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Concepts proches de la notion d’apprentissages de gouvernance

Diffusion et adoption

2.3.4. Concepts proches de la notion d’apprentissages de gouvernance

Comme nous venons de le voir, le terme d‟apprentissage de gouvernance n‟est pas utilisé en tant que tel. D‟autres termes sont cependant utilisés pour évoquer des concepts proches :

social learning, policy learning, citizenship learning, etc. J‟explorerai ces concepts ci-dessous.

2.3.4.1. Social learning

L‟une des idées importantes derrière les apprentissages de gouvernance est la capacité des acteurs à coopérer et travailler ensemble. Cette idée revient souvent derrière le terme de social

learning (apprentissage social). Pourtant, des divergences existent quant à son emploi dans la

littérature. De nombreux auteurs en gestion des ressources et des sciences de l‟environnement par exemple ont souligné l‟importance de « l‟apprentissage social » en lien avec la gestion concertée des ressources, et notamment avec une gouvernance des ressources naturelles.

Rist et al. (2007) présentent le passage d‟une logique de gestion des ressources durable à une logique de gouvernance des ressources durable comme un « apprentissage social ». L‟étude des interactions pendant et suivant des ateliers de réflexions dans les communautés rurales montre les effets de l‟apprentissage social sur la gouvernance. Ceci met en évidence l‟importance des dispositifs de gouvernance pour élaborer la confiance entre acteurs, ainsi que les valeurs communes.

Dieleman (2013) souligne également l‟importance du partage des modèles mentaux dans la gouvernance. La capacité des acteurs à changer de modèle est alors une condition primordiale à la bonne coopération des parties prenantes. Cette idée de « modèle mental » est très proche de la notion de cadre, et ce type d‟apprentissage est à rapprocher de l‟idée d‟apprentissage de troisième boucle dans mon modèle.

Enfin, d‟autres auteurs comme Crona et Parker (2012) soulignent l’importance du réseau dans la circulation de la connaissance scientifique.

Ainsi, de nombreux éléments regroupés derrière la notion de social learning sont également présents dans la notion d’apprentissage de gouvernance : confiance, valeurs communes, modèles mentaux, établissement du réseau. Cependant, je

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préfère conserver le terme d’apprentissages de gouvernance plutôt que d’adopter celui de social learning pour m’en distancer, en raison de son ambigüité.

En effet, plusieurs difficultés se posent quant à l‟utilisation de ce terme. D‟une part, l‟utilisation du terme « apprentissage social » est parfois abusive, et mal définie par certains auteurs (Cundill et Rodela, 2012). Comme montré précédemment, certains le définissent bien comme la notion « d‟apprendre à travailler ensemble », ce qui se rapproche en partie de la notion d‟apprentissage de gouvernance (Crona et Parker, 2012 ; Pahl-Wostl, 2009 ; Rist et al., 2007). Coudel (2009), par exemple, dans sa construction d‟un modèle intégré d‟une théorie de l‟apprentissage, assimile social learning à l‟apprentissage de coopération. Mais la coopération ne passe pas nécessairement par la forme du réseau. Si travailler ensemble ou coopérer est une condition à la gouvernance territoriale et constitue l‟un de ses apprentissages, comme nous le verrons de manière spécifique au chapitre neuf, mais également dans le chapitre dix, je ne peux réduire le concept d‟apprentissage de gouvernance à cette seule notion « d‟apprendre à travailler ensemble ».

Beaucoup d‟autres auteurs utilisent le concept de social learning pour désigner le fait d‟apprendre ensemble par l‟action collective (Berkes, 2009 ; Garmendia et Stagl, 2010 ; Muro et Jeffrey, 2008 ; Sol, Beers et Wals, 2013), ce qui se rapproche de la notion d‟apprentissage social développé en sciences de gestion (Brandi et Elkjaer, 2011 ; Lave et Wenger, 1991).

Cadre d‟analyse de Pahl-Wostl : les régimes de gouvernance

Des tentatives d‟analyse plus fines existent. Pahl-Wostl (2009) propose une application des concepts de première, seconde et troisième boucle appliquée à la gestion concertée des risques d‟inondations. Cet article suggère, à l‟opposé de Keen et al., que les apprentissages concernant les « modes de gouvernance » sont bien présents dans les trois boucles. L‟apprentissage en simple boucle illustre l‟amélioration des performances au sein d‟un régime de gouvernance. L‟apprentissage en double boucle quant à lui se réfère à un début de remise en question du modèle dominant de gouvernance par le changement du cadre de référence, au travers des buts fixés. L‟apprentissage en triple boucle correspond à un changement total de régime de gouvernance.

L‟auteur sous-entend dans ce modèle le fait que toutes les boucles d‟apprentissages ne sont pas égales, mais seront effectuées dans un certain ordre (première boucle, puis seconde boucle, puis troisième boucle) en lien avec leur « coût » de mise en place (il

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serait moins coûteux d‟effectuer un apprentissage de première boucle que de troisième boucle). Or, je pense que ces boucles ne sont pas à hiérarchiser en fonction de leur « qualité », mais font appel à des processus différents. Un apprentissage en troisième boucle peut être nécessaire quand bien même la situation n‟aurait jamais appelé un apprentissage en première boucle.

Par ailleurs, si la notion d‟apprendre à coopérer devient une idée centrale, et fait référence aux théories des apprentissages, la littérature reste souvent vague sur les caractéristiques de ces apprentissages. Armitage et al. (2008) soulignent ainsi le manque d‟un examen des facteurs déterminant le « quoi, où, quand et comment ». Cette analyse est pourtant cruciale si l‟on veut comprendre quelles sont les conditions nécessaires à un apprentissage efficace, ainsi que le produit attendu de cet apprentissage. Je pense que les théories des apprentissages organisationnels des sciences de gestion permettent de répondre à cette question (voir 2.1.3), c’est pourquoi je propose d’en développer un cadre d’analyse applicable aux questions de gouvernance territoriale, plutôt que d’emprunter la notion de social learning pour répondre à ma question de recherche.

2.3.4.2. Policy learning

Le terme policy learning est souvent mentionné de pair avec les termes de gouvernance et d‟apprentissages du secteur public. Si ce concept ne semble pas être vraiment proche de celui d‟apprentissage de gouvernance, il apporte des éléments de réponses par rapport à la question précédemment posée sur la manière dont les chercheurs en sciences politiques abordent la question des apprentissages dans le secteur public (voir 2.1.4).

Le concept de policy learning utilisé dans le champ des sciences politiques fait référence aux apprentissages qui découlent d‟une politique. Ainsi, un apprentissage en simple boucle se traduirait par une amélioration de l‟efficience, qui permet de minimiser le coût d‟une politique par exemple. Un apprentissage en double boucle se traduirait par une amélioration sur l‟efficacité de cette politique. Quant à l‟apprentissage en triple boucle, il ferait référence à la stratégie et aux valeurs telles qu‟elles sont dictées par les élus (Gilson, Dunleavy et Tinkler, 2009). Bien que cette analyse des apprentissages paraisse essentielle appariée à l’évaluation des politiques publiques, les critères de gouvernance n’entrent pas en jeu.

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Hall (1993) propose également un modèle de policy learning en première, seconde et troisième boucle. L‟apprentissage de première boucle y représente un changement dans les modalités d‟un instrument de politique publique ; l‟apprentissage de seconde boucle représente un changement d‟instrument de politique publique ; et l‟apprentissage en troisième boucle représente un changement de but, et donc de politique publique. Bien que cette analyse soit fort intéressante, notamment au vu de son utilisation de la notion d‟instruments, elle est complètement détachée des idées de gouvernance territoriale en se focalisant principalement sur les agents des politiques publiques comme sujets de l’apprentissage.

Dans certains cas plus rares, policy learning se rapproche parfois des apprentissages de gouvernance. Ainsi, dans un numéro spécial de Journal of European Public Policy22 des auteurs

comme Schout (2009) soulignent l‟existence d‟un consensus parmi les chercheurs, établissant l‟adoption des nouvelles règles de la gouvernance comme acquises. Cependant, il est nécessaire selon les auteurs de se pencher sur le processus même du changement de paradigme, ainsi que les instruments utilisés, pour comprendre les difficultés qui ont pu être rencontrées. L‟analyse des apprentissages, en particulier de gouvernance, permet de comprendre ce processus.

Même si Schout différencie dans son article les apprentissages de gouvernance, les apprentissages d‟instruments et les apprentissages organisationnels, cela est fait d‟après lui pour des raisons heuristiques, et il est précisé que ces trois formes d‟apprentissages sont toutes identifiables sous le terme d‟apprentissages de gouvernance. Les apprentissages de gouvernance y sont définis comme des changements radicaux de mode de gouvernance, mais également des améliorations dans le mode existant. Cela inclut aussi une amélioration de la compréhension et de l’utilisation des instruments. Radaelli (2009) définit ce concept de policy learning comme le processus d‟actualisation des croyances à propos des composants clés d‟une politique publique, tels que la définition du problème, l‟efficacité de la politique, les stratégies des acteurs ou le paradigme sur lequel se base la politique. Bien que certaines de ces notions soient partagées dans le concept d‟apprentissage de gouvernance, qui inclut également l‟actualisation des croyances telles que la stratégie des acteurs ou le paradigme, ces deux concepts ne sont pas interchangeables. En effet, même si les critères de bonne gouvernance peuvent faire partie des

22 Journal of European Public Policy, Volume 16, Issue 8, 2009. Special Issue: Learning and Governance in the

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« croyances » d’une politique publique, ils ne sont pas une condition nécessaire et suffisante. Le policy learning n’inclut donc pas forcément l’apprentissage de gouvernance.

Cadre d‟analyse de Schout : l‟apprentissage organisationnel dans le contexte de l‟apprentissage de gouvernance

Schout propose un modèle assez proche en apparence de celui de Pahl-Wostl, en notant que l‟apprentissage de gouvernance peut comprendre des améliorations d‟un mode existant de gouvernance ou un changement vers un autre mode. Plutôt que d‟emprunter la théorie des boucles d‟Argyris et Schön, il répartit les apprentissages en trois types.

Le premier type est celui, le plus « total », des apprentissages de gouvernance à proprement parler. Il peut s‟agir d‟un changement violent de mode de gouvernance, ou d‟un changement plus graduel concernant une amélioration des modes de compétition, de réseau ou de hiérarchie.

Le second type est nommé apprentissage instrumental. Il s‟agit de changement des instruments de la gouvernance, notion identique à celle des « instruments de politique publique » de Hall.

Enfin, l‟apprentissage organisationnel renvoie aux changements de capacités organisationnelles que sont les capacités bureaucratiques, la formation, la coordination, etc.

Bien que ce modèle permette une analyse fine des mécanismes d‟apprentissages à l‟œuvre dans les organisations gouvernementales, il est fortement orienté vers les sciences politiques et ne permet pas de répondre à mes questions de recherche de manière profonde. En effet, j‟ai choisi dans mon cadre d‟analyse de me concentrer en particulier sur les instruments d‟action publique. Or je considère que ces derniers vont provoquer ou produire des apprentissages de gouvernance par les situations de gestion qu‟ils produisent (voir chapitre trois). Classer ces apprentissages comme un « type » à part entière, séparé des apprentissages de gouvernance, n‟est donc pas compatible avec cette lecture des instruments.

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2.3.4.3. Apprentissage de citoyenneté (citizenship learning)

Andrews et al. (2008) explorent l‟idée de participation citoyenne en l‟assimilant à un apprentissage. Ils soulignent la difficulté d‟évaluer l‟efficacité des politiques publiques visant à stimuler l‟engagement des citoyens. La dimension apprentissage semble y être un enjeu majeur dans l‟évaluation de ces politiques.

Un autre concept, celui d‟apprentissage de citoyenneté, se rapproche de l‟idée d‟apprentissage de gouvernance. Il est centré sur la capacité des citoyens à participer à la vie politique. Bocatto et Perez de Toledo (2013) illustrent l‟effet positif des dispositifs de gouvernance participatifs sur l‟engagement des citoyens, assimilant leur envie de poursuivre une participation à ce dispositif à un apprentissage de citoyenneté.

Bien que ces concepts soient intéressants et montrent un intérêt partagé pour les questions de participation citoyenne, ils sont limitants et n’englobent pas la totalité de la problématique de gouvernance territoriale.

2.3.5.Vers un cadre d’analyse des apprentissages de

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