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Enjeux scientifiques de l’étude de la gouvernance territoriale

QUELS ENJEUX ?

1.2.1. Enjeux scientifiques de l’étude de la gouvernance territoriale

Au-delà des questionnements scientifiques sur son origine et ses définitions, la gouvernance semble être un paradigme adopté à toutes les échelles. Les « normes » de cette gouvernance sont véhiculées dans les instruments d‟action publique déployés jusqu‟au niveau territorial. Une question pour la recherche est alors de comprendre d‟une part ce que produisent ces normes et d‟autre part les conséquences des modifications engendrées par ces nouveaux « principes ». Un thème majeur de la recherche est celui du lien entre gouvernance territoriale et développement durable, la gouvernance ayant été définie comme « quatrième pilier du développement durable ».

Lamara (2009) distingue par exemple deux composantes indispensables à la construction territoriale : les ressources territoriales d‟une part (la « richesse » du territoire), et la coordination entre acteurs d‟autre part. Il apparaît évident que le développement territorial durable ne peut se faire sans coordination, concertation, et donc sans gouvernance territoriale. Si cette coordination est indispensable pour la durabilité des territoires, il est alors important de comprendre les conditions de sa mise en place : comment les acteurs du territoire peuvent-ils se coordonner autour de ces ressources ? De nombreux auteurs étudient cette question de la coordination et de la coopération autour des ressources. Certains d‟entre eux abordent en particulier la nécessité de produire des apprentissages pour faciliter cette coordination et renforcer la coopération (Dieleman, 2013 ; Rist et al., 2007).

Aggeri et al. (2005) ont par ailleurs montré que cette gouvernance est bel et bien un outil qui permet d‟atteindre la durabilité, et donc bien un « pilier » du développement durable tel qu‟on l‟entend depuis quelques années. Ainsi, d‟après eux, le développement durable est un domaine privilégié pour l‟action collective : la gouvernance des organisations12 est à la fois un

outil du changement de paradigme (comment passer d‟un système non durable à un système

12 qu‟elles soient entreprises, chez Aggeri et al., ou territoires, chez Carbonnel et Philippe-Dussine (2013) et

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durable ?), mais est également possible parce que le besoin de changement crée une opportunité d‟innovation.

Pour comprendre ces enjeux de la gouvernance territoriale, rattachée à la problématique plus large du développement durable des territoires, mobiliser les notions de « changement » et d‟innovation permet d‟ouvrir la problématique aux sciences de gestion, et notamment à la manière dont les organisations produisent des innovations et survivent aux changements. La gouvernance territoriale comme nouveau mode de gestion des territoires est en fait à la fois un outil du changement, proposant d‟apporter de nouveaux outils aux acteurs pour faire face à la gestion des ressources par exemple, mais la standardisation de ce mode de gestion dans le secteur public provoque également un changement.

FIGURE 1-3GOUVERNANCE, DÉVELOPPEMENT DURABLE ET CHANGEMENT

Plusieurs domaines liés se développent autour de cette idée de « gouvernance, outil de l‟innovation et du changement », dont deux me paraissent particulièrement intéressants : l‟analyse des outils et dispositifs qui permettent d‟établir cette gouvernance, d‟une part, et les limites de la gouvernance comme « réponse au changement » d‟autre part. Dans le premier domaine, on retrouve par exemple les travaux de Chia et Napoleone (2008) ou ceux de Lardon et al. (2008) sur la question des dispositifs et outils de gouvernance, qui posent la question des outils de coordination des acteurs du territoire autour de l‟agriculture (comment mettre en place une pratique de coordination ?).

Dans le second domaine, il est question des limites, des freins à l‟adoption de cette gouvernance comme nouveau mode de gestion de l‟organisation. Bruges et Smith (2007) présentent des cas d‟études dans lesquels des tentatives de concertation, de gouvernance, ont été mises en place pour transformer la durabilité de l‟agriculture dans la pratique ; transmettre, en quelque sorte, le savoir à la pratique, faire adopter les propositions par les agriculteurs, etc.. Ils notent l‟absence de reproduction de ces pratiques de gouvernance, c‟est- à-dire l‟absence d‟institutionnalisation de la gouvernance. Ces auteurs mettent alors en

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évidence le besoin d’apprentissages de gouvernance (concertation, coordination, etc.) des acteurs du territoire pour institutionnaliser la gouvernance et la transformer en pratique ancrée dans le territoire, sans quoi le changement de pratiques non durables à des pratiques durables paraît difficile et limité.

La question des apprentissages semble donc être centrale dans la compréhension des mécanismes territoriaux liés à ce nouveau paradigme. Il s‟agit à la fois d‟apprentissage des nouvelles normes, de nouveaux outils et dispositifs, mais également d‟apprentissage de la coopération des acteurs. Deux disciplines en particulier permettent d‟apporter des réponses à ces questions : l‟économie de la connaissance, et les sciences de gestion.

Coudel (2009) utilise ces deux disciplines pour comprendre comment les apprentissages des individus modifient leurs pratiques et leur permettent d‟adopter les notions de durabilité, et comment les acteurs du territoire sont alors capables d‟organiser à leur tour des pratiques et de créer des dispositifs de gouvernance. Cette recherche valide bien l‟hypothèse émise plus haut de la nécessité des apprentissages pour l‟institutionnalisation de la gouvernance.

Les sciences de gestion sont également la discipline utilisée notamment par Chia et al. (2008). Le focus n‟est alors plus sur l‟acteur, mais sur le territoire en tant qu‟organisation. Cet article met en évidence l‟utilité des apprentissages organisationnels pour l‟agriculture durable, en particulier la manière dont ces apprentissages modifient les pratiques, ainsi que les besoins des acteurs du territoire en termes d‟apprentissages.

Ces auteurs mobilisent les théories de l‟apprentissage organisationnel pour répondre à ces questions. L‟objectif d‟étudier en profondeur les apprentissages organisationnels dans le cadre de la gouvernance territoriale est bien de pouvoir créer une grille d‟analyse, de l‟appliquer sur des études de cas, et de la rendre réutilisable, pour pouvoir d‟une part diagnostiquer et analyser les apprentissages en place sur le territoire, et d‟autre part identifier les besoins, mais également les routines défensives, qui limitent ces apprentissages. Il sera alors possible de comprendre dans quelle mesure la gouvernance peut ou non s‟instaurer comme pratique de gestion à part entière sur un territoire, par exemple par le biais de pratiques de concertation.

La littérature sur les apprentissages organisationnels s‟est penchée en profondeur sur la question des apprentissages dans les organisations privées (entreprises), et de manière moins approfondie sur les apprentissages dans les organisations publiques (locales au Royaume-Uni, globale aux États-Unis).

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Cependant, l‟intérêt pour les sciences de gestion d‟étudier les apprentissages de gouvernance territoriale est la situation unique qu‟offre un tel mode de gestion : celui d‟une rencontre entre sphère publique et sphère privée. En effet, la notion de « territorialité » modifie le sens que l‟on donne à la gouvernance : il ne s‟agit plus d‟expliquer la gouvernance comme l‟établissement des politiques publiques, mais comme l‟action commune des acteurs publics et privés du territoire (Leloup et al, op. cit.). Je reviendrai sur cette notion d‟apprentissage dans le chapitre deux.

1.2.2.Enjeux pour l’agriculture durable en territoire

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