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LUNELLOIS : ACTION COLLECTIVE ET AGRICULTURE

4.2.2. Apprentissages et action collective

J‟ai précédemment présenté les effets de l‟action collective. J‟ai souligné que l‟action collective produit des apprentissages, soit de gouvernance, soit techniques. J‟ai également indiqué les difficultés relationnelles entre agriculteurs et élus municipaux. Les apprentissages de gouvernance relatifs à l‟action collective s‟illustrent ainsi de deux façons. D‟une part, la nécessité d‟apprendre pour l‟action collective, et d‟autre part la possibilité d‟apprendre par l‟action collective. Ces deux types d‟apprentissages peuvent faire partie d‟un même processus, comme c‟est le cas dans les exemples présentés ci-après, mais les types de connaissance produits vont pouvoir être différents.

Le premier type d‟apprentissages de gouvernance, qui correspond à un apprentissage de troisième boucle, est d‟abord produit par les moteurs de l‟action collective. Ce sont ceux qui ont déjà effectué cet apprentissage, qui ont été convaincus du bien fondé et intrinsèque de l‟action collective, qui vont promouvoir celle-ci et inciter d‟autres acteurs à y participer. Les formes d‟action collectives produites sont alors des arènes qui permettent la diffusion de cette connaissance par socialisation des « moteurs » vers les autres. Il s‟agit donc bien de produire un intéressement.

Dans les entretiens, ces acteurs identifient plusieurs conditions à la réalisation et au maintien de l‟action collective. Plusieurs acteurs identifient le rôle et la place d‟un leader dans l‟action collective. Ce leader doit être un individu qui « a le temps » de s‟occuper de l‟organisation de l‟action collective, par exemple dans l‟organisation de l‟opération de ferme en ferme, ou dans l‟animation de l‟association « Paysans du Vidourle ». Cependant, certaines personnes enquêtées reconnaissent le caractère fragile d‟une action collective qui reposerait intégralement sur ce leader. Lorsque la leader présidente de l‟association « Paysans du Vidourle » s‟est retirée de l‟association, celle-ci s‟est vite essoufflée.

Pour le maintien de cette action collective, plusieurs acteurs ont identifié l’interconnaissance des membres de l‟action collective comme premier apprentissage collectif. Cet apprentissage de gouvernance fait référence aux besoins de « produire un langage commun », et un « modèle mental partagé » tels que je les ai définis dans le cadre

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théorique (voir chapitre deux). Cet apprentissage est toujours identifié par les acteurs comme nécessaire avant toute forme d‟action collective complexe. Il s‟illustre à la CCPL par les premiers outils mobilisés par l‟animatrice SCOT au début de la situation de gestion créée par le SCOT, dont l‟objectif était notamment de faire discuter les élus entre eux sur l‟identité de leur territoire (voir chapitre cinq). Il s‟illustre également par l‟idée, dans le comité de pilotage « agriculture et alimentation locale », de co-construire d‟abord un marché paysan avant de tenter de créer des actions collectives plus complexes comme la boutique paysanne :

« Il émergeait aussi l’idée de la boutique paysanne, mais ils avaient une mauvaise connaissance de soi et ça paraissait en terme de coopération trop compliqué. Donc le marché était une première étape pour leur apprendre à coopérer » (responsable CQV, entretien du 2 avril 2013).

Une autre condition au maintien de l‟action collective repérée dans plusieurs situations d‟action collective à la CCPL est la capacité des acteurs à « travailler ensemble ». Cela est lié à la notion d‟interconnaissance, mais va au-delà : travailler ensemble signifie prendre des décisions collectives, s‟écouter, distribuer des rôles, etc. Cet apprentissage passe d‟une part par la répétition des réunions, mais également par la pratique. Ainsi, dans le cas du comité de pilotage « agriculture et alimentation locale », le responsable CQV et l‟employé CIVAM ont encouragé les agriculteurs et les consommateurs à se constituer en association pour aller « vers plus d‟autonomie ».

L’idée d’apprentissages de troisième boucle pour l’action collective regroupe tous ces apprentissages :

- Produire et transmettre l’intéressement des acteurs à l’action collective

- développer l’interconnaissance : modèle mental partagé, production de langage commun

- savoir travailler ensemble : prendre des décisions collectives, gagner en autonomie,

- mais également savoir donner la bonne place aux leaders ou moteurs de l’action collective, qui sont nécessaires mais dont une trop grosse importance rend l’action dépendante de leur présence.

Si certaines actions ont permis de détecter et identifier ces apprentissages sur le territoire, c‟est également leur absence qui est remarquable dans d‟autres formes d‟action. L‟absence de cet apprentissage de troisième boucle à la fois chez les agriculteurs et les élus se traduit

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notamment par une absence de l‟intéressement pour l‟action collective. Élus et agriculteurs décrivent par exemple l‟agriculteur comme « individualiste » et centré sur son exploitation (maire de Boisseron), « difficile à rassembler » (pépiniériste à Lunel), et se désengageant facilement de l‟action collective en temps de crise (viticulteur à St Christol). En fait, les agriculteurs sont décrits par les personnes enquêtées comme raisonnant d‟abord par rapport à leur exploitation, en termes de travail, de chiffre d‟affaires ou de modes d‟action par exemple. L‟action collective devient un « plus » pour permettre d‟améliorer la vente des produits de l‟agriculture. Les marchés municipaux ou les marchés paysans par exemple sont tout d‟abord des moyens pour vendre les produits. L‟aspect « social » et collectif est apprécié, mais relayé au second plan. Si les résultats économiques ne sont pas au rendez-vous, les agriculteurs n‟hésiteront pas à se désengager, car l‟action collective représentera alors beaucoup de travail pour « pas grand-chose » (pépiniériste à Lunel).

Les élus aussi sont décrits comme raisonnant peu de manière « collective ». Les résolutions de problèmes sont d‟abord gérées de manière individuelle sur les communes. L‟action collective entre élus menée à la CCPL est une action de droit, par les compétences que les communes ont déléguées à la CCPL. Tout autre problème qui nécessiterait une action collective, comme la lutte contre la cabanisation par exemple, est très peu discuté et encore moins géré de manière collective :

« Des communes comme Marsillargues aussi subissent [le problème de la cabanisation] ; Lunel Viel< Il y a disons la possibilité pour que nous nous regroupions, les communes, pour essayer de le gérer à un niveau plus élevé » (M maire de Boisseron, entretien décembre 2012).

De la même manière, comme expliqué précédemment, la collaboration entre la CCPL comme institution et les communes qui la composent ne va pas « de soi », les actions de la CCPL, notamment pour l‟agriculture, souffrant alors de ce manque de collaboration. Certains élus reconnaissent tout de même un besoin de voir plus de collaboration entre élus. Cependant, cette collaboration passe pour eux non pas par de nouvelles formes ou de nouveaux espaces, mais par la délégation de compétences supplémentaires à la CCPL, notamment par le passage de la forme « Communauté de Communes » à la forme « Communauté d‟Agglomération ».

Ainsi, il apparaît qu‟agriculteurs comme élus adoptent un raisonnement principalement centré sur leur échelle de travail (exploitation pour l‟agriculteur, commune pour l‟élu)

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lorsqu‟il s‟agit de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. Le passage à l‟action

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