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La notion de territoire inscrite dans le terme de « gouvernance territoriale » est donc au centre des questions d‟agriculture périurbaine. Comment les sciences de gestion peuvent-elles s‟emparer de cette notion ?

1.3.1.Tour d’horizon des définitions

Le territoire est devenu un lieu de décisions où les acteurs fabriquent de l‟innovation pour faire face aux problèmes d‟aménagement ou d‟emploi par exemple. Le territoire est donc plus qu‟un simple « échelon » de la gouvernance. Il peut même s‟appliquer à tous les échelons, selon l‟échelle que l‟on donne aux enjeux. Ainsi, une commune, une région, ou un pays sont autant de territoires emboîtés. Pourtant derrière la notion de développement territorial et a

fortiori de gouvernance territoriale se cache l‟idée de la question infranationale (Pesqueux,

2009).

Les définitions de territoire sont nombreuses et traversent les disciplines. Michaux (2011) précise que le territoire « ne constitue pas un simple échelon spatial parmi d‟autres où s‟élaboreraient des

politiques locales dans les contraintes imposées par des démarches hiérarchiques descendantes. Le territoire s‟impose au contraire comme un construit social en émergence qui se développe au travers de relations durables de proximité géographie entre une multiplicité d‟acteurs. »

Pesqueux (op. cit.) recense sept points de vue de sept disciplines, résumés dans le tableau ci- contre. Derrière la notion de territoire, c‟est toutes ces définitions qui se cachent : le territoire

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est à la fois un espace géographique, un espace vécu (à la fois de manière historique et expérientielle), le siège d‟un gouvernement, un symbole qui définit le « proche » du « loin » ou le « voisin » de « l‟étranger », une ressource, etc. Face à tant de définitions, quelle utilité a cette notion pour les sciences de gestion ? Comment pouvons-nous nous saisir du concept de « territoire » ?

TABLEAU 1-4SEPT NOTIONS DE TERRITOIRE D’APRÈS PESQUEUX,2009

Discipline Notion de territoire

Géographie « Espace de référence situé à l‟intérieur de frontières naturelles et/ou permettant à un groupe humain d‟y vivre ».

Histoire Référence à la terre et à l‟agriculture domaniale (« terrain »).

Éthologie

« lieu de multiplication des contacts où chaque sujet maintient autour de lui un espace de sécurité […], mais aussi de la coopération entre individus d‟une même espèce pour la recherche de nourriture, l‟utilisation d‟abris… »

Sciences

politiques Notion retrouvée dans la « logique politique de la colonisation » (« territoire d‟outre-mer »). Pour Foucault, le territoire est le « siège du gouvernement ».

Anthropologie

Dimension émotive et identitaire. « Lieu symbolique de la convivialité ». Le territoire est l‟espace qui sépare le « proche » du « loin ». Cette notion peut se rapprocher des expressions « terroir », « folklore »… voir « tribalisme », la notion de « communauté » étant prégnante dans les deux expressions. Le territoire est la « définition spatiale de la communauté ».

Économie Notion de territoire comme « ressource », support de production, mais aussi comme support des proximités (géographiques et organisationnelles)

Sciences de gestion

Le territoire est un lieu d‟apprentissage et d‟action, au même titre que les organisations. Sa différence principale est la « primauté de la cohésion sur la

cohérence ».

Sauf lorsqu‟il est lieu administré, les frontières du territoire sont floues. Le territoire a des limites, mais on ne sait pas exactement lesquelles. Pesqueux parle de « relativité perpétuelle » pour signifier la mouvance des frontières. Le territoire est donc un objet en constante reconfiguration, à la fois spatiale, institutionnelle, humaine… À l‟image de l‟organisation qui constamment redéfinit ses objectifs stratégiques, le territoire construit et déconstruit son identité. La gouvernance territoriale est alors vue comme le mode de gestion qui permet la reconstruction et la reconfiguration de cet espace.

Dans le contexte de l‟Union européenne, le territoire est le lieu d‟expression du principe de

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confiée à la plus petite unité capable de la prendre en charge ou de résoudre le problème elle- même. Les territoires sont alors des emboîtements qui sont aussi nombreux qu‟il y a d‟actions : quartier, ville, agglomération, bassin versant, bassin de vie… Ici encore, cette notion de territoire exprime ce caractère de « relativité perpétuelle ».

1.3.2.Territoire et organisation : proposition d’une définition

Selon Figuière et Rocca (2012), « le territoire offre le double avantage d‟être à la fois un “construit

social” produit d‟une histoire, tout en étant lui-même acteur de la mise en œuvre du développement durable ».

Le territoire partage donc ce point commun avec l‟organisation d‟être à la fois un acteur collectif à part entière et l‟espace de mise en relation d‟acteurs individuels ou collectifs. Casteigts (2003) définit le territoire comme un système organisé complexe doté d‟une capacité d‟action. Les problématiques de gouvernance territoriale se rapprochent fortement de certaines problématiques de sciences de gestion, notamment les questionnements concernant la conduite des organisations. Le territoire est alors défini comme un « ensemble d‟individus poursuivant un ou des objectifs communs et mettant ensemble des moyens pour y parvenir » (Chia, Rey-Valette et Torre, 2009).

Ainsi, pour moi, le territoire est assimilable au concept d‟organisation ou à celui de système organisé. C‟est dans cette optique que je peux appliquer les concepts d‟apprentissages organisationnels aux situations de gouvernance territoriale. Le territoire encadre deux notions, celles d‟une proximité géographique et d‟une proximité organisationnelle (Torre et al., 2006). Or, ce sont les phénomènes de cohérence et développement durable de cet espace géographique qui entraînent nécessairement la mise en place de cette organisation (Leloup, Moyart et Pecqueur, 2005).

Pour certains, cette notion d‟organisation est une dimension du territoire, de même que la dimension identitaire (approche sociologique) et matérielle (approche économique). Le territoire peut-être alors défini dans son approche politiste ou gestionnaire comme une entité dotée d‟une organisation caractérisée par des rapports hiérarchisés, de complémentarité, domination et solidarité (Auriac et Brunet, 1986). D‟autres préfèrent au territoire une approche systémique. Moine définit ainsi le territoire comme un système composé de trois sous-systèmes : espace géographique, représentations de cet espace, et système d‟acteurs (Moine, 2006).

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Si cette approche systémique s‟éloigne un peu de la notion d‟organisation, elle peut s‟y retrouver dans la notion de système organisé tel qu‟il est défini par Friedberg (1992). Il est selon lui possible d‟identifier un continuum d‟organisations composé de trois « paliers ». Le premier palier correspond à un système dans lequel les acteurs n‟ont pas forcément conscience de leur appartenance au système ou de leurs interdépendances et intérêts communs, et où il n‟existe aucune formalisation ou délégation de la régulation, mais où existe une collusion tacite à laquelle au moins les dirigeants participent. À l‟opposé, le troisième palier décrit un système possédant des mécanismes de régulation très explicites, conscients et finalisés. Ainsi, en définissant le territoire comme un système d‟action organisé, je pourrai identifier des territoires ayant mis en place des mécanismes de régulation et de pilotage du système et où l‟on peut observer l‟émergence de structures et procédures formalisées, comme une collectivité territoriale, et d‟autres où aucune formalisation n‟est mise en place.

Cependant, je pars de l‟hypothèse selon laquelle chaque territoire, au moins prescrit, sinon

construit, correspond au moins à ce que Friedberg définit comme le « premier palier », c.-à-d. la

coexistence des acteurs dans une collusion tacite englobant au moins les dirigeants. Les acteurs appartenant au territoire ne sont pas nécessairement conscients de leurs interdépendances et intérêts communs, ou de leur appartenance au système d‟action (au territoire), mais mon hypothèse est que le territoire présente au moins un « niveau faible » d‟organisation. L‟absence totale de coopération entre les acteurs d‟un même territoire me paraît ainsi improbable : « il n‟y a guère de système qui ne soit sous la dépendance d‟un tiers garant qui

domine les participants et intervient dans leurs transactions pour assurer le respect d‟un minimum de règles »

(Friedberg, 1992).

Enfin, derrière la notion de territoire construit, des chercheurs posent l‟idée de « l‟effort » que doivent produire ses acteurs, justement, pour construire ce territoire ou le « faire » (Carrieu- Costa, 2014). Cette construction consciente et consentie réclame donc également, pour faire écho à la gouvernance territoriale, un processus d‟apprentissage : la gouvernance et le territoire s‟élaborent l‟un dans l‟autre, par ses acteurs, lorsque ceux-ci apprennent à coopérer.

Le territoire tel que je le conçois dans cette thèse peut alors être défini comme un « agencement » ou système organisé d’acteurs, de réseaux, de connaissance et d’espace (Raulet-Croset, 2014), en « perpétuelle redéfinition », siège de la coopération et de la coordination de ces acteurs, et dont la gouvernance est le mode de gestion privilégié.

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Le territoire pour les sciences de gestion peut également être assimilé à la dimension spatiale des situations de gestion (Raulet-Croset, 2008) : il va à la fois être défini par les projets et les coordinations entre acteurs, mais va également mobiliser d‟autres acteurs (voir chapitre trois).

Un autre enjeu pour les sciences de gestion est de comprendre, comme l‟avait fait Berry et son équipe à l‟époque à propos des organisations (Berry, 1983), le poids des « technologies invisibles » sur ces territoires, ou ce que d‟autres chercheurs nomment les « dispositifs de gouvernance » (Lardon et al., 2008). J‟explorerai cette idée plus en détail dans le chapitre deux.

CONCLUSION

Dans ce premier chapitre, j‟ai présenté le concept de gouvernance territoriale, en revenant sur sa naissance et son application dans le contexte français. J‟ai également présenté une définition compréhensive de ce concept. Puis j‟ai présenté les enjeux scientifiques de l‟étude de la gouvernance territoriale, montrant l‟intérêt en sciences de gestion d‟étudier les apprentissages en jeux. J‟ai également précisé les enjeux de la gouvernance dans le contexte des territoires périurbains, en particulier pour l‟agriculture. Enfin, je suis revenue sur la définition du territoire pour proposer une lecture de ce concept par les sciences de gestion.

Aujourd‟hui, la recherche sur la gouvernance territoriale est séparée en deux principaux champs : d‟une part, l‟analyse de ce que la gouvernance produit en termes de dispositifs, effets, politiques,… allant jusqu‟à l‟évaluation de celle-ci ; d‟autre part, les modalités de construction du projet commun, en termes de relations entre acteurs, négociations et relations de pouvoir , etc. (Chia, Rey-Valette et Torre, 2009). Ma recherche se situe dans le deuxième champ, puisque je m’interroge sur la capacité des acteurs de territoires périurbains à co-construire un projet commun et redéfinir collectivement une identité et une vision partagée.

L‟observation de la gouvernance territoriale comme processus ou mode de gestion dans le contexte des territoires périurbains est donc un véritable enjeu de société, à la fois global et facteur de transformations locales. Dans ce contexte, la question des apprentissages de gouvernance permet d‟explorer les conditions de fonctionnement et de pérennité de ce processus. Comment cette question peut-elle être appréhendée ?

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