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Encadré IV.1 — Mesurer les disparités intercommunales de revenu à partir de la base

L ES CONTEXTES LOCAUX DE LA PRECARITE SOCIALE

L’objet de ce chapitre est de définir les contextes locaux de la précarité sociale en Ile-de-France, et de les situer dans l’espace régional. Le parti retenu est celui d’observer non pas directement des ménages ou des personnes en situation de précarité, mais bien des lieux, décrits comme plus ou moins façonnés par la concentration de personnes en situation de fragilité et par les formes de ces fragilités. La nécessité de prendre en compte ces contextes locaux dans la conception et la mise en œuvre de l’action publique contre la précarité est bien exprimée par ce chef de projet « politique de la ville » :

« Un RMIste à Garges-lès-Gonesse ou à Bagnolet sera le même, voir connaîtra de

plus grandes difficultés à Bagnolet. Cependant, le RMIste de Garges n’est pas dans le même environnement. Le diagnostic ne porte pas uniquement sur l’identification d’un public et d’un service, d’un besoin et d’une réponse individuelle. Par exemple, un projet en liaison avec l’emploi va inclure à Garges la question de la garde des enfants, de l’ethnicité, de l’isolement. »

Le contexte local est ici analysé comme une ressource, positive ou négative, à prendre en compte dans le mouvement de « territorialisation » des politiques publiques. Il peut également être également considéré comme une facette de la précarité sociale, suivant deux hypothèses, qui ne sont pas exclusives. Selon la première, le contexte jouerait sur l’expérience vécue de la précarité sociale ; la seconde hypothèse va plus loin en faisant du contexte un facteur de nature à déterminer, dans une certaine mesure, les processus de fragilisation sociale, voire d’exclusion.

Tout comme les divisions socio-spatiales, les contextes locaux peuvent être étudiés de manière extrêmement large, intégrant les dimensions sociales et politiques des territoires ou encore le niveau et l’accessibilité des équipements et des services publics ; ils peuvent être considérés sous un de ces aspects seulement. Notre approche s’inscrit dans cette perspective

qui vise à caractériser les lieux suivant les niveaux et les formes de la précarité sociale qui s’y concentrent. L’analyse de l’espace francilien se resserre donc thématiquement, autour de la précarité sociale, et géographiquement, autour des communes urbaines. Après avoir fait le point sur les hypothèses relatives aux effets de contextes, nous définirons ceux-ci à l’échelon des communes, puis à l’échelon infra-communal des îlots de recensement.

1. Les « effets de contexte » en débats

La question des effets de l’environnement social sur les populations les plus fragiles socialement, est loin d’être close. On doit à Maryse Marpsat (1999) un état des débats ouverts à ce sujet en Amérique du Nord, que l’on peut compléter avec les travaux récents de Marie-Hélène Bacqué (2003). Ces débats s’organisent principalement autour de deux hypothèses, dont on rappelle ici les principaux arguments. D’un côté, on peut considérer que la concentration de personnes en situation de précarité sociale ait un effet aggravant sur leur situation, dans la mesure où elle contribuerait à accentuer des processus d’enfermement, par le jeu de la stigmatisation ou par celui de la disqualification des équipements et des services locaux, ou encore, de leur spécialisation en direction des plus démunis. A contrario, un environnement socialement mixte permettrait aux plus défavorisés de bénéficier d’effets d’entraînements positifs du fait de la fréquentation d’autres couches de la population, appelés à partager les mêmes équipements, culturels ou scolaires en particulier. A ces arguments, est cependant opposée l’idée selon laquelle le fait de résider parmi ses pairs, même s’ils sont des compagnons d’infortune, favoriserait la solidarité et l’insertion dans un réseau social salvateur. Notons que dans les travaux recensés par l’auteur, le contexte (neighborhood

effects) est considéré avant tout dans sa composante sociale et qu’il est défini à l’échelon du

quartier.

Lorsque la question des effets de contextes, ou effets de lieux, est posée en France, les études intègrent bien souvent une autre dimension du contexte, à savoir celle des caractéristiques de l’habitat. En particulier, les recherches qui ont été conduites sur ce thème ont tenté d’évaluer en quoi les grands ensembles d’habitat social sont porteurs de dysfonctionnements spécifiques par rapport à d’autres contextes, offrant des possibilités plus grandes de diversité sociale et fonctionnelle dans le voisinage (PALOMARES E. et al., 2001 ou encore BIDOU-ZACHARIASEN C., 1997). Une approche plus institutionnelle a été également explorée. A travers la question des effets de territoire, on cherche alors à mesurer l’impact de dispositifs territorialisés d’insertion. Plus positivement perçus, les contextes défavorisés sont alors considérés comme potentiellement porteurs de ressources spécifiques

(DUBECHOT P. et LE QUEAU P., 1998). Les enquêtes qui accompagnent ces approches sont menées à l’échelon du quartier, bien que l’échelon communal constitue une référence essentielle de ces contextes, dans la mesure où le niveau de la commune reste celui où se décide et se négocie un grand nombre des politiques publiques mises en œuvre pour résoudre les problèmes de précarité.

Les effets de contextes ont été également abordés par les économistes, cette fois encore davantage aux Etats-Unis qu’en Europe, à partir notamment de l’hypothèse dite du

spatial mismatch, autrement dit de la déconnection entre lieu de résidence et centre d’emploi,

et à partir de la discrimination que subissent certaines groupes dans l’accès au travail ou au logement du fait de leurs caractéristiques propres, notamment de leur « capital humain » – dont la formation est influencée par leur environnement et leur voisinage. On pourra se reporter à la mise au point effectuée par Jacques-François Thisse, Etienne Wasner et Yves Zénou (2004) sur ces théories ainsi qu’aux travaux de Laurent Godillon et Harris Selod (2004) pour un essai d’application au cas de l’Ile-de-France.

Reste la délicate question de l’évaluation des effets de contexte sur les trajectoires individuelles. Les évaluations empiriques restent nuancées. La plupart des auteurs soulignent l’existence d’inégalités sociales dans l’accès aux ressources du territoire, que ces ressources relèvent d’une mixité sociale ou qu’elles correspondent aux différents dispositifs d’insertion (PALOMARES E. et al., 2001 ; CHOFFEL P., DELATTRE E., 2003). On retrouve finalement, au sujet des contextes locaux, ce qui a déjà été évoqué à propos des autres facettes de la précarité sociale : les effets d’un lieu de résidence à première vue disqualifié, comme les effets d’un accident de parcours, s’apprécient à la lumière des autres difficultés de la personne, avec lesquelles ils se cumulent. Ceci dit, les auteurs s’accordent sur le rôle de l’image associée au lieu de résidence : il n’est pas indifférent de faire l’expérience de la précarité dans un environnement disqualifié, porteur de représentations négatives à l’intérieur comme à l’extérieur du lieu, que dans un environnement globalement valorisé (BORDREUIL J.-S., 1997).

A la lumière de ces travaux, le rôle joué par le contexte socio-spatial dans l’expérience de la précarité et sur la trajectoire des personnes concernées apparaît complexe. La référence aux contextes demeure un éclairage utile et signifiant dans la mesure où le contexte participe à ce cumul de difficultés déjà évoqué pour définir la précarité sociale d’une part, et qu’il peut jouer soit comme disqualification supplémentaire, soit comme ressource d’autre part.

2. Les contextes communaux de précarité sociale

Nous nous concentrons ici sur les communes urbaines, en retenant parmi les 1300 communes franciliennes, les 626 communes appartenant à une unité urbaine57 en 1999. La précarité sociale n’a certainement pas le même visage en milieu urbain et en milieu rural, aussi, plutôt que de nous engager dans une comparaison qui apporterait peu à notre objet d’étude, nous avons préféré affiner la différenciation de la définition des contextes en milieu urbain, en nous focalisant exclusivement sur ceux-ci.

L’échelon communal, premier échelon choisi pour analyser les contextes, présente l’intérêt de se situer à la croisée de plusieurs enjeux. La commune constitue en premier lieu un niveau fort d’appartenance et souvent, d’identification pour les individus. Même si, défini à cet échelon, l’environnement social ne correspond pas véritablement à l’espace du voisinage, il conditionne néanmoins une partie des relations sociales, notamment celles liées à la fréquentation des équipements collectifs. En deuxième lieu, le contexte social défini à l’échelon communal détermine pour partie le fonctionnement des territoires. On retrouve son intervention dans les possibilités de financement des municipalités, les choix prioritaires des politiques à mettre en œuvre, conditionnant ainsi, en partie, les ressources institutionnelles offertes à la population. Relativement à la conduite de l’action publique contre la précarité, on note en troisième lieu que d’une part, l’échelon de la commune est souvent celui où les directives générales sont adaptées et les financements négociés et que d’autre part, même si la mise en œuvre d’un certain nombre de dispositifs s’effectue à un échelon infra-communal, cet échelon est généralement celui où les projets sont élaborés et portés politiquement. Enfin la commune reste le premier échelon où peut s’exercer démocratiquement, par le vote, la sanction de l’action publique.

2.1. Les indicateurs de précarité sociale retenus

La définition d’une structure régionale des contextes communaux de la précarité suppose au préalable de sélectionner des descripteurs de ce dernier phénomène. Une telle sélection demeure délicate, les facteurs et les formes de la précarité étant à ce point multiples que la liste des indicateurs choisis peut toujours apparaître incomplète. Pour bien identifier les enjeux recouverts par les choix effectués en la matière, il convient de garder à l’esprit que l’enjeu central de cette étude reste moins de procéder à un dénombrement des personnes en

57 La notion d’unité urbaine, telle que définie par l’INSEE et telle que nous la reprenons ici « repose sur la

continuité de l'habitat. Une unité urbaine est un ensemble d'une ou plusieurs communes dont le territoire est partiellement ou totalement couvert par une zone bâtie d'au moins 2 000 habitants. Les unités urbaines sont redéfinies à l'occasion de chaque recensement de la population » (www.insee.fr).

situation de précarité dans la région, que de définir les positions relatives des lieux les uns par rapport aux autres, au regard de la question de la précarité sociale58. La recherche d’une illusoire exhaustivité des indicateurs a donc moins compté que la sélection de ceux les plus représentatifs des différentes composantes sociales de la précarité telle qu’elle peut s’inscrire dans un territoire donné.

Une analyse exploratoire des co-variations intercommunales de très nombreux indicateurs tirés des données du recensement de la population, a conduit au choix limité de quatorze indicateurs (cf. encadré V.1), éliminant ainsi, en particulier, les redondances qui auraient pu très inutilement alourdir l’analyse. Ces quatorze indicateurs de la précarité relèvent de différents champs : celui du travail ; celui des structures familiales et démographiques, et enfin, celui du logement social. Tous ces indicateurs sont exprimés comme des mesures relatives, afin de ne pas intégrer dans l’analyse de simples effets de la taille des différentes communes. A lui seul, aucun de ces indicateurs n’est en mesure de rendre compte de contextes communaux de précarité sociale, chacun témoignant plutôt d’une forme de vulnérabilité particulière qui concerne une frange plus ou moins importante de la population résidante.