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Encadré V.2 — Les dix territoires d’étude

3.3. Les contextes infra-communaux de la précarité sociale

La prise en compte simultanée des 14 descripteurs de la précarité sociale, permet d’identifier sept types d’îlots. Il convient ici de noter la difficulté, mais aussi l’intérêt, de déceler des ressemblances entre des unités géographiques de si petite taille que sont les îlots de recensement. Un îlot rassemble le plus souvent une ou deux centaines d’habitants, sur quelques hectares, voire quelques ares. Il s’agit donc bien de restituer des caractéristiques qui peuvent être observées à pas d’hommes, en relevant les constantes remarquables et structurelles parmi les spécificités locales propres à chaque lieu. Cet échelon ne saurait être confondu avec celui du quartier ; c’est au contraire l’imbrication d’îlots, aux profils semblables ou hétérogènes, qui constitue l’un des éléments suivant lesquels on pourrait définir un quartier. Plus que le profil d’un îlot donné, ce sont les jeux de proximité ou d’éloignement entre différents types d’îlots qui retiendront notre attention, et qui nous permettront de différencier les contextes infra-communaux de la précarité sociale.

La classification des îlots en sept types rend compte de 68% des différenciations introduites par les indicateurs de précarité, entre l’ensemble des îlots considérés. Le tableau V.4 détaille le profil de chacun des types.

Tableau V.4 — Profil moyen des huit types d’îlots (en %)

types d'îlots Indicateurs exprimés en % moyen profil

1 2 3 4 5 6 7

Chômage 14,4 25,1 28,4 15,9 14,6 13,9 11,5 8,3

Salariés à temps partiel 14,2 16,2 18,1 12,6 15,5 15,4 12,7 11,9

Intérims 1,6 3,1 3,1 1,9 7,8 0,8 1,3 0,6 Emplois aidés 1,3 2,8 3,3 1,6 0,7 1,3 0,9 0,3 CDD 7,5 9,6 11,3 7,9 6,5 8,4 7,1 4,1 Ouvriers spéc. et manœuvres 6,7 13,2 14,9 7,9 7,6 6,5 4,2 2,9 Ouvriers qualifiés 11,1 15,9 13,1 12,4 13,0 12,6 7,9 6,5 Employés 26,6 30,7 23,1 34,3 27,0 26,1 26,1 21,1 Non-diplômés 21,2 36,7 39,7 24,4 20,8 21,8 14,5 10,8 Ménages résidant en HLM 18,5 84,2 8,6 75,7 1,8 2,1 5,0 0,7 Logts dans im. > 10 logts 31,8 84,6 42,8 71,9 6,9 8,2 70,1 3,0 Ménages de > 6 personnes 4,0 14,2 5,4 3,8 3,9 4,3 1,4 1,4 Moins de 25 ans 31,1 45,0 31,4 34,2 30,1 30,8 27,0 27,4 Etrangers hors UE 10,6 23,2 36,1 10,4 8,6 9,5 8,7 2,4

Part du total des îlots 6,1 5,8 14,8 5,0 37,0 13,6 17,7

Part de la pop. totale* 19,8 5,6 30,6 1,8 16,8 18,5 6,9

* les îlots dont la population est < à 10 hab. ne sont pas pris en compte. Sources : INSEE, RP 1999

L’ensemble des îlots peut être divisé en deux grands groupes. Le premier réunit les îlots appartenant aux types 1 à 3, qui sont caractérisés par une surreprésentation des indicateurs de précarité, selon des combinaisons et à des niveaux différents toutefois. On a là le quart des îlots seulement, mais dans lesquels réside plus de la moitié de la population considérée.

Les îlots du type 1 se définissent par une surreprésentation nette, voire massive, de l’ensemble des indicateurs considérés. Ces îlots sont minoritaires en nombre, mais leur poids démographique est considérable, puisqu’ils concentrent près de 20% de la population totale considérée (tableau V.4) En moyenne, dans leur très grande majorité, les résidants logent dans un immeuble collectif d’habitat social, les moins de 25 ans représentent près de la moitié de la population. Les ménages de grande taille y sont représentés de manière exceptionnelle. Les îlots du type 2 connaissent les mêmes surreprésentations des indicateurs de précarité liés à l’emploi. En moyenne, elles sont même un peu supérieures à celles qui valent dans le type 1. La singularité de ce type d’îlots, qui réunit une plus faible part de la population (environ 5%) tient à la sous-représentation de la part des ménages logés en HLM et à la surreprésentation massive de la part des étrangers hors UE. Ces îlots, dans lesquels la part des logements collectifs est importante, renvoient au « logement social de fait », qui caractérise, en particulier, certains îlots dégradés des centres urbains ou encore, certaines co-propriétés intégrées à des quartiers d’habitat social. Les îlots du type 3, sont essentiellement caractérisés par une forte surreprésentation des employés et du logement collectif en habitat social, sans

que les autres indicateurs se démarquent nettement de la moyenne de l’ensemble des îlots considérés. Ils réunissent 30% de l’ensemble de la population.

Le deuxième groupe réunit les îlots qui échappent, globalement, aux concentrations spatiales des indicateurs de précarité (tableau V.4). Ils rassemblent près des deux tiers des îlots, mais uniquement 44% de la population considérée. Le déficit relatif en logement HLM en constitue la principale constante. Les îlots du type 4, qui sont minoritaires tant en nombre qu’en poids démographique, ne s’écartent guère du profil moyen, si ce n’est, en moyenne, par une surreprésentation de la part des intérimaires – et par les sous-représentations des ménages logés en HLM et en logements collectifs. Ces sous-représentations sont également les seuls signes distinctifs des îlots du type 5, qui réunissent près de 17 % de la population. Les îlots du type 6 se caractérisent par une sous-représentation générale des indicateurs de précarité sociale, associés à une sur-représentation des logements collectifs. Plus de 18% de la population considérée résident dans ces îlots urbains. Les îlots du type 7 apparaissent comme leur pendant périurbain, dans lesquels les logements collectifs sont quasi absents. Ils rassemblent une population moins importante, au sein de laquelle les signes de précarité sont encore plus ténus (texte V.4).

La représentation cartographique restitue à chacun de ces types leur dimension spatiale, et permet d’observer les différentes configurations auxquelles leur imbrication donne lieu. Apparaissent ainsi des regroupements d’îlots au profil semblable, ou au contraire, des mosaïques d’îlots de profils différents (figure V.4). Au-delà de la spécificité de chaque configuration locale, trois modèles d’organisation apparaissent assez nettement. Nous avons superposé aux cartes de la figure V.4, les contours des « zones urbaines sensibles » de la politique de la ville : leur confrontation avec les formes de la répartition infra-communale de la précarité sociale sera menée dans le chapitre 11.

• Le modèle de l’espace urbain divisé

Globalement, dans les contrats de ville de Montereau-Fault-Yonne, Mantes-la-Jolie/ Mantes-la-Ville/Buchelay/Limay, du Val d’Yerres, de Champigny-sur-Marne et enfin, d’Aulnay-sous-Bois/Le Blanc-Mesnil,/Sevran,/Dugny, les six types d’îlots se répartissent en secteurs bien tranchés (figure V.4, a, b, c, d, e). En particulier, des agrégats d’îlots d’habitat social concentrant une précarité massive (type 1) se détachent nettement, intégrant parfois sur leurs marges des îlots dans lesquels le niveau de précarité est tout aussi élevé, sans être associé à de l’habitat social (Monterau-Fault-Yonne, Val d’Yerres). Ces poches de précarité sont en contact souvent brutal avec un environnement plus favorisé (Aulnay-sous-Bois), dans certains cas atténué par des îlots d’habitat social dans lesquels les concentrations de précarité sont moindres (Champigny-sur-Marne). En dehors de ces secteurs, la diffusion des îlots de précarité est faible. Par exemple, la commune de Champigny-sur-Marne est seulement émaillée par des îlots d’habitat social, sans que s’y concentrent d’autres signes de précarité ; le tissu pavillonnaire du Val d’Yerres est également ponctué de quelques îlots de précarité ; les communes de Mantes-la-Jolie, Mantes-la-Ville/Limay supportent également une hétérogénéité mais qui s’avère toute relative, au regard des concentrations de populations qui valent dans les poches de précarité (le Val Fourré réunit ainsi plus de la moitié de la population de Mantes-la-Jolie). Outre la dichotomie de leur morphologie socio-spatiale, ces territoires se caractérisent d’une manière générale par le poids démographique des populations précaires concentrées dans quelques quartiers, qui dominent les profils sociaux communaux. On retrouve ainsi les communes de Montereau-Fault-Yonne, de Mantes-la-Jolie dans les contextes communaux les plus marqués par la précarité sociale, ou encore celles de Champigny-sur-Marne ou d’Epinay-sous-Sénart, à un niveau moindre de concentration de précarité.

A l’échelon du territoire du contrat de ville, la Boucle de Gennevilliers relève également de ce modèle d’organisation dichotomique (figure V.4f). Les quartiers d’habitat social qui se sont développés à proximité des zones industrielles qui bordent la Seine, tranchent avec le tissu urbain plus ancien des communes d’Asnières-sur-Seine et de Colombes, largement épargnées par les concentrations de précarité sociale. A l’échelon communal toutefois, Gennevilliers ou Villeneuve-la-Garenne relèvent davantage du troisième modèle, celui de la précarité massive et diffuse. Cette observation vaut pour le contrat de ville de Trappes/La Verrière/Magny-les-Hameaux (figure V.4g). A l’échelon du périmètre

contractuel, le grand ensemble des Merisiers rompt avec un environnement plus favorisé et surtout moins dense, tandis qu’à l’échelon de la ville de Trappes, l’habitat social concentrant la précarité sociale domine le tissu urbain.

• Le modèle de la mosaïque socio-spatiale

Observé à cet échelon de l’îlot, les territoires correspondant aux contrats de ville du Sud Seine-Saint-Denis et d’Ivry-sur-Seine/Vitry-sur-Seine apparaissent également contrastés. En revanche, les différents types d’îlots ne s’ordonnent pas spatialement de façon aussi tranchée que dans les cas précédents (figure V.4h et i). Des quartiers d’habitat social apparaissent nettement (par exemple celui des Malassis à Bagnolet), mais le tissu urbain environnant est fort hétérogène, ponctué aussi bien d’îlots d’habitat social, que d’îlots de précarité qui se sont développés en dehors. La commune de Montreuil illustre particulièrement bien ce modèle d’un territoire aussi contrasté qu’hétérogène. Ces traits vont en s’accentuant, sous l’effet de l’installation des classes moyennes auparavant parisiennes. L’état des réseaux de transports et les différentiels d’accessibilité qui en découlent guident la diffusion de cette conquête, dont les grands ensembles d’habitat social restent largement à l’écart. C’est donc vers un contexte marqué par une certaine diversité interne, voire une dualité socio-spatiale, que semblent évoluer ces communes. Pour les collectivités locales, l’enjeu est de concilier une lutte contre la précarisation sociale qui frappe les plus vulnérables, et la satisfaction des attentes et des intérêts de plus en plus diversifiés, et parfois divergents, de l’ensemble de la population résidante.

• Le modèle de la précarité massive et diffuse

Le contrat de ville de Plaine Commune, Stains, La Courneuve (figure V.4j) offre l’exemple d’une précarité massive, qui concerne l’ensemble des sept communes réunies. La précarité sociale se concentre dans des îlots en dehors de l’habitat social au sud de Saint- Denis et à Aubervilliers, dans des quartiers d’habitat social massifs à La Courneuve, au nord de Saint-Denis ou encore, à Epinay-sur-Seine. Contrairement au modèle de « l’espace urbain divisé », la concentration spatiale de la précarité sociale décelée à l’échelon communal caractérise ici l’ensemble du territoire – à l’exception de quelques poches qui apparaissent épargnées, notamment au niveau du centre-ville de Saint-Denis. Relativement à la question de la précarité sociale, la lecture des différenciations socio-spatiales en termes d’inégalités ou de rattrapage n’a guère de sens dans ce type de contexte. La concentration de la précarité sociale s’apprécie par rapport à des références qui sont à chercher non seulement au-delà du territoire

communal, mais également du périmètre intercommunal de contractualisation de la politique de la ville.

Cette analyse des formes de la répartition spatiale de la précarité sociale à l’échelon très fin des îlots de recensement, met bien en évidence le fait que la question de la concentration spatiale de la précarité ne se pose pas partout dans les mêmes termes. Des contextes communaux, qui, lorsqu’on considère le profil de l’ensemble de la population résidante, apparaissent relever des mêmes configurations, peuvent renvoyer à l’échelon infra-communal à des modèles fort différents, posant chacun des questions spécifiques. Le modèle de « l’espace urbain divisé » soulève la question de l’unité du territoire communal ou inter-communal si celui-ci revêt une réalité politique. La question de la dualité de l’espace intra-urbain ne concerne pas seulement ce dernier modèle : il se pose avec acuité dans le cas du modèle de la mosaïque, même si sa dimension spatiale est moins évidente. Enfin, le modèle de la précarité massive et diffuse qui concerne certaines communes, mais aussi des ensembles de communes contiguës, renvoie la question de l’unité à l’échelon de l’agglomération.

* * *

A première vue, le classement des communes selon les indicateurs de précarité est assez proche de celui obtenu à partir d’une observation des répartitions de populations suivant les catégories sociales, ou suivant les revenus des ménages. L’originalité tient ici à la mise en évidence de contextes locaux qualitativement différenciés au regard de la seule précarité sociale, et qui se répartissent dans l’espace francilien de façon remarquablement ordonnée. L’observation de l’évolution des contextes communaux au cours de la période 1990-1999 conduit à une certaine dramatisation des résultats. Certes, la situation observée en 1999 n’est pas nouvelle et les disparités intercommunales ne sont pas propres à l’espace francilien du début du XXIe siècle. Néanmoins le creusement de ces écarts, le durcissement des contrastes territoriaux, liés en grande partie à la détérioration des contextes déjà les plus fragiles, doit impérativement retenir l’attention.

L’analyse des contextes de la précarité à l’échelon infra-communal interroge les politiques qui abordent la précarité sociale à partir d’une entrée territoriale. La diversité des configurations locales plaide certainement en faveur de politiques différenciées selon les

lieux ; elle alimente également le débat sur la pertinence d’une entrée territoriale pour mettre en œuvre des politiques de discrimination positive dans certains contextes – non seulement dans ceux relevant du modèle de la « mosaïque socio-spatiale », mais également dans les territoires massivement touchés par une précarité sociale diffuse.

Conclusion de la deuxième partie

On a retrouvé dans l’analyse des inégalités des revenus des ménages, les grandes lignes de la division sociale de l’espace francilien. Ces grandes lignes se décomposent suivant un modèle radio-concentrique, opposant en premier lieu le secteur très compact de pauvreté au nord de Paris, à la radiale des « beaux quartiers » de l’ouest parisien qui se prolonge en périphérie jusqu’au cœur des Yvelines. S’ajoutent ensuite des secteurs secondaires, notamment un ensemble de communes très populaires qui longe la Seine au sud de Paris. Ce modèle sectoriel est complété par un modèle concentrique, constitué par un espace de mixité socio-spatiale dans la partie la plus centrale de l’agglomération, une ceinture de communes périurbaines, espace de résidence privilégié des classes moyennes-inférieures, et des marges rurales plus populaires. Enfin, à cette organisation radioconcentrique se superpose un modèle nucléaire, suivant lequel on identifie notamment des poches de pauvreté dans des environnements plus favorisés et des schémas locaux de division sociale de l’espace autour des centres urbains périphériques. La force de la représentation cartographique de cette division sociale de l’Ile-de-France masque une réalité que nous avons soulignée, à savoir la diffusion spatiale de la pauvreté, qui n’a pas d’équivalent si l’on considère les ménages aux revenus les plus élevés.

La répartition spatiale de la précarité s’inscrit dans les grandes lignes de la division sociale de l’espace francilien. On a tenté de rendre compte du caractère multidimensionnel de la précarité sociale en considérant simultanément un ensemble d’indicateurs, relatifs au travail, aux structures familiales et démographiques et au logement social. Cette approche « multivariée » a permis de mettre en évidence la force des logiques cumulatives dans la répartition spatiale de ces indicateurs. Les contextes locaux sont ainsi différenciés, en premier lieu, par leur niveau de concentration de la précarité sociale, tant à l’échelon communal qu’infra-communal. On a souligné que ces différentiels de concentration de précarité s’étaient accusés au cours des années 1990, renforçant les spécificités des contextes communaux de ce point de vue.

La considération simultanée des indicateurs a également permis de mettre en évidence des nuances plus qualitatives entre contextes locaux. Plusieurs types de combinaison des formes de précarité sociale ont ainsi été identifiés – toutes choses égales quant au niveau de

concentration de précarité des lieux. On a ainsi différencié les contextes communaux les plus centraux, caractérisés notamment par une surreprésentation des familles monoparentales et des étrangers hors Union européenne, des contextes communaux périphériques, dans lesquels les structures démographiques et familiales sont plus proches de la moyenne, tandis que les ouvriers y sont surreprésentés. Outre la logique cumulative soulignée plus haut, les combinaisons observées à l’échelon infra-communal, prennent, dans le détail, des formes un peu différentes de celles observées à l’échelon communal. En particulier, à l’intérieur des communes, la covariation spatiale entre la précarité de l’emploi et les autres indicateurs se complexifie, et l’association spatiale entre logement social et représentation des étrangers hors UE s’affaiblit. Enfin, l’analyse de l’organisation spatiale de la précarité sociale à l’échelon infra-communal a permis d’identifier trois modèles - le « modèle de l’espace urbain divisé », le « modèle de la mosaïque socio-spatiale » et le « modèle de la précarité massive et diffuse ». Ces contextes locaux de la précarité sociale, définis à l’échelon communal et infra-communal, constituent la base des confrontations à venir entre les formes de la répartition spatiale de la précarité, et les formes des maillages dans lesquels sont mises en œuvre l’action sociale départementale et la politique de la ville.

PARTIE 3.