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La CCPL et la participation : esquisse d’une gouvernance participative

ACTION COLLECTIVE DANS LE LUNELLOIS

4.1.3. La CCPL et la participation : esquisse d’une gouvernance participative

4.1.3.1. Participation citoyenne

La participation des acteurs privés dans l‟élaboration des projets de la CCPL varie à la fois dans le temps et à travers les projets et espaces de concertation. En reprenant la grille proposée dans le chapitre un, j‟ai classé les formes de participation selon leur « niveau » (information, consultation, co-construction, codécision). Une des principales caractéristiques de la gouvernance est en effet l‟implication des acteurs privés dans la gestion des affaires publiques. Cette participation est en fait à la fois un besoin émanant des territoires, par la mobilisation des « experts d‟usages », sources d‟innovation, mais il est également devenu une injonction de l‟État et de l‟Union européenne. Nous verrons d‟ailleurs dans cette partie que le rapport des élus et de la CCPL en général avec cette idée de participation illustre bien l‟équilibre entre le besoin et l‟injonction. La méfiance des élus envers les acteurs privés montre que la participation est d‟abord une injonction. C‟est quand le besoin d‟innovation et d‟expertise d‟usage naît que la participation devient non plus une contrainte, mais une solution possible, un nouvel espace d‟action collective.

Les premières instances participatives identifiées interviennent dans le contexte du SCOT, élaboré de 2003 à 2006, et dont le cadre réglementaire spécifie le niveau minimal de la participation, notamment l‟enquête publique. Lors de cette situation de gestion, présentée plus en détail dans le chapitre cinq, la participation a été de deux niveaux : informatif, et consultatif. Parmi les formes consultatives, l‟enquête est l‟outil le plus populaire. Celle-ci s‟est faite à la fois sous la forme classique du « questionnaire à la population », mais également à travers une approche plus originale du « concours photo ». Ce concours a pour objectif de faire photographier les lieux qui représentent ou qui symbolisent le territoire par leurs habitants, sorte de « diagnostic participatif » dans lequel l‟appareil photo et les photographies produites jouent le rôle d‟intermédiaire ou d‟interface entre les habitants, ici producteurs de l‟information, et les élus, receveurs de cette information. Si le questionnaire à la population est la forme jugée la plus « légitime » selon certaines personnes interrogées, notamment par le directeur de la CCPL, qui estime que le questionnaire permet à toute la population de participer, et pas seulement à un petit groupe, le concours photo est conçu comme un moyen d‟éviter ou en tout cas de retarder la confrontation entre élus et citoyens telle qu‟elle peut exister dans la réunion publique, également obligatoire dans le processus d‟élaboration du

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SCOT. La responsable de l‟animation du SCOT et de la concertation argumente cette décision par la volonté d‟éviter que les élus soient « mal à l‟aise » face aux citoyens.

Une autre forme consultative utilisée est la réunion, qu‟elle soit publique ou spécifique à un groupe particulier (deux « forums » organisés avec les acteurs socio-économiques). Les réunions publiques prennent parfois une portée plutôt informative que consultative, en fonction de la dynamique instaurée, mais la commission d‟enquête chargée du suivi de ces réunions à la CCPL juge que l‟avis de la population est bel et bien pris en compte :

« ‚Beaucoup de personnes viennent s’informer et préfèrent ensuite transmettre leurs réflexions par écrit. Contrairement à ce que beaucoup croient, rien n’est bouclé d’avance, comme le montre le cas du dédoublement de l’autoroute A9, où les commissaires-enquêteurs ont donné un avis défavorable. Notre fonction, c’est de prendre en compte l’intérêt du public‛, insiste Serge Ottawy, président de la commission d’enquête » (Article Midi Libre, édition Lunel, 10 mai 2006).

Enfin, une forme particulière de dispositif participatif de nature consultative a été créée pour le SCOT : le conseil d‟habitant. Ce conseil, dont les membres ont été séléctionnés sur la base du volontariat, avec tout de même une volonté d‟avoir un conseil représentatif des 13 communes du territoire, s‟est réuni cinq fois entre 2004 et 2006. Aucun élu n‟était présent, mais l‟animatrice SCOT et le directeur de la CCPL, ont animé les réunions. L‟objectif de ce conseil était principalement, selon le directeur de la CCPL, de vérifier l‟intelligibilité des textes produits, et leur opinion sur les décisions prises. Cela a servi tout d‟abord à rassurer les élus dans la direction telle que les élus l‟ont choisie, notamment sur l‟envie forte de proposer un SCOT qui limite l‟urbanisation, mais surtout à corriger les documents finaux pour s‟assurer qu‟ils soient compréhensibles par la population une fois rendus publics. Les remarques données par les membres de ce conseil ont été consignées par les animateurs qui, ensuite, dans les réunions avec élus, ont rapporté ce qui avait été dit. Ils ont donc joué un véritable rôle d‟interface entre les citoyens et les élus, au même titre que l‟appareil photo.

Le deuxième type de concertation présent lors du SCOT, de nature informative, se retrouve dans la communication par les bulletins municipaux, le site internet et la presse locale. Le résultat du concours photo a été installé en exposition lors des réunions publiques comme outil informatif également. Celui-ci était un signe visible d‟un produit de la concertation, et permettait donc d‟afficher aux habitants la démarche participative de la CCPL. Cependant, les réunions publiques également ont joué ce rôle d‟information par leurs premières parties

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de « restitution du travail fait ». En revanche, la concertation prend des formes plus avancées avec les agriculteurs.

4.1.3.1. Participation des agriculteurs à la politique agricole

Dans le contexte de la politique agricole, on retrouve deux formes de concertation : la consultation et la co-construction. Comme pour la population dans le cadre du SCOT, les forums, comme le forum circuits courts de décembre 2010, et les autres réunions sont une forme de participation de type consultation, au même titre que les questionnaires spécifiques aux agriculteurs. Du côté de la co-construction, la CCPL a créé des « groupes de travail » sur l‟agriculture à deux reprises. Le premier groupe a réunit une dizaine d‟agriculteurs, deux animateurs et un élu. Son objectif était d‟imaginer collectivement des actions possibles pour la mise en place des circuits courts sur le territoire. Sa création est directement venue du refus de certains élus d‟inclure les agriculteurs dans le « comité de pilotage » agriculture, créé lors de la première phase de la politique agricole, simultanément au SCOT. Ainsi, d‟après le compte-rendu de la réunion du comité de pilotage du 17 février 2005, le président de la CCPL et le maire de Saussines de l‟époque souhaitaient intégrer les agriculteurs aux réflexions du comité. Le maire de Valergues émet alors des réserves, rappelant au comité que les agriculteurs sont des « propriétaires fonciers » et sont donc susceptibles de vouloir orienter le débat en leur faveur. L‟animatrice SCOT propose alors d‟impliquer les agriculteurs par un questionnaire, puis une réunion de restitution des résultats de ce questionnaire et enfin la création d‟un groupe de réflexion issu des agriculteurs intéressés. Encore une fois, ce sont les animateurs qui font l‟interface entre les agriculteurs et les élus, présentant en comité

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de pilotage les idées proposées par le groupe de réflexion, et rapportant au groupe les décisions prises par les élus du comité. Un élu participait bien au groupe de réflexion d‟agriculteurs, mais sa présence était plus motivée par le besoin d‟avoir un représentant politique de la CCPL dans les réunions que par la volonté d‟avoir un véritable échange avec les agriculteurs.

Le deuxième groupe a réuni des agriculteurs, des consommateurs, deux animateurs et un élu. Nommé « comité de pilotage agriculture et alimentation locale », son fonctionnement était très proche du groupe précédent, à ceci prêt qu‟il a véritablement permis de co- construire un projet collectif : le marché paysan. De manière identique, les animateurs et l‟élu représentant la CCPL ont servi d‟interface entre le groupe et la CCPL, et notamment sa commission « aménagement durable et préservation des ressources ». Cette fois-ci, l‟absence de collaboration entre élus et agriculteurs n‟est pas voulue dans le but de protéger les élus, mais parce que les animateurs jugeaient leur inclusion « risquée » :

« Il y avait une présence faible d’élus parce qu’on ne voulait pas un poids important de la part des élus, qui risquaient de faire pencher la balance » (responsable CQV, entretien du 2 avril 2013).

Il y a donc dans ces deux instances participatives une méfiance réciproque des élus et des habitants, ou en tout cas des agriculteurs, avec entre les deux l‟animateur qui joue le rôle de « navette » pour relayer les informations d‟une instance à l‟autre. Cette forme d‟organisation expose clairement les acteurs à certains risques. Dans le cas de la création du marché paysan, la non-implication des élus a pu mener à un manque d‟information qui aura conduit les membres du groupe à des choix peu judicieux (voir 4.2.3).

Après cette première expérience de forte implication des agriculteurs dans la politique agricole, la création des projets suivants, surtout dans la « troisième phase », implique peu les agriculteurs. Certes, les agriculteurs qui participent à l‟« opération de ferme en ferme » participent à la vie du groupe et au choix des agriculteurs participant, mais ce type de participation interne à un projet est complètement séparé des participations au choix et à la création des projets de politique publique. Les élus eux-mêmes reconnaissent que la majorité des projets actuels pour l‟agriculture à la CCPL ne vient pas des agriculteurs, et encore moins d‟une co-construction entre élus et agriculteurs, mais bien des élus eux-mêmes, avec l‟aide et l‟appui des animateurs et accompagnateurs. Le déplacement des objectifs vers la restauration collective, en « phase trois », témoigne de cet « abandon » des tentatives de concertation

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précédentes : les agriculteurs ne sont plus du tout impliqués dans la réflexion, mais seulement sollicités de manière ponctuelle et individuelle comme fournisseurs potentiels. La réunion de bilan de la première année de l‟opération « un fruit pour la récré » a d‟ailleurs invité des représentants des écoles à venir faire part de leur vécu et de leur expérience, mais aucun agriculteur n‟était présent.

Hors du cadre de la CCPL, les élus du territoire mobilisent peu la participation sur leur commune. Des enquêtes publiques et réunions pour consultation sont organisées selon la règle pour l‟établissement des POS et PLU, mais certains élus expriment une forte méfiance envers cette participation. Le maire de St Christol rejette l‟idée de la participation dans la mise en place de sa politique communale :

« Je donne des explications objectives le plus possible, mais je sens que la réponse des habitants est toujours ‘‘mais et moi ?’’ *<+ À St Christol on a choisi une logique de développement. Il faut assumer les choix et il faut aller jusqu’au bout du mandat en assumant les choix et en les mettant en place. La pire des choses ce serait d’aménager notre point de vue pour faire plaisir à quelqu’un » (maire de St Christol, entretien du 4 mars 2013).

La participation des habitants à l‟élaboration des projets du territoire, dans ce cas concernant l‟agriculture, recoupe donc bien plusieurs réalités et est le reflet à la fois des représentations des élus sur ce que cette participation peut produire, mais également des animateurs en charge de l‟organisation de la concertation. Je pense par exemple que si l‟animatrice SCOT a choisi des formes de concertation qui évitent une « confrontation » entre élus et citoyens, c‟était par peur « d‟effrayer » les élus qu‟elle et d‟autres porte-paroles tentaient d‟enrôler dans la situation de gestion créée par le SCOT (voir chapitre cinq).

Au-delà de ces espaces de concertation, de véritables formes d‟action collective ont été mises en place à la CCPL dans le cadre de la politique agricole.

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AGIR ENSEMBLE POUR L’AGRICULTURE DANS LE

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