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Connaître son paradigme épistémologique est essentiel dans tout processus de recherche, car il va déterminer à la fois le type de connaissances produites, comment celles-ci sont validées, et dans quelle mesure ou quel contexte elles sont légitimes. Il existe trois niveaux d‟ordres de questionnement d‟un paradigme : ontologique, épistémologique et méthodologique. Ces trois niveaux s‟articulent, les croyances ontologiques définissant le positionnement épistémologique, qui à son tour déterminera la méthodologie à adopter.

Le questionnement ontologique fait référence à un questionnement quant à la nature du réel. Ainsi, certains pensent que le réel est absolu, unique et indépendant de l‟expérience que l‟on en fait. À l‟opposé, d‟autres pensent que le réel n‟existe que par l‟expérience que l‟homme en fait.

Le questionnement épistémologique fait référence à la nature de l‟expérience que l‟on peut se faire du réel. Certains pensent que l‟on peut parfaitement connaître le réel, de manière

Raisonnement abductif

Règle (A) : Tous les haricots du sac sont blancs Conséquence (C) : Ces haricots sont blancs

Cas (B) : Ces haricots viennent du sac

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objective. D‟autres pensent que nous ne pouvons accéder au réel, seulement à la représentation que l‟on s‟en fait.

Avenier et Gavard-Perret (op. cit.) répertorient un grand nombre de paradigmes épistémologiques, certains étant très proches. Nous pouvons tout de même séparer les paradigmes en deux classes principales : positiviste et constructiviste. Les positivistes dans l‟ensemble émettent l‟hypothèse ontologique selon laquelle le réel unique objectif existe et est indépendant du chercheur. De plus, le chercheur peut et doit se placer en position « d‟extériorité », c‟est-à-dire détaché de ce réel observable pour ne pas « l‟influencer ». Les constructivistes en revanche, dans l‟ensemble, émettent l‟hypothèse de non-séparabilité entre le réel et l‟observateur du réel

En particulier, Avenier et Gavard-Perret identifient deux types de constructivisme : le paradigme épistémologique constructiviste ou « postmoderne », et le paradigme épistémologique constructiviste radical.

La différence principale entre ces deux paradigmes tient en ce que les auteurs appellent la « posture agnostique » du paradigme constructiviste radical : « nul être humain ne dispose de

critères absolus permettant de savoir avec certitude s‟il existe un réel et un seul, et dans le cas où un tel réel existe, si celui-ci est semblable aux perceptions qu‟il induit. Ce n‟est donc pas l‟existence d‟un réel qui est contestée, mais l‟impossibilité de le connaître indépendamment des perceptions qu‟il induit » (Avenier et

Gavard-Perret, op. cit.). Ce paradigme semble donc plus souple, puisque son hypothèse ontologique ne prétend pas définir la nature du réel, qu‟il soit unique et objectivable ou non, mais se positionne uniquement sur le caractère expérimenté de ce réel. C‟est dans ce paradigme que je me suis inscrite tout au long de la thèse, pour plusieurs raisons. Tout d‟abord, dans le paradigme épistémologique constructiviste radical, l‟objectif de la recherche n‟est pas de produire une « construction la mieux informée et la plus sophistiquée », mais bien de construire une représentation de la réalité qui fournisse des clés de compréhension. Ainsi pour Glasersfeld (2001, p. 9 ; cité par Avenier et Gavard-Perret, 2008), « savoir n‟est pas posséder des représentations

vraies du réel, mais posséder des manières et des moyens d‟agir et de penser qui permettent à quelqu‟un d‟atteindre les buts qu‟il se trouve avoir choisis ». Ensuite, ce paradigme correspond particulièrement

aux objectifs de ma recherche, puisque ma question de recherche est d‟analyser les apprentissages à l‟œuvre dans les territoires, dont j‟ai précisé le caractère situé et donc indissociable, en tout cas dans mon cadre de recherche, de la situation, des acteurs et de moi- même.

THÉORIES ET MÉTHODES POUR L’ANALYSE

89 TABLEAU 3-1COMPARAISON DES DEUX PRINCIPAUX PARADIGMES CONSTRUCTIVISTES.AVENIER ET

GAVARD-PERRET,2008 Niveaux de questionnement Paradigme épistémologique constructiviste (Guba et Lincoln, 1989) Paradigme épistémologique constructiviste radical (Glasersfeld,

2001 ; Le Moigne, 1995 ; Riegler, 2001)

Ontologique « Qu‟y a-t-il qui puisse être connu ? » « Quelle est la nature du réel ? »

Existence de multiples réels socialement construits non gouvernés par des lois naturelles, causales ou autres (hypothèse « d‟ontologie relativiste »).

- Postule l‟existence d‟un réel

expérimenté, mais sans se prononcer sur l‟existence ou la non-existence d‟un réel unique tel qu‟il est ou pourrait être en lui- même en dehors de toute expérience humaine.

- En conséquence, pas d‟hypothèse fondatrice sur la nature d‟un éventuel réel tel qu‟il est en lui-même.

Épistémologique « Quelle est la relation entre le sujet connaissant et ce qui est connu (ou connaissable) ? » « Comment peut-on être sûr que nous savons ce que nous savons ? »

- Non-séparabilité entre observateur et phénomène observé.

=> Les résultats de l‟investigation sont donc une création littérale du processus d‟investigation (hypothèse d‟épistémologie moniste subjectiviste). => La « vérité » est définie comme la construction la mieux informée et la plus sophistiquée sur laquelle il y a consensus (plusieurs constructions peuvent satisfaire simultanément ce critère)

- Identification des paradigmes naturaliste, herméneutique et interprétativiste avec le paradigme constructiviste

- Non-séparabilité entre observateur et phénomène observé.

=> Impossibilité de connaître un réel autrement que par son apparence phénoménale.

=> La connaissance s‟exprime par des constructions symboliques appelées représentations, élaborées à partir de l‟expérience d‟humains, sans possibilité de connaître leur degré de similarité avec le réel qui a induit cette expérience. L‟élaboration de

connaissances vise la construction de représentations qui conviennent fonctionnellement.

- Distinction entre le paradigme épistémologique constructiviste radical et les paradigmes méthodologiques naturaliste, herméneutique et interprétativiste.

Méthodologique « Quelles sont les manières d‟élaborer la connaissance ? »

- Méthode herméneutique

exclusivement (hypothèse de méthode herméneutique).

- Co-construction des

connaissances entre chercheurs et répondants.

=> processus continuel

d‟itérations, d‟analyse, de critique, de réitération, de ré-analyse, conduisant à l‟émergence de représentations co-construites (par les investigateurs et les répondants, à partir

d‟interprétations « etic » et « emic »).

- Toute méthode est admissible sous respect des conditions d‟éthique, de rigueur et de transparence du travail épistémique. La construction de connaissance n‟est pas nécessairement une co-construction stricto sensu avec les acteurs organisationnels sollicités dans le travail empirique.

- La connaissance construite peut modifier la connaissance préalable, et si les buts et/ou le contexte évoluent, la connaissance construite pourra évoluer.

Plus récemment, Avenier et Thomas (2013) ont approfondi la comparaison de ces deux paradigmes pour préciser les différences de chaque paradigme, ainsi que ceux de la tradition post-positiviste et du réalisme critique, en termes d‟objectifs de création de la connaissance,

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et de la forme de connaissance produite. Reprenons les différentes composantes d‟un paradigme et leur implication pour le constructivisme radical telle qu‟Avenier et Thomas les définissent :

- Comme précisé précédemment, l’hypothèse ontologique du constructivisme radical est que le réel est expérimenté, sans se positionner sur le caractère unique d‟un réel extrait de l‟expérience humaine. Le réel peut alors être pensé comme un « flux d‟expériences humaines ».

- L’hypothèse épistémologique de ce paradigme est que tout ce qui existe et forme le réel est « connaissable ». La connaissance produite est inséparable de l‟observateur, puisque c‟est son intention de comprendre le réel, chargé des concepts scientifiques qu‟il porte, qui influencent la manière dont il va produire la connaissance.

- L‟objectif du processus de la recherche est de transformer la compréhension du réel en concepts qui donnent des clés pour penser et agir sur ce réel.

- Le type de connaissance produit est à la fois des concepts scientifiques pragmatiques et des propositions opérationnelles actionnables.

- Le but de la démonstration scientifique est d‟apporter crédibilité et fiabilité

- La justification de la démonstration (preuve) se fait par démonstration de la rigueur méthodologique et de la capacité effective du modèle/concept à être efficace comme cadre de pensée et d‟action.

- Le test de validité se fait en « testant » le modèle.

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