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Opération de ferme en ferme : description de la situation de gestion

LUNELLOIS : ACTION COLLECTIVE ET AGRICULTURE

4.2.4. Opération de ferme en ferme : description de la situation de gestion

L‟opération « de ferme en ferme », projet piloté par les CIVAM en France, a été introduite sur le territoire de la CCPL par l‟employé CIVAM en 2011. L‟objectif de l‟opération est d‟organiser le temps d‟un week-end un circuit de visite des fermes du territoire à destination des populations locales et avoisinantes. Il s‟agit de rapprocher les habitants des villes aux agriculteurs. Pour cela, le CIVAM34 organise des réunions de préparation et des sessions de formation, notamment à la communication, auxquelles les agriculteurs sont invités à participer. L‟objectif des CIVAM est d‟amener les agriculteurs vers l‟autonomie et l‟autogestion. Ils donnent donc à un ou plusieurs agriculteurs la responsabilité de recruter les autres et d‟organiser le réseau local. La stratégie de « recrutement » consiste à avoir une offre la plus diversifiée possible.

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L‟opération a eu lieu 4 fois sur le territoire de la CCPL, de 2011 à 2014. Les participants ont été au nombre de 6 en 2011, 8 en 2012, 4 en 2013 et 5 en 2014, soit au total 11 agriculteurs du territoire. Parmi ces 11, j‟en ai enquêté 7. J‟ai également obtenu des informations sur un huitième agriculteur, moins fiables, car rapportées par d‟autres enquêtés. J‟ai au final pu avoir des informations sur le vécu de 8 agriculteurs sur les 11 participants. Ces huit en particulier ont constitué les groupes de 2011 et 2012, les trois agriculteurs sur lesquels je n‟ai pas d‟information ayant participé en 2013 et 2014. Les enquêtes ayant été menées dans l‟été 2012, je n‟ai pas d‟information sur l‟appréciation de l‟opération en 2013 et 2014. J‟ai, dans les enquêtes, analysé l‟appréciation des participants sur la fréquentation ainsi que l‟appréciation de l‟organisation générale de l‟opération, ce qui

les a motivés à participer à l‟opération, la manière dont ils se sont préparés pour l‟accueil des visiteurs, et enfin les effets ou retombées qu‟a eus l‟opération (voir tableau 4-2).

4.2.4.1. Avis des participants { l’opération

La plupart des membres interrogés n‟ont participé qu‟une ou deux fois à l‟opération. On note en particulier un retrait important de participants entre 2012 et 2013 : passage de 11 à 4 participants, avec 9 retraits et 2 ajouts. Il est important de replacer cet évènement dans son contexte : le week-end de 2012 a été, au dire des participants, particulièrement pluvieux. En conséquence, la participation des habitants a été très faible, ce qui a pu décourager les agriculteurs. On peut alors séparer en trois groupes les personnes interrogées, en fonction de l‟expérience qu‟elles ont vécue.

Tout d‟abord, un petit groupe a été très satisfait de l‟expérience. Il s‟agit de l‟héliciculteur (éleveur d‟escargot) à Lunel-Viel, du manadier à St Christol et du pépiniériste à Lunel. Le premier a participé deux fois, en 2011 et 2012, et était responsable du groupe CCPL en 2012. Les deux autres ont participé aux quatre années. Ils ont tous les trois été satisfaits de la fréquentation en 2011 et 2012 et ont également fortement apprécié l‟expérience même, qui comprend à la fois le déroulé du week-end, mais également l‟organisation générale de l‟opération. Ainsi, l‟héliciculteur à Lunel-Viel affirme que l‟opération lui a permis de « booster » sa pratique : l‟anticipation de l‟accueil des visiteurs l‟a forcé à revoir l‟organisation

FIGURE 4-7 PLAQUETTE DE L’OPÉRATION « DE FERME

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de son exploitation, consolider les infrastructures (toilettes sèches, salle d‟accueil en cas de pluie), et sa communication. Le manadier à St Christol a particulièrement apprécié le « stage » de formation qui lui a permis d‟acquérir des compétences en communication : manière de se présenter, de présenter l‟exploitation. Il est important de noter qu‟au cours des entretiens, ces trois agriculteurs ont particulièrement insisté sur l‟importance qu‟a eue pour eux la communication avec l‟extérieur et en particulier avec les habitants du territoire. Si certains sont attachés à l‟accueil par la nature de leur activité, comme les manadiers par exemple, dont les revenus viennent principalement de l‟accueil des week-ends de groupes, organisation de fêtes privées, etc., d‟autres ont plutôt étendu leur activité de base à l‟accueil et la communication par plaisir. Par exemple, l‟héliciculteur à Lunel-Viel a étendu son accueil à des classes hors de l‟opération « de ferme en ferme ». Leur motivation à participer est identique à celle de pratiquement tous les participants, à savoir « se faire connaître » ; seul l‟héliciculteur à Lunel-Viel diverge du groupe, présentant sa participation à l‟opération motivée par le « plaisir » intrinsèque d‟accueillir les visiteurs. Deux des trois agriculteurs ont mentionné avoir effectué des aménagements importants pour le week-end : outils visuels, réorganisation de l‟exploitation, préparation de repas, etc.

Un autre agriculteur a été satisfait du week-end, mais constitue un groupe distinct pour son expérience singulière de l‟organisation. Un maraîcher à Valergues a participé à l‟édition 2012 de l‟opération. Or, c‟est cette année-là que Valergues a quitté la CCPL pour rejoindre la Communauté de Communes du Pays de l‟Or. Ainsi, le maraîcher à Valergues était participant d‟un projet du territoire de la CCPL alors qu‟il n‟était plus officiellement inclus comme appartenant au territoire. Cela s‟est traduit par une absence ressentie de sa part de soutien, en termes de moyens par exemple, n‟ayant pas reçu les pancartes ou autres outils visuels promis pour le week-end. En conséquence, même si le maraîcher à Valergues a apprécié la fréquentation des visiteurs sur le week-end, malgré la pluie importante, et les effets du week- end (gain de nouveaux clients, élargissement du réseau d‟agriculteurs sur la CCPL), c‟est sa mauvaise appréciation de l‟organisation qui l‟a découragé de renouveler l‟expérience.

Enfin, quatre participants ont été déçus de l‟expérience, ce qui s‟est traduit également par peu de renouvellement des participations. Les raisons de la déception varient en fonction des agriculteurs. Certains sont déçus de la fréquentation, d‟autres du comportement des visiteurs pendant le week-end. D‟après le maraîcher à Valergues, l‟apicultrice de Lunel par exemple était déçue du peu d‟intérêt que ses visiteurs avaient porté à son exploitation, et du fait qu‟ils étaient venus seulement acheter sa production.

TABLEAU 4-2AVIS DES PARTICIPANTS SUR L’OPÉRATION DE FERME EN FERME

Participant production Type de participations Nombre de Appréciation sur la fréquentation Appréciation sur l’expérience Motivation à la participation pour le week-Organisation

end ? Retombées ?

Effets sur le réseau

Héliciculteur à

Lunel-Viel Élevage d‟ escargots 2 Bonne Très bonne : a « boosté » sa pratique Se faire plaisir (communiquer) Aménagements importants n/a

Très bon ; gain de

reconnaissance

Manadier à St

Christol Élevage de taureaux 4 Très bonne

Très bonne ; a apprécié l‟outil « stage » de préparation

Se faire connaître Outils visuels, activités, repas Nouveaux clients n/a

pépiniériste à

Lunel Pépinière 4 Bonne à très bonne Bonne Se faire connaître n/a n/a n/a

Viticulteur à St

Christol Vin et fruits 2 n/a Mauvaise (image des autres participants) n/a n/a n/a n/a

Maraîchère de

Lunel Maraîchage 1

Nulle (seuls ses « habitués » sont venus)

Mauvaise (dû à la fréquentation) ; jour

de marché n/a n/a n/a n/a

Apicultrice de

Lunel Miel 2

Déçu par les visites (visiteurs intéressés seulement par l‟achat) Mauvaise (comportement des clients) Faire connaître

son métier n/a n/a n/a

Viticulteur à

Vérargues Vin 1

Moyenne (dû au « produit » : les enfants n‟étaient pas intéressés) Bonne ; a apprécié l‟outil « stage » (modification de ses pratiques quotidiennes)

Se faire connaître Personnel supplémentaire n/a n/a

Maraîcher à

Valergues Maraîchage 1 Bonne

Mauvaise (problème avec la mairie, organisation générale) Date pas adaptée

Se faire connaître Léger aménagement, mais « pas beaucoup de travail » Nouveaux clients Bon (entraide avec le pépiniériste et l‟héliciculteur)

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Le viticulteur à Vérargues avait un avis plutôt mitigé sur le succès du week-end, estimant que son produit, le vin, n‟était pas susceptible d‟intéresser le public constitué principalement de familles, plutôt attirées vers des exploitations avec des animaux. Ainsi malgré une expérience de l‟organisation plutôt bonne, notamment des stages de formation, le viticulteur à Vérargues se demandait déjà lors de mon entretien s‟il allait poursuivre en 2013 en raison de sa difficulté à pouvoir « occuper » les enfants pendant le week-end. Le viticulteur à St Christol et la maraîchère de Lunel, quant à eux, ont un mauvais souvenir de leur expérience, principalement parce qu‟ils ne se « reconnaissent » pas dans les formes d‟agricultures représentées par le collectif.

4.2.4.2. Apprentissages dans la situation de gestion

L‟opération de ferme en ferme a produit des apprentissages techniques au niveau individuel. Le maraîcher à Valergues par exemple a modifié ses dates de plantation, les échelonnant pour pouvoir rendre les visites plus « concrètes ». En termes d‟apprentissages de gouvernance, par opposition aux apprentissages techniques, le principal produit de l‟opération est l‟élargissement du réseau. Plusieurs agriculteurs, l‟héliciculteur à Lunel-Viel, le manadier à St Christol, le pépiniériste à Lunel et le maraîcher à Valergues, ont déclaré avoir développé des rapports avec d‟autres participants de l‟opération s‟étendant au-delà de la situation de gestion :

« Mais je sais que [pépiniériste à Lunel] maintenant je peux l’appeler si j’ai besoin d’un conseil. Je peux compter sur *l’héliciculteur de Lunel-Viel] si j’ai besoin d’aide » (Le maraîcher à Valergues, entretien du 25 septembre 2012).

L‟opération de ferme en ferme est donc un instrument qui consolide l‟action collective, à la fois en consolidant les rapports des agriculteurs entre eux, mais également en créant une proximité avec la communauté de communes. La participation dans un projet permet aux agriculteurs d‟avoir accès à d‟autres formes d‟action collective. Par exemple, les agriculteurs ayant participé à l‟association « Paysans du Vidourle » ou à l‟opération de ferme en ferme ont été réinvités par la CCPL à participer à d‟autres évènements comme « un piano sous les arbres » ou « perles du terroir ».

Enfin, certains agriculteurs reconnaissent un apprentissage de troisième boucle dans la manière dont l‟opération leur a donné « goût » à l‟action collective :

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« En plus de ça, ils comprennent qu’on est plus fort à plusieurs. Il y a un vrai changement de comportement. Avant les agriculteurs ne me faisaient pas signe, [maintenant] je gagne une certaine reconnaissance » (héliciculteur à Lunel-Viel, entretien du 6 août 2012).

Comme avec l‟expérience du comité de pilotage « agriculture et alimentation locale » et son projet de marché paysan, l‟opération « de ferme en ferme » permet donc de « déplacer » la logique des acteurs du territoire de leur exploitation ou commune vers une logique d‟action collective. Cependant, cet apprentissage n‟est pas passif, et c‟est en prenant en compte, encore une fois, l‟absence des apprentissages que l‟on peut comprendre la nécessité d‟une démarche « active » dans ce déplacement de logique. Ainsi, certains participants à l‟opération « de ferme en ferme » se sont retirés de l‟opération justement parce qu‟ils ne se sont pas reconnus dans l‟action collective, ou ont rejeté l‟idée de construire des échanges avec les agriculteurs du territoire. Le viticulteur à St Christol et la maraîchère de Lunel ont préféré consolider un réseau extérieur à la CCPL, estimant leurs pratiques trop éloignées des autres agriculteurs du réseau :

« On a participé à ferme en ferme. On n’y participe plus parce que je considère que ce n’est plus une représentation de l’agriculture » (viticulteur à St Christol, entretien du 14 juin 2012).

« Je ne vois pas comment travailler avec les autres alors qu’on n’a pas du tout la même manière d’aborder l’agriculture. Pour moi, [le pépiniériste à Lunel] par exemple ce n’est pas un agriculteur, c’est un paysagiste. On avait le gars qui fait les taureaux à St Christol, très sympa, mais on ne va pas échanger avec lui, il ne fait pas de maraîchage » (maraîchère de Lunel, entretien du 25 octobre 2012).

La question du modèle commun, ici par rapport à l‟agriculture, est alors posée. Il faut que les agriculteurs partagent un « mythe », une vision commune de l‟agriculture, ou encore un modèle mental, pour que les actions collectives deviennent possibles. Il s‟agit donc bien de mettre en place des dispositifs qui permettent aux agriculteurs de réaliser cet apprentissage de gouvernance pour que l‟action collective soit durable.

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CONCLUSION

La construction d‟une politique agricole et d‟actions collectives pour l‟agriculture à la CCPL est appuyée par le mythe « d‟espace de respiration », utilisé dans l‟argumentaire des élus entre eux ou dans les articles de presse. Si ce mythe permet de justifier les dépenses en faveur de la politique, l‟agriculture n‟est pas une question centrale à la CCPL. Malgré une première phase de tentatives qui pressentaient l‟établissement d‟une politique agricole orientée vers le développement des circuits courts, les échecs relatifs de l‟action collective et les réorganisations en commissions puis pôles au sein de la CCPL ont relayé l‟agriculture à l‟arrière-plan, en témoigne le peu de fréquentation de la commission « cadre et qualité de vie » par les élus.

Pourtant ces tentatives d‟action collective ont produit des apprentissages de gouvernance à la CCPL. Ces derniers sont de deux types : apprendre par l‟action collective, et apprendre pour l‟action collective. Dans le premier cas, j‟ai identifié des situations d‟action collective qui permettent, parce que les acteurs entrent en interaction, notamment de diffuser la connaissance. Dans le second cas, l‟apprentissage pour l‟action collective est assimilable à un apprentissage de troisième boucle, souvent produit par les moteurs de cette action collective. Cela peut aller de l‟intéressement pour l‟action collective, au développement de l‟interconnaissance des membres de l‟action collective (partage des modèles mentaux, du langage commun, etc.), mais également apprendre à travailler ensemble.

Ces apprentissages se repèrent dans les situations de gestion, en fonction des décisions prises mentionnées par les acteurs lors des entretiens. Elles se repèrent également par les problèmes créés lorsqu‟elles sont absentes de la situation de gestion. Les différents outils et instruments de la politique agricole de la CCPL produisent surtout des apprentissages chez les responsables de ces outils, les individus chargés de les mettre en place, plutôt que chez les

cibles (consommateurs, agriculteurs). Les apprentissages semblent aussi être un processus qui

s‟autoalimente : les acteurs qui montrent la plus grande capacité à produire des apprentissages de gouvernance, et donc qui possèderait le « deutéro-apprentissage », sont ceux qui possèdent déjà des apprentissages de gouvernance comme l‟intéressement à l‟action collective, la capacité à travailler ensemble, etc.

S‟il est certain qu‟une moindre « résistance » à l‟action collective permet de favoriser les apprentissages de gouvernance, les chapitres suivants illustrent une situation dans laquelle la

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controverse produit justement des apprentissages : c‟est le sous-cas de la création du SCOT de la CCPL, à l‟origine du mythe de « l‟espace de respiration ».

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