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Des situations de gestion : expériences d’action collective

LUNELLOIS : ACTION COLLECTIVE ET AGRICULTURE

4.2.3. Des situations de gestion : expériences d’action collective

et pour d‟autre c‟est une action « de droit » par délégation des compétences (CCPL). L‟apprentissage de troisième boucle pour l‟action collective serait alors l‟apprentissage du déplacement de cette logique centrée sur l‟exploitation ou la commune à l‟utilisation d‟espaces ou de formes d‟action collective pour la résolution de ces problèmes :

« Pour le moment, chacun travaille un peu dans son coin ; chacun fait sa politique -qui est la même-, mais il n’y a pas de transversalité qui voudrait que l’on réfléchisse au fait que ce secteur est lié à celui-là, que là il va y avoir la ligne TGV, là il va y avoir le doublement de l’autoroute, et qu’est ce qu’on va faire de nos agriculteurs< Moi je pense qu’on n’a pas de vision à long terme. Enfin je pense : j’en suis certain » (maire de Boisseron, entretien décembre 2012).

4.2.3.Des situations de gestion : expériences d’action

collective

4.2.3.1. Le comité de pilotage « agriculture et alimentation locale » : description de la situation de gestion

Le comité de pilotage « agriculture et alimentation locale » s‟est réuni pendant environ deux ans, de fin 2008 à 2010. Il a eu comme effets la création de deux associations, « Croquelune » et « Paysans du Vidourle », ainsi qu‟un marché paysan qui s‟est déroulé durant deux étés (2009 et 2010).

La création de ce comité de pilotage ou « groupe de travail », animé par le responsable CQV et l‟employé CIVAM, avait pour objectif de démarrer la politique agricole de la CCPL. À ce titre, le maire de Boisseron, alors vice-président de la CCPL délégué à la « préservation des ressources agricoles », participe à ce groupe. Contrairement au comité de pilotage précédent, aucun autre élu n‟est invité. Le raisonnement derrière ce choix tient à la volonté de la part des animateurs de permettre aux agriculteurs et consommateurs participants d‟être les « vrais » initiateurs des projets :

« Il y avait une présence faible d’élus parce qu’on ne voulait pas un poids important de leur part, qui risquaient de faire pencher la balance. » (responsable CQV, entretien du 2 avril 2013).

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Les agriculteurs et consommateurs participants ont été invités à partir d‟une liste constituée par les animateurs sur la base des participations aux réunions précédentes, notamment de restitution des enquêtes agriculteurs et consommateurs. Le comité de pilotage se réunit alors une fois tous les deux mois environ. Les objectifs de ces premières réunions est justement de produire des apprentissages, notamment l‟interconnaissance, principalement entre consommateurs et agriculteurs. Déjà, des moteurs de l‟action collective se dégagent : « trois ou

quatre agriculteurs », et « cinq ou six consommateurs » (responsable CQV) viennent régulièrement

aux réunions et y participent de manière engagée, alors que d‟autres agriculteurs et consommateurs viennent et participent de manière plus aléatoire. Le comité de pilotage compte donc en plus des deux animateurs et du représentant de la CCPL « une dizaine » de personnes à chaque réunion.

4.2.3.2. Déroulé des évènements

J‟ai découpé le déroulé de la situation en six phases de A à F. Ces phases sont résumées dans la figure 4-6 ci-après.

Phase A : choisir une stratégie. En partant des résultats des enquêtes menées les années précédentes à la CCPL, ainsi que d‟un questionnaire détaillé aux agriculteurs participants, le groupe a commencé à réfléchir aux actions possibles pour structurer l‟offre locale, comme les paniers de produits, la boutique paysanne ou le marché hebdomadaire. L‟objectif de proposer une offre alimentaire locale est défini par la constitution même du groupe et le choix de son nom : « agriculture et alimentation locale ». La première décision collective du groupe a donc été de choisir une action, celle de créer un marché paysan. Ce choix a été fait sur la base de la simplicité : c‟était une forme d‟action collective plus simple et plus facile à mettre en place que la boutique paysanne et pouvait donc constituer une première étape productrice d‟apprentissages de gouvernance. Selon le responsable CQV, les choix étaient véritablement ceux des consommateurs et des agriculteurs, les animateurs n‟étant là que pour conduire les réunions.

Phase B : formaliser l’action collective. Ce choix d‟une action, qui constitue un apprentissage de seconde boucle, c'est-à-dire le choix d‟un objectif commun à atteindre, « structurer l‟offre locale », et d‟une stratégie pour l‟atteindre, « créer un marché paysan », donne alors un sens à l‟action collective, un objectif vers lequel travailler collectivement. Les réunions du groupe deviennent plus fréquentes à partir de décembre 2008, jusqu‟au lancement du marché en juin 2009. Pour structurer l‟action collective et faciliter le « portage »

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du projet, les animateurs poussent les consommateurs et les agriculteurs à se constituer en associations. L‟association de consommateurs « Croquelune » naît la première en novembre 2008, puis « Paysans du Vidourle », l‟association de producteurs, naît en avril 2009. Les participants souhaitent également structurer les échanges entre les deux associations au-delà du comité de pilotage. Un membre de chaque association est donc invité aux réunions de l‟autre. La création des associations permet également aux animateurs, à la CCPL, mais aussi aux futurs collaborateurs, les municipalités, d‟avoir un seul interlocuteur pour gérer les questions d‟organisation sur le projet de marché paysan.

Après que les membres se sont décidés sur la forme, c'est-à-dire un marché hebdomadaire estival sur trois mois, la préparation du marché consiste alors à chercher un lieu, une commune prête à les accueillir. Le premier choix se porte sur la commune de Lunel pour sa fréquentation de touristes l‟été en particulier. Cependant, la commune refuse d‟accueillir le marché en raison de la présence des Halles, « institution » de la commune. La municipalité craint en effet une contestation de la part des commerçants si une offre concurrente s‟installe sur leur commune. Par ailleurs, un marché municipal est également en création à Lunel. En remplacement, le groupe choisit d‟établir le marché à Marsillargues, ville de passage importante en saison touristique, sa route principale étant empruntée pour accéder aux plages de la Grande-Motte. Le choix s‟est fait également par esprit « pratique » : un des membres de Croquelune est également élu municipal de la commune de Marsillargues. L‟association « Paysans du Vidourle » signe alors une convention avec la mairie de Marsillargues pour un marché hebdomadaire. Le choix du jour et de l‟heure (mardi soir) tient à plusieurs facteurs : d‟une part, les producteurs ont souhaité organiser le marché un jour où la concurrence serait plus faible (autres marchés, notamment celui de Lunel). L‟idée de proposer un marché le soir vient également de Croquelune, qui imagine pouvoir toucher la population active qui pourrait venir au marché en sortant du travail. Une fois ces décisions logistiques prises, la CCPL se charge de l‟appui technique en créant l‟identité graphique, des prospectus et des banderoles, et des articles de presse pour faire la promotion du marché.

Phase C : à la rencontre de difficultés. Le marché se lance de juin à août 2009, et démarre par une inauguration officielle. Il est rythmé par des évènements thématiques mensuels, comme la « fête de la ratatouille » ou la foire aux bestiaux. Pourtant, si les évènements thématiques rencontrent du succès, un certain nombre de difficultés se révèlent aux producteurs. Tout d‟abord, le faible nombre de producteurs actifs, « moteurs de l‟action », rend la gamme proposée au marché peu diversifiée, et les absences sont remarquées (flèche 1,

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figure 4-6, p. 165). De plus, le marché de Lunel dans la ville voisine attire beaucoup de monde. Enfin, le groupe se rend compte que Marsillargues possède également un marché municipal, qui se produit le même jour, au matin. Des controverses apparaissent également entre les deux associations, Croquelune commençant à critiquer ouvertement lors des réunions les prix pratiqués par les agriculteurs pendant le marché, qu‟ils estiment trop élevés pour attirer la clientèle. Toutes ces difficultés ont pour effet un marché peu fréquenté (flèches 3a à 3d, figure 4-6).

Phase D : un bilan négatif. À la fin de la saison, en automne 2009, les membres du comité de pilotage font le bilan de l‟été, qui est plutôt négatif. Pourtant, les « Paysans du Vidourle » souhaitent continuer le marché paysan. Les réunions « hors saison » se poursuivent. Cependant, la controverse sur les prix pratiqués par les producteurs provoque des clivages avec Croquelune, qui se retire progressivement et est de moins en moins présent aux réunions. Un agriculteur me déclare avoir souhaité placer le marché le vendredi soir, mais la mairie de Marsillargues aurait refusé. En conséquence, le jour de marché n‟est pas modifié d‟une année sur l‟autre.

Phase E : consolider l’expérience. La deuxième « production » du marché paysan, en été 2010, est confrontée aux mêmes problèmes que l‟année précédente, notamment parce que le jour de marché n„a pas été changé, le problème de gamme n‟a pas été résolu et les agriculteurs ont perdu l‟appui de Croquelune. À cela s‟ajoute la multiplication de marchés municipaux dans les autres communes de la CCPL, si bien que le marché paysan se trouve « noyé » parmi les autres marchés et devient un « marché comme un autre ». Ces problèmes (flèches 4a à 4d, figure 4-6) mènent à nouveau à un marché peu fréquenté. Pour pallier le manque de résultats, la CCPL aide les producteurs de « Paysans du Vidourle » à intégrer d‟autres marchés municipaux tels que le marché de Lunel.

Phase F : La fin de l’histoire. La saison terminée, le comité de pilotage dresse un bilan négatif de l‟expérience. Les producteurs, faute de résultat, ne souhaitent pas reconduire l‟expérience. Comme le dit l‟un d‟entre eux :

« Faire des sourires et aller en devant des gens quand il y a pas de retombées derrière c’est fatiguant, ça coûte, donc il y a de moins en moins de gens : on se désengage de l’action collective » (pépiniériste à Lunel, entretien du 14 juin 2012).

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165 FIGURE 4-6DÉROULÉ DES ÉVÈNEMENTS DU COMITÉ DE PILOTAGE ET DU MARCHÉ PAYSAN

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La présence des producteurs sur les autres marchés les convainc de ne pas reconduire celui- ci. Parallèlement à cette décision d‟arrêter le marché paysan, Croquelune se retire officiellement du comité de pilotage. La présidente de « Paysans du Vidourle » quitte le territoire, ce qui « essouffle » l‟association. Ces trois évènements conduisent à l‟arrêt du comité de pilotage « agriculture et alimentation locale » (flèches 5a à 5c, figure 4-6).

Après l‟arrêt du groupe, les membres de « Paysans du Vidourle » continuent de collaborer avec la CCPL et sont invités à venir vendre leurs produits lors de manifestations culturelles comme « un piano sous les arbres ». Le réseau est également remobilisé dans l‟opération « de ferme en ferme » (flèche 10, figure 4-6).

4.2.3.1. Apprentissages dans la situation de gestion

La situation de gestion est analysable à la fois par les apprentissages qui ont été produits (flèches ou cadres en vert sur la figure 4-6), mais également par l‟absence d‟autres apprentissages (flèches ou cadres en rouge). Parmi les apprentissages produits, j‟ai déjà mentionné l‟apprentissage de 2nde boucle réalisé lorsque le groupe a élaboré sa « théorie

d‟action » : créer un marché paysan pour structurer l‟offre locale. Cet apprentissage a en retour structuré l‟action collective, puisqu‟elle a donné aux participants un objectif commun à atteindre. Les créations des associations peuvent être considérées comme des apprentissages de troisième boucle, puisqu‟ils ont permis à l‟action collective de se structurer, et surtout parce qu‟ils ont produit une nouvelle manière d‟interagir, d‟abord pour les agriculteurs et consommateurs entre eux, mais aussi pour ces individus en interaction avec la CCPL et les communes. Enfin, la « flexibilité » des agriculteurs qui ont pu rejoindre d‟autres marchés municipaux, en partie grâce à la CCPL, témoigne d‟un apprentissage de seconde boucle (flèche 8, figure 4-6). Le but, la structuration de l‟offre locale, porté à la fois par les agriculteurs mais également par l‟ensemble du comité de pilotage, a été révisé. L‟intérêt que les agriculteurs portent aux autres marchés municipaux, plus attractifs en termes de potentiel de ventes, traduit une réappropriation des buts initiaux collectifs vers des buts personnels : il ne s‟agit plus de structurer l‟offre et la demande, mais d‟accéder à des espaces de ventes pour améliorer son résultat.

En revanche, l‟absence d‟autres apprentissages nécessaires explique l‟arrêt du projet, ainsi que celui du comité de pilotage. Tout d‟abord, on peut relier la volonté des animateurs de tenir éloignés du comité de pilotage les élus de la CCPL avec l‟absence de coordination entre Marsillargues et le comité de pilotage qui a conduit le marché municipal et le marché paysan

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à se produire le même jour (flèche 2, figure 4-6). Nous pouvons imaginer qu‟un apprentissage de troisième boucle, modifiant la capacité des membres à réfléchir à la cohérence de l‟action à la CCPL, aurait permis aux membres du groupe de réinterroger le bien fondé de tenir les élus à l‟écart. Les membres auraient peut-être alors plutôt tenté de créer des espaces de discussion avec les élus concernés, et auraient pu éviter ce genre de problème technique.

Enfin, de nombreux apprentissages de première boucle auraient pu permettre de « corriger » les problèmes dont les producteurs ont fait l‟expérience lors de la première saison en 2009 : le problème de gamme aurait pu être résolu en tentant de recruter plus d‟agriculteurs (flèche 6, figure 4-6) ; la controverse avec Croquelune autour des prix aurait pu être résolue, permettant un meilleur appui de la part de l‟association qui aurait pu « recruter » plus de consommateurs pour les marchés (flèche 7, figure 4-6) ; le comité de pilotage aurait pu tenter de négocier un jour différent pour le marché paysan avec la municipalité (flèche 9, figure 4-6). Au final, ces apprentissages qui ont manqué ont donc concerné l‟enrôlement, la participation, la négociation, etc.

Bien entendu, ces « absences d‟apprentissages » traduisent probablement non pas une incapacité des acteurs à « apprendre », mais bien une complexité de la situation et du cadre global dans lequel s‟inscrivait la situation de gestion. Pourtant l‟analyse de cette situation montre que les apprentissages de gouvernance qui ont bien été réalisés ont conduit en majorité au détournement ou à l‟arrêt du projet collectif.

4.2.4.Opération de ferme en ferme : description de la

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