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Les grands courants du champ de recherche 1 Approche classique, approche constructiviste

Entre théorie et pratique : apprentissages organisationnels et organisation apprenante.

2.1.2. Les grands courants du champ de recherche 1 Approche classique, approche constructiviste

L‟orientation qu‟ont prise les travaux depuis les premiers éléments de théorie se sépare en deux courants de pensée. Le numéro spécial d‟Organization Science de 1991 illustre les prémisses de cette séparation (Easterby-Smith et Lyles, 2011, chap. 1). Des auteurs comme March, Huber ou Simon se posent des questions sur la maximisation de l‟efficacité de l‟utilisation de la connaissance en entreprise, dans la lignée d‟Argyris et Schön (op. cit.). Brown

18 Tosey et al. (2012) donnent l‟exemple du film « Truman Show », dans lequel le héro éponyme voit son cadre

de référence brutalement changer lorsqu‟il réalise que sa vie entière n‟est en fait qu‟une émission de télé-réalité. Il doit alors réinterpréter toutes ses expériences passées à l‟aune de ce nouveau cadre.

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et Duguid (op.cit.) ainsi que Lave et Wenger (op. cit.) de leur côté marquent la naissance d‟un courant d‟une autre nature : l‟approche constructiviste, qui se focalise sur les processus sociaux à l‟origine des apprentissages. Cette approche a par la suite été développée notamment par les travaux de Cook et Yanow (1993) et Gherardi et al. (1998), respectivement sur les thèmes de la culture organisationnelle et de l‟apprentissage situé.

Cette séparation entre approche « classique » et approche constructiviste est vue par certains comme deux branches évoluant chacune de leur côté. Pour d‟autres, l‟approche classique forme « l‟ancien » apprentissage organisationnel et l‟approche constructiviste le « nouveau » (Örtenblad, 2001). S‟il est sûr que les enjeux de la recherche aujourd‟hui se situent principalement dans la tradition constructiviste (communautés de pratiques, réseaux sociaux, construits sociaux influençant l‟utilisation de la connaissance), « l‟ancienne méthode » n‟a pas pour autant été abandonnée, notamment concernant les recherches sur les avantages compétitifs et les capacités dynamiques.

Si les travaux d’Argyris et Schön sont fondamentaux et ont toute leur place dans la construction d’un cadre théorique, c’est à l’approche constructiviste que je m’intéresse principalement, et vers laquelle je me tourne à la recherche d’éléments d’analyse.

Les deux principales théories découlant des travaux de 1991 dans la tradition constructiviste sont donc d‟une part l‟apprentissage situé (Lave et Wenger, 1991) et les communautés de pratique (Brown et Duguid, 1991). Concernant les communautés de pratique, si je ne mobilise pas ce concept dans mon cadre de référence, je reconnais tout de même son intérêt, et pourrai le mentionner sans en modifier l‟idée ni apporter d‟éléments nouveaux. J‟utiliserai la définition originelle, la communauté de pratique faisant référence à un groupe de praticiens partageant leurs expériences pour stimuler la recherche de solutions et l‟apprentissage.

Concernant l‟apprentissage situé, il est important de s‟y arrêter plus longtemps, principalement pour ses implications par rapport à mon objet de recherche, la gouvernance territoriale. Lave et Wenger le définissent comme un apprentissage qui est définit par son contexte, c'est-à-dire que le savoir créé n‟a de sens que dans la situation dans laquelle il a été créé. Cette notion que les anglophones nomment embedded knowledge (savoir ancré) se situe ontologiquement au niveau du collectif, embodied knowledge (savoir incarné) se situant au niveau de l‟individu (Avenier et Schmitt, 2007). L‟intérêt que je porte à cette théorie vient du fait qu‟il s‟agit d‟observer les apprentissages produits par la situation, et donc pour le

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chercheur de partir de ce que font les gens pour analyser leurs pratiques (Collard et Raulet- Croset, 2006).

Cette approche-ci me paraît tout à fait pertinente pour mon sujet de recherche. En effet, d‟après Rashman et al. (2009), l‟approche sociale des apprentissages, qui se centre sur le produit des interactions sociales, prend tout son sens dans le contexte des organisations publiques. Cela semble d‟autant plus juste dans le contexte de gouvernance, où, d‟un point de vue pratique, les interactions entre acteurs publics et privés sont justement un but recherché. Du point de vue scientifique, c‟est justement pour ses interactions sociales qu‟il devient intéressant d‟analyser les phénomènes de gouvernance. Le point de vue constructiviste est alors plus à même d‟éclairer ces questions, et l‟apprentissage situé permet justement d‟étudier les apprentissages produits par ces interactions et ces situations de gouvernance.

2.1.2.2. De l’individu { l’organisation, les sujets de l’apprentissage Lähteenmäki et al. (2001) proposent une synthèse des divergences dans le sujet de l‟apprentissage, montrant deux principales positions : l‟apprentissage effectué par les individus ou l‟apprentissage effectué par l‟organisation.

Pour Argyris et Schön, l‟apprentissage organisationnel est un apprentissage effectué par l‟individu au nom de l‟entreprise, c‟est-à-dire pour son compte et en son sein. Traditionnellement, l‟apprentissage organisationnel est vu comme individuel dans les premiers travaux (Kolb, 1984 ; Senge, 2006).

D‟autres ont une approche plus sociologique de la question, et affirment que l‟organisation peut apprendre à un niveau systémique. L‟organisation est alors vue comme une entité qui peut apprendre en tant qu‟individu propre. Ainsi, Hedberg (1981) affirme que si l‟apprentissage s‟effectue bien au niveau de l‟individu, l‟organisation n‟en est pas moins capable d‟apprendre, puisque lorsque les individus s‟en vont et sont remplacés, l‟organisation conserve certains comportements, modèles mentaux et valeurs.

Dans la lignée de cette idée « d‟organisation » comme individu capable d‟apprendre, d‟autres auteurs affirment que l‟individu et l‟organisation sont deux entités distinctes, et que chacune est capable d‟apprendre sans que l‟autre reproduise le comportement (Cummings et Worley, 2014).

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Les deux notions (apprentissage individuel vs apprentissage organisationnel) ne sont pas antinomiques, mais peuvent faire référence à des formes différentes d‟apprentissage. Le modèle de circulation de la connaissance de Nonaka et Takeuchi (op. cit.) est une manière de réconcilier les deux approches, proposant une diffusion de la connaissance de l‟individu qui l‟a créé au groupe, puis à l‟organisation où elle devient alors savoir organisationnel (voir partie ci-après).

Örtenbald (2001) souligne une troisième catégorie de sujet apprenant, dans la lignée constructiviste : celle du collectif, c‟est-à-dire de la somme des individus qui apprennent en interagissant les uns avec les autres, et qui n‟est pas égale, mais supérieure à la somme des apprentissages effectués par chacun de ces individus. On se sépare alors de l‟approche cognitive pour s‟ancrer dans la théorie sociale de l‟apprentissage, ou social learning. L‟apprentissage organisationnel est alors culturel et spécifique à l‟organisation (Cook et Yanow, 1993). Cette vision du collectif comme sujet de l‟apprentissage reflète l‟approche des apprentissages situés de Lave et Wenger et en est indissociable. C’est donc dans cette lignée que je m’inscris, même si je reste convaincue que des apprentissages individuels peuvent être formulés lors de ces interactions. La seule différence est qu‟alors, ces apprentissages ne peuvent pas être qualifiés d‟apprentissages organisationnels, même s‟ils peuvent avoir une implication sur le groupe, notamment lors de la création de routines défensives. Les apprentissages organisationnels sont des connaissances, des savoirs, etc. qui permettent de résoudre, collectivement, des problèmes ou situations nouvelles au sein des organisations en vue d‟améliorer son fonctionnement, garantir sa pérennité et sa viabilité. Par conséquent, les apprentissages de gouvernance ont bien vocation à être de nature organisationnelle.

2.1.2.3. La connaissance organisationnelle

Bien que je me focalise sur le processus d’apprentissage plutôt que sur les connaissances créées, la théorie de la création de connaissances organisationnelles de Nonaka et Takeuchi a la valeur de fournir un cadre d‟analyse complet du processus de transmission des connaissances au sein d‟une organisation.

Les auteurs proposent, dans la lignée de Polanyi, une séparation entre connaissance tacite et connaissance explicite. La connaissance tacite se définit comme les savoirs subjectifs acquis par la pratique et l‟expérience. Elle est inscrite dans son contexte (embedded) et située. La

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connaissance explicite se réfère aux savoirs objectifs et rationnels, acquis par la formation (théorie). Elle est libre de contexte et transposable d‟une situation à une autre.

Outre cette dimension épistémologique de la connaissance, ils proposent également une dimension ontologique : le sujet de la connaissance. Ainsi, selon eux, l‟individu tout comme l‟organisation peuvent être détenteurs de savoirs tacites et explicites. Il ne s‟agit pas d‟une dualité, mais d‟un gradient allant de l‟individu à l‟interorganisation (transfert de connaissance d‟une organisation à l‟autre).

L‟intérêt de coïncider ces deux dimensions est alors de pouvoir illustrer la circulation de la connaissance, son passage d‟une forme ontologique ou épistémologique à une autre.

Ce passage, appelé « conversion », est présenté sous quatre formes (voir figure 2-3 ci-dessus). La transmission d‟une personne à l‟autre de connaissance tacite se fait par « socialisation ». La transformation de la connaissance tacite en connaissance explicite s‟appelle « externalisation ». Le passage de connaissance explicite en connaissance tacite s‟appelle « internalisation », et le passage de connaissance explicite en connaissance explicite se nomme « combinaison ». La connaissance se propage alors par cycle ou « spirale » qui intègre les quatre processus de conversion lors de sa diffusion dans l‟organisation.

Ce cadre d‟analyse pourra me permettre d‟analyser les types de connaissance produits sur le territoire, et surtout de comprendre leurs formes de transmissions entre individus au-delà des situations de gestion, voire entre territoires.

C

OMBINAISON

S

OCIALISATION

I

N T E R N A L ISA T ION

E

XT E R N A L ISA T ION explicite tacite

individuel groupe organisation inter-organisation FIGURE 2-3CIRCULATION DE LA CONNAISSANCE. D’APRÈS NONAKA ET TAKEUCHI (1997)

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2.1.2.4. Quelle valeur donner { l’apprentissage ?

De nombreux auteurs partent du principe que l‟apprentissage a une connotation positive pour l‟organisation, que tout apprentissage est « positif ». Pourtant, Argyris et Schön soulignent l‟importance de comprendre les mécanismes tels que les routines défensives et les mauvaises habitudes organisationnelles. Ce questionnement de la valeur de l‟apprentissage est crucial (Lähteenmäki, Toivonen et Mattila, 2001) et il est important que je détermine ce que je considérerai comme apprentissage dans mes études de cas.

S‟il est difficile de pouvoir donner une dimension normative à la connaissance (que pourrait constituer une « mauvaise » connaissance pour l‟entreprise ?), je considérerai, dans la lignée des travaux d‟Argyris et Schön, que tout changement de comportement constitue un apprentissage, qui peut être positif ou négatif pour l‟organisation. Il me paraît important de prendre en compte ces changements négatifs pour comprendre leur origine, leurs mécanismes, mais également étudier quels changements organisationnels ils produisent eux- mêmes.

2.1.3.Les dimensions de l’apprentissage : éléments

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