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TERRITOIRES DE GESTION ET TERRITOIRES POLITIQUES

A CHAQUE DEPARTEMENT , SES LOGIQUES DE DECOUPAGES

4. Orientations pour la mise en œuvre locale de l’action sociale

4.2. Points d’accueil uniques ou multiples ?

La question du nombre de point d’accueil et de leur répartition sur le territoire de la « circonscription », autrement dit l’ancrage spatial du service d’action social, se pose différemment dans les « circonscriptions » aux marges de l’agglomération, composées de plusieurs communes d’une part, et dans celles composées d’une ou deux communes très denses d’autre part. Dans la première configuration, l’accueil (permanences et rendez-vous) se répartit selon un schéma classique entre le siège et des locaux mis à disposition dans la plupart des communes par les municipalités concernées. Ce schéma peut être partiellement remis en cause, par la désectorisation de l’accueil, lorsqu’il se trouve, dans le même mouvement, centralisé au siège. Dans les communes urbaines les plus denses, deux grands types d’implantation apparaissent : soit les usagers sont reçus uniquement au siège, soit d’autres points d’accueil sont mis en place, notamment dans les grands quartiers d’habitat social, dans des locaux qui relèvent soit du conseil général, soit de la mairie. Ces points d’accueil peuvent être de simples lieux de permanences, ouverts quelques demi-journées par semaine seulement, ou bien le lieu de travail quasi permanent des assistants sociaux. Certains

de ces locaux sont partagés avec d’autres acteurs locaux (partenaires associatifs, travailleur social de la CAF par exemple).

L’oscillation observée localement entre les deux types d’ancrage territoriaux des services d’action sociale, centralisé au siège de la circonscription ou diffus, dépend pour une part de la disponibilité des locaux, des relations qui ont pu s’établir ou non avec les municipalités. Elle dépend également des choix généraux en matière d’organisation du suivi et de l’accompagnement des usagers, effectués soit localement, soit au niveau du conseil général. Elle peut aussi témoigner d’un positionnement par rapport aux difficultés de mobilités constatées chez les personnes touchées par la précarité81. Ces difficultés peuvent être liées au manque de ressources financières comme, par exemple, à l’absence de véhicule motorisé. Toutefois, dans un contexte urbain dense tel que celui de l’agglomération parisienne, si ces difficultés peuvent peser dans la recherche d’un emploi, elles jouent relativement peu lorsqu’il s’agit de se rendre au siège de la circonscription d’action sociale, dans la commune de résidence de l’intéressé ou dans la commune voisine. Les difficultés à se déplacer, telles qu’elles nous ont été présentées par les travailleurs sociaux rencontrés, tiennent davantage à un repli sur l’espace domestique, qui a été particulièrement souligné concernant les femmes. Plus généralement, ces mêmes travailleurs sociaux ont souligné la difficulté qu’ils avaient à rentrer en contact avec la frange de la population la plus touchée par la précarité sociale. L’attitude à tenir face à la mobilité réduite d’une frange de la population donne lieu à des positionnements aussi tranchés que ceux relatifs à la sectorisation. Compte tenu des difficultés de mobilité, doit-on aller au plus près des populations et mettre en place plusieurs lieux de permanences dans les quartiers ? ou bien profiter de ces visites chez l’assistante sociale pour faire sortir les gens de leur quartier ?

D’autres arguments complètent la justification de l’une ou l’autre orientation. Le projet d’action sociale lui-même est parfois avancé, en particulier pour justifier de l’intérêt d’une multiplication des points d’ancrage. Ces derniers faciliteraient, voire seraient indispensables, à la mise en œuvre d’actions de prévention et de développement social local. Un responsable de circonscription présente ainsi les intérêts d’un ancrage de son service dans une « mairie annexe » et dans une cité d’habitat social de la commune, en citant successivement la proximité à la population, l’allègement de l’accueil au siège qui reçoit déjà 60 à 70 personnes par jour et la visibilité donnée à la circonscription, par la co-localisation

81 Autant, en préparant les entretiens, nous avions surestimé les choix concernant la question des secteurs, autant

avec des services municipaux dans la mairie annexe, et avec l’équipe du GPV (Grand projet de ville) dans la cité. Enfin, parmi les freins à la multiplication des lieux d’accueil, les problèmes d’insécurité que les assistants sociaux peuvent rencontrer ont souvent été évoqués.

On ne saurait clore ce chapitre sans mentionner les expériences de « guichets uniques » mis en place dans certaines villes. Ces structures visent à réunir dans un même lieu plusieurs partenaires intervenants dans l’action sociale – donc plusieurs interlocuteurs du point de vue des usagers. Peuvent ainsi être concernés les services du conseil général (action sociale, club de prévention…), le CCAS de la ville, la mission locale, la CAF, des associations, etc. L’intérêt de ce type de structures, du point de vue des travailleurs sociaux, est d’améliorer la coordination des actions mises en œuvre ; du point de vue des destinataires de l’action sociale, il s’agit de réduire autant que possible le nombre d’interlocuteurs, de pouvoir bénéficier de réponses moins segmentées selon les différents dispositifs auxquels chacun peut avoir droit et en cela, plus efficaces. Il n’est pas question ici de rentrer dans les débats concernant ce type de structures. D’aucun pourraient objecter qu’une action sociale plus « cohérente » est aussi une action sociale qui laisse moins de marge de manœuvre aux stratégies individuelles des usagers, pour utiliser les dispositifs selon leur dessein propre, même s’il va à l’encontre des projets d’insertion des professionnels de l’action sociale… Du point de vue des professionnels de l’action sociale, ces structures apparaissent souvent très motivantes, ne serait-ce que par le volontarisme des politiques et des institutions dont elles témoignent. L’engagement de ces institutions n’est effectivement pas évident. Ainsi, nous a-t-on fait le récit de la genèse d’une structure de ce type. L’initiative venait de la ville concernée. Elle a été, dans un premier temps, vivement rejetée par le conseil général, ce rejet étant interprété par notre interlocuteur comme une crainte du département de perdre son identité, d’autant plus que la proposition avait été faite dans le contexte des débats précédents les lois de décentralisation de 2004, au cours desquels on se demandait quel était « l’échelon de trop ». Le projet a été finalement accepté, et le conseil général a même proposé à une autre ville de s’engager dans cette voie. Cette fois, c’est la commune qui a refusé, craignant, entre autres, de voir son service social assimilé à celui du conseil général… Du point de vue institutionnel, ce type de structure comporte donc, dans une certaine mesure, le risque d’une perte de visibilité, voire d’identité. On entrevoit ici les difficultés que les institutions peuvent avoir à se positionner les unes vis-à-vis des autres, et la concurrence qui en naît.

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Le dessin des maillages administratifs dans lesquels est mise en œuvre l’action sociale départementale relève, pour une part, incontestablement de logiques gestionnaires. En témoigne notamment l’attention portée au poids démographique des « circonscriptions » d’action sociale, ou les arguments justifiant tel ou tel modèle d’organisation locale. Néanmoins, on ne peut réduire les logiques de découpages à ces seules dimensions. Entrent en compte des logiques politiques, qui s’expriment en particulier dans le choix des départements de caller les découpages sur le maillage cantonal, ou sur le tracé des intercommunalités, ou encore, sur aucun des deux. Se trouve ici en jeu la visibilité de l’action du conseil général en matière d’action sociale. Transparaissent également des choix assumés en matière de mise en œuvre de l’action sociale, particulièrement visible au sujet de la question de la sectorisation. Le modèle de la « polyvalence de secteur » est ainsi apparu traversé par la volonté de renouveler les modes d’intervention des assistants sociaux, soit sous l’impulsion du conseil général lui-même, soit des responsables de circonscription, ou encore des équipes de travailleurs sociaux. Il s’agit maintenant d’observer concrètement dans quelles formes s’incarnent ces principes, à partir de l’exemple du dessin des « circonscriptions d’action sociale ».

C

HAPITRE

7.