• Aucun résultat trouvé

DÉFINITION DU CONCEPT

1.1.2. La gouvernance en France

Le concept de gouvernance est porté à la fois par les grandes institutions internationales (FMI, Banque Mondiale), par l‟Union européenne (production d‟un « livre blanc de la gouvernance européenne »), ainsi que par les pays de manière individuelle. S‟il existe de nombreuses définitions de la gouvernance, en fonction notamment de la discipline à laquelle les chercheurs appartiennent, il existe autant de « gouvernances » que de pays. Chaque pays décline, traduit, met en place sa propre version de la gouvernance, de l‟échelle nationale à l‟échelle locale. La France ne fait pas exception, et sa spécificité tient notamment à la complexité du « mille-feuille » territorial.

1.1.2.1. La fabrique du « mille-feuille » français

En Europe, le retrait de l‟État dans la gestion publique en faveur aux agences locales se traduit par une politique de décentralisation (Loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions). Cette loi met fin à la tutelle des préfectures sur les régions, qui possèdent dès lors un conseil régional, dont les membres seront élus au suffrage universel direct à partir de 1986. Une succession de lois suivantes transfèreront et

GOUVERNANCE ET TERRITOIRES

21

distribueront les compétences et prérogatives entre communes, départements et régions. Depuis, le « mille-feuille » territorial s‟organise. En France, les contrats de pays (1975), les chartes intercommunales (1982), les contrats de plan État/Régions (1984)… furent autant d‟instruments et dispositifs d‟aménagement du territoire à des échelles de plus en plus nombreuses et croisées. À partir de la création des régions (1972), les échelons se densifient avec la création des chartes intercommunales en 1982 qui permettent à des communes de se regrouper. Les formes de coopération intercommunale se multiplient (syndicats de communes, SIVOM, districts urbains, communautés urbaines, communautés de villes, communautés de communes...). Certaines d‟entre elles seront simplifiées et rassemblées sous le terme d‟EPCI (établissement public de coopération intercommunale) par la loi du 12 juillet 1999. Aujourd‟hui, ces EPCI sont soit à fiscalité propre, comme les communautés de commune, les communautés d‟agglomération (au moins 50 000 habitants, avec une commune de plus de 15 000 habitants), les communautés urbaines (au moins 450 000 habitants) et les métropoles (plus de 500 000 habitants) ; soit sans fiscalité propre, comme les syndicats intercommunaux (SIVU ou syndicats intercommunaux à vocation unique, et SIVOM ou syndicats intercommunaux à vocation multiple), les syndicats mixtes et les pôles métropolitains.

La Loi d‟Orientation du 6 février 1992 relative à l‟administration territoriale de la République organise quant à elle la déconcentration de l‟administration publique à l‟échelon local, principalement sous l‟autorité des préfets.

Mais parallèlement, la montée en puissance de l‟Union européenne et son implication dans les niveaux inférieurs des États, comme la politique européenne de développement régional depuis 1972, ajoute des niveaux supranationaux à cette trame. Cette multiplication et cette complexification des échanges ont donné naissance à ce que l‟on nomme aujourd‟hui la

gouvernance multiniveaux. Celle-ci présente un axe horizontal, décrivant les relations entre

acteurs au niveau observé (acteur public, associations, entreprises, citoyens), et un axe vertical décrivant les relations entre différents échelons (Commune, Région, État, Union européenne) (voir figure 1-1 ci-après). Par le biais de dispositifs, des relations existent entre Région et Union européenne par exemple, ou entre associations et Union européenne. L‟Union européenne a en effet mis en place des instruments à la fois opérationnels et financiers, comme le FEDER (fonds européen de développement régional), la PAC (Politique agricole commune), ou les programmes LEADER (« liaison entre actions de développement de l‟économie rurale »).

CHAPITRE UN

22

Parmi tous ces niveaux de la gouvernance, c‟est au niveau le plus « bas », le niveau local, que je m‟intéresse. En effet, le local est observable, les échanges entre acteurs se cristallisent autour de problématiques spatiales, et les stakeholders (parties prenantes) de la gouvernance sont fréquemment présents sur le territoire. Dans le contexte de ma recherche, ce niveau de gouvernance paraît alors comme le plus adapté pour étudier les processus d‟apprentissages. J‟admets que ceux-ci sont probablement d‟ordre différent selon le niveau de gouvernance, puisque les besoins en termes de connaissances sont également différents selon qu‟il s‟agit de coopération entre acteurs du territoire (élus locaux, citoyens, agriculteurs) ou entre acteurs à l‟échelle de l‟Union européenne (États et ministères, commissions européennes, parlements). Ainsi, pour plus de clarté, je parlerai d‟apprentissages de gouvernance territoriale dans cette thèse.

1.1.2.2. Gouvernance { l’échelle locale

Suite à ce processus de décentralisation, l‟État donne aux collectivités locales compétences et moyens pour organiser l‟aménagement et le développement de leur propre territoire. Le local était auparavant administré par des services délégués de l‟État, qui étaient formés et spécialisés dans ces questions d‟aménagement et de développement, et qui surtout, de par l‟organisation hiérarchique, suivaient des décisions « d‟en haut ».

La décentralisation et les modes de gestion du NPM ont cependant provoqué une complexification de la prise de décision, avec un système d‟acteurs plus dense au niveau local. Une conséquence de cette densification est la difficulté d‟une prise de décision, qui de

FIGURE 1-1LA GOUVERNANCE MULTINIVEAUX Axe vertical

LOCAL NATIONAL EUROPÉEN

ACTEURS PUBLICS ASSOCIATIONS ENTREPRISES CITOYENS MUNICIPALITÉS ASSOCIATIONS LOCALES ENTREPRISES LOCALES HABITANTS

ÉTAT ASSOCIATIONS NATIONALES … … UNION EUROPÉENNE ONG RÉGIONS Axe transversal

GOUVERNANCE ET TERRITOIRES

23

surcroît puisse paraître légitime quand elle est contestée par une partie des acteurs du territoire, surtout au vu des « affaires » de la fin des années 80 telles que la vache folle et le sang contaminé (Froger, 2006).

Une autre conséquence est le manque de connaissances qu‟ont ces acteurs en terme d‟aménagement du territoire : cette politique étant effectuée auparavant par des services experts, voilà les représentants élus à l‟échelle locale qui doivent créer des politiques publiques d‟aménagement, prendre des décisions, etc. Bien sûr, les services extérieurs comme la DATAR (Délégation interministérielle à l‟aménagement du territoire et à l‟attractivité régionale, créée en 1963) sont un appui technique à ces collectivités, mais celui-ci apparaît dans le réseau d‟acteurs non plus comme « l‟État », mais comme faisant partie des experts (triptyque élu-expert-citoyen) qui vont venir appuyer les collectivités dans leur prise de décision. Le principe de séparation entre décideur et exécutant du NPM devient la séparation entre représentant élu (conseiller municipal, conseiller communal, conseiller régional) et « expert » employé (techniciens, agents de développement, service comptable, etc.).

Ainsi se tisse par nécessité un premier « pan » de la concertation, celui du lien entre l‟élu et l‟expert. Le citoyen, quant à lui, vient s‟immiscer dans ce « tissu » par revendication, celle d‟un droit à demander des comptes à ses élus, à être tenu informé, mais également à être consulté, voire à participer à la co-construction des politiques publiques. Cette revendication peut même aller, dans sa forme extrême, jusqu‟à la codécision quant aux orientations de cette politique, mais également par la constitution en associations. Le citoyen se transforme en « expert d‟usage » : un acteur qui, par son usage du territoire, en connaît les problématiques, mais est également au plus proche des innovations, et est donc potentiellement porteur de solutions (Callon, Lascoumes et Barthe, 2001). Ces prémisses de gouvernance, c‟est-à-dire la participation d‟une diversité et d‟un grand nombre d‟acteurs à l‟élaboration, puis à la mise en place et enfin à l‟évaluation des politiques publiques, apparues spontanément par nécessité et revendication, se sont renforcées par une prise de conscience de la part des États de la gouvernance comme mode de gestion efficace. La notion montante de développement durable notamment appuie l‟idée selon laquelle la gouvernance, puisqu‟elle inclut un nombre et une diversité d‟acteurs plus importants, est créatrice de politiques plus efficaces et plus durables, d‟une part puisque ce mode de gestion assure une information beaucoup plus complète (exemple des diagnostics territoriaux participatifs), et d‟autre part puisque la participation à l‟élaboration des politiques publiques est souvent garante d‟une compréhension et donc d‟une meilleure adhésion à ces politiques.

CHAPITRE UN

24

1.1.2.3. De la gouvernance locale à la gouvernance territoriale En France, la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 transforme le terme de collectivité

locale en collectivité territoriale. Les départements, régions, groupements de communes et autres

ne sont alors plus des échelons inférieurs de l‟État, ni des niveaux administratifs neutres. Au contraire, la notion de territorialité est vue comme un construit social complexe (Leloup et al., 2005). La gouvernance territoriale devient alors un mode de gestion qui permet d‟assurer la pérennité de cette organisation complexe. Il faut voir dans cette réforme une volonté de réduire le rôle de l‟État et la place de la déconcentration, mais surtout d‟accepter que la République soit composée d‟une diversité de territoires (Marcou, 2004).

En effet, l‟un des changements les plus importants liés à ce terme est la notion de spécificité de chaque territoire, lié à sa disposition géographique, ses ressources disponibles, mais aussi sa composition sociale. Le territoire étant un système cohérent et construit, investi par ceux qui l‟habitent et défini par leur projet collectif, leur coordination et leur coopération en situation d‟interdépendance y deviennent la norme.

Ce passage du local au territorial s‟explique également par la revendication de la société civile comme acteur de développement. Le territoire n‟appartient plus seulement à l‟État et ses acteurs politiques (territoire « donné »), mais à tous ceux qui l‟investissent (Koop, Landel et Pecqueur, 2010).

TABLEAU 1-2DIFFÉRENCES ENTRE DÉV ELOPPEMENT LOCAL ET DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL.KOOP, LANDEL ET PECQUEUR,2010.

Développement local Développement territorial

Renforcement de circuits locaux Identités et échanges mono scalaires

Intégration dans les marchés à diverses échelles

Identité et échanges multi scalaires Mobilisation de ressources locales en réponse

aux besoins locaux Compétitivité (locale, nationale, mondiale) par la génération de ressources spécifiques Rôle déterminant de l‟État dans le dispositif de

contractualisation Intégration de nouveaux acteurs dans la gouvernance

La gouvernance territoriale devient alors le processus par lequel les acteurs du territoire parviennent à définir et appliquer ensemble une stratégie pour le développement du territoire.

GOUVERNANCE ET TERRITOIRES

25

1.1.2.4. Gouvernance et participation citoyenne

La gouvernance territoriale est souvent présentée comme un processus participatif incluant les citoyens ou la société civile. La notion de « démocratie participative » est parfois employée pour illustrer cette inclusion des citoyens dans l‟action publique : leur rôle ne se limite pas seulement à l‟élection d‟instances représentatives ni à une voix de contestation lorsqu‟ils ne se reconnaissent pas dans les décisions des instances représentatives (manifestations), mais ils peuvent ou doivent participer à l‟élaboration de cette prise de décision. Si toute situation de gouvernance territoriale n‟implique pas nécessairement la participation citoyenne, il y est fait référence de manière suffisamment fréquente, y compris dans les instruments d‟action publique, pour que j‟en donne des éléments de définition.

Le terme de « participation citoyenne » ou « concertation » recoupe en réalité un éventail de relations entre acteurs publics et société civile. On peut tout d‟abord classer ces relations sur un axe du rapport à la décision (Rey-Valette et al., 2011) : au niveau inférieur de ce rapport se situe l‟information comme pratique des acteurs publics qui portent à connaissance leur action. Ce « niveau zéro » de la participation des citoyens à la délibération représente en fait une injonction de transparence de l‟action publique : publication des comptes-rendus et rapports, des bilans comptables… Le deuxième niveau est celui de la consultation : les acteurs publics recueillent l‟opinion des citoyens sans obligation de les prendre en compte. La

concertation citoyenne est un espace de co-construction d‟objectifs, qu‟il s‟agisse d‟un

diagnostic participatif ou d‟une recherche de solution. Enfin, la négociation met en scène un processus de codécision : le pouvoir décisionnel est partagé entre les parties prenantes, et une véritable recherche de consensus est engagée.

Un autre axe de lecture des différentes situations de participation citoyenne se place par rapport à la dynamique d‟échange entre les différentes parties prenantes. Ainsi l‟information est une relation unilatérale, le débat est un échange de points de vue et enfin la recherche d‟accord est une situation de délibération ultime.

Cette notion de « participation citoyenne » doit cependant être remise en contexte. Dans la pratique, celle-ci est rarement idéale, les citoyens qui se portent volontaires pour les ateliers étant fréquemment « les mêmes » et se transformant en « professionnels de la participation ». Pourtant cette notion de participation citoyenne reste emblématique de la gouvernance

CHAPITRE UN

26

territoriale, et se transforme en véritable « mythe »11. La participation citoyenne peut être

alors vue comme une fin en soi et non plus comme un moyen d‟accéder à des « savoirs d‟usage ». Il est donc important de ne pas limiter la gouvernance territoriale à sa composante participative.

FIGURE 1-2NIVEAUX DE PARTICIPATION CITOYENNE.REY-VALETTE ET AL.,2011.

1.1.3. La gouvernance territoriale : proposition de définition

Documents relatifs