pas de nature à engendrer de tels effets. Dans un premier temps, nous avions bien formulé l’hypothèse que, dans le cadre de la politique de la ville, la délimitation des « zones urbaines sensibles » (ZUS) pouvait modifier le profil des quartiers concernés et en particulier, contribuer à réduire l’écart entre ces quartiers et leur environnement. Or cette hypothèse n’a pas résisté à l’épreuve des observations faites sur le terrain, desquelles ressort la faiblesse de ces zonages comme cadres d’action, ce dont nous avons pris acte, abandonnant de fait nos travaux en ce sens18.

2.3. Les recompositions territoriales à la française

Un troisième ensemble de travaux s’est attaché aux recompositions territoriales à l’œuvre dans l’Hexagone, qui ont pu faire émerger de « nouveaux » territoires d’action, sous l’effet du double mouvement de la construction des intercommunalités et du développement des politiques contractuelles. Les lectures actuelles de ces dynamiques, qui ne sont pas tout à fait nouvelles19, se partagent entre circonspection et enthousiasme (LE SAOUT R., MADORE F., 2004 ; DEBARBIEUX B., VANIER M., 2002). La recherche d’un hypothétique territoire dont la pertinence s’imposerait dans l’absolu n’est en tous cas plus

18 Toutefois, une telle hypothèse mériterait d’être examinée au sujet des « zones franches urbaines », du fait des

avantages fiscaux conséquents que le dispositif accorde aux entreprises qui s’installent dans les quartiers concernés.

d’actualité. Certains auteurs prônent au contraire la nécessité d’assumer pleinement la réelle complexité territoriale des institutions françaises (VANIER M., 2002)20.

A travers les contrats de ville, les territoires de la politique de la ville participent directement à cette recomposition du paysage territorial français et nous les examinerons à ce titre. Nous montrerons aussi comment les découpages de l’action sociale départementale se positionnent par rapport aux dynamiques intercommunales, en gardant à l’esprit les récents débats sur la décentralisation, qui ont souvent opposé les deux échelons – intercommunalités et départements. Au total, le foisonnement des découpages liés aux politiques de lutte contre la précarité constitue un cas d’étude du fonctionnement de la complexité territoriale évoquée ci dessus.

3. Questions posées par les maillages de l’action publique de lutte