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PRECARITE SOCIALE : FORMES SOCIALES, FORMES SPATIALES

DANS LA SOCIETE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

3. Catégorisation statistique et catégorisation administrative

3.2. De la catégorie d’action à la catégorie d’observation

Comme cela a été souligné à propos des maillages territoriaux, utiliser un découpage de la société ou de l’espace établi, à l’origine, en vue de mettre en œuvre une action, pour observer un phénomène ne va pas sans poser problème (GRASLAND C., 1997). Ceci est d’autant plus vrai que le passage d’un usage à un autre n’est pas explicité. Ainsi, est-il pertinent de considérer la catégorie des « RMIstes » pour cerner les populations rencontrant des difficultés à s’intégrer sur le marché du travail ? D’abord, cette catégorie n’est pas représentative de l’ensemble de la population concernée : par définition, elle ne prend pas en compte les jeunes de moins de 25 ans. Ensuite, elle inclut uniquement les personnes qui ont

de la pauvreté et des interventions qui visent à lutter contre la pauvreté d’une part, et d’autre part à partir des expériences vécues des populations désignées comme pauvres.

fait la démarche de s’inscrire au RMI et dont les difficultés d’insertion professionnelle se traduisent par une absence d’emploi depuis un certain temps.

Nous sommes tentée d’étendre cette remarque à l’usage de certaines catégories spatiales utilisées pour agir en faveur des plus démunis. Ainsi, par exemple, pour cerner la population urbaine en difficulté, peut-on se satisfaire d’un échantillonnage au sein des quartiers classés en « zones urbaines sensibles » (ZUS) ? Des recherches ont montré que ces catégories spatiales étaient historiquement construites et renfermaient une forte charge politique (TISSOT S., 2002 ; ESTEBE P., 2004). En outre, elles sont loin de concentrer, à elles seules, l’ensemble des personnes en situation précaire d’une agglomération.

Il faut reconnaître que le passage entre les deux usages des catégories, action et observation, est d’autant plus difficile à contrôler que l’observateur est dépendant de la disponibilité des informations. Certaines catégories d’actions, spatiales ou non, sont mieux renseignées que d’autres, en particulier dans une perspective d’évaluation des politiques publiques correspondantes. Ainsi, il est souvent possible d’obtenir des renseignements très détaillés, au niveau individuel, sur la population des « RMIstes » auprès des conseils généraux. Les ZUS font également l’objet d’une attention particulière. Par exemple, la direction régionale Ile-de-France de l’INSEE a « îloté » les données des caisses d’allocations familiales se rapportant aux zones urbaines sensibles. On comprend qu’une telle opération, particulièrement coûteuse, n’ait pas été conduite à l’ensemble du territoire. Ce type d’information permet incontestablement d’avancer dans la connaissance desdites catégories. Elle présente néanmoins le risque de focaliser l’attention sur ces seules catégories, comme le souligne un sociologue de la DIV (Délégation interministérielle à la ville), François Ménard :

« (…) le risque est d’attribuer à un territoire des caractéristiques qui peuvent se

retrouver ailleurs et qui n’auront pas été recensées ou mesurées (…). Il y a alors un effet de renforcement de la singularité de certains espaces pouvant aller jusqu’à la stigmatisation des espaces considérées. D’autres secteurs restent symétriquement dans l’ombre. » (MENARD F., 2002, p. 47)

Le risque de tenir les catégories « pré-construites » de l’action publique, pour des catégories « prêtes à observer » est donc non seulement d’ignorer ce qui se passe l’extérieur, mais également de renforcer la singularité des individus ou des lieux renfermés dans ces catégories45. Ces remarques ne sauraient toutefois nous détourner de l’étude des catégories,

sociales ou spatiales, de l’action publique. Bien au contraire, comme le souligne Claude Grasland :

45 Dans le même ordre d’idées, Yves Guermond et Gilles Lajoie (1999) s’inquiètent devant la généralisation de

« Le chercheur en sciences sociales ne peut donc ni accepter d’emblée les maillages comme cadres d’observation de la société, ni refuser de prendre en compte les informations qu’ils fournissent au premier comme au deuxième degré sur le fonctionnement des sociétés concernées. » (GRASLAND C., 1997, p. 60)

Les catégories, sociales ou spatiales, utilisées par les pouvoirs publiques pour agir en faveur des plus démunis constituent ainsi un objet d’étude qui permet de saisir la précarité sociale telle qu’une société donnée la reconnaît, à un moment particulier. Au-delà des aides auxquelles elle permet d’accéder, cette reconnaissance intervient sans aucun doute dans les expériences vécues de la précarité sociale, lorsque la catégorisation sous-tend des effets de stigmatisation.

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De cette revue des différentes approches de la précarité sociale, on retiendra que la précarité est avant tout une incertitude face à l’avenir et une grande vulnérabilité sociale pouvant produire le basculement vers un point de non-retour ; elle est aussi le cumul de difficultés, sans doute surmontables prises séparément mais qui, combinées, changent le niveau et la nature des problèmes lesquels, en se cristallisant, engendrent des situations difficilement maîtrisables. C’est suivant cette acception que nous avons, par la suite, sélectionné les indicateurs socio-démographiques permettant d’observer la répartition spatiale des situations de précarité sociale dans l’espace urbain francilien. Tant pour des raisons d’accessibilité des données, que pour ne pas orienter l’analyse vers un dispositif en particulier, nous n’avons finalement pas intégré d’informations concernant les différentes catégories de bénéficiaires de l’action publique. Ce faisant, nous avons pris le parti d’une définition « substantielle » de la précarité sociale, tout en connaissant ses limites. La catégorie spatiale des « zones urbaines sensibles » sera néanmoins l’objet d’une attention toute particulière dans la quatrième partie de cette thèse, où nous tenterons d’évaluer dans quelle mesure elle permet de cerner les concentrations spatiales de précarité – du moins telles que les indicateurs socio-démographiques permettent de les identifier. Enfin, nous avons réservé les indicateurs de revenu pour une approche plus générale des divisions sociales qui traversent la région Ile-de-France, que nous allons présenter dès à présent.

C

HAPITRE

4.