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Les recherches sur l’apprentissage organisationnel dans le secteur public

Entre théorie et pratique : apprentissages organisationnels et organisation apprenante.

2.1.4. Les recherches sur l’apprentissage organisationnel dans le secteur public

Senge précise dans sa théorie de l‟organisation apprenante que cette notion ne pouvait s‟appliquer au secteur public, notamment à cause d‟une incapacité de ce secteur à développer une vision à long terme et une unicité des buts et de la vision (Senge, 2006). De nombreux chercheurs en gestion publique ont pourtant mobilisé ces théories pour analyser les apprentissages organisationnels dans les organisations publiques. Ma construction d‟un cadre d‟analyse des apprentissages de gouvernance consiste à puiser dans des concepts bien souvent développés pour le secteur privé pour les appliquer dans un cadre de coopération entre secteur public et secteur privé. Il est donc important d‟approfondir cette question de l‟utilisation des théories de l‟apprentissage organisationnel dans le secteur public.

2.1.4.1. Rareté et pauvreté de la littérature, prévalence de l’approche constructiviste

Depuis cette publication de Senge, de nombreux auteurs ont souligné l‟importance des apprentissages dans le contexte public. Ainsi, Rashman et al. (2009) indiquent que c‟est même un processus central, tant en terme d‟apprentissage à l‟intérieur des organisations publiques qu‟en terme d‟apprentissages interorganisationnels.

Gilson et al. (2009) précisent que le champ de l‟apprentissage organisationnel est principalement développé pour le secteur privé. Cependant, la littérature sur l‟apprentissage organisationnel dans le secteur public développe tout de même ses propres idées.

Le peu de littérature existante ne semble pas apporter le même soin à l‟analyse des processus et phénomènes d‟apprentissage que ce que l‟on peut trouver concernant le secteur privé, en partie à cause du manque de promotion de l‟apprentissage dans les organisations publiques. Une revue de la littérature existante sur le sujet (Rashman et al., op. cit.) met pourtant en évidence la prévalence de l‟approche constructiviste (apprentissage social). Cela peut s‟expliquer par le fait que les organisations publiques sont souvent décrites comme plus floues, dépassant leurs propres limites organisationnelles ou prenant la forme de réseaux. L‟approche constructiviste permet alors d‟analyser l‟influence de cette forme particulière sur les apprentissages.

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Par ailleurs, l‟une des conclusions de leur travail bibliographique est la profonde différence qu‟il peut exister entre la création de connaissance dans les organisations publiques et dans les organisations privées. Par exemple, la production de connaissance serait une activité délibérée et stratégique dans les organisations privées, alors qu‟elle apparaît dans les organisations publiques comme un résultat de la politique (Rashman et al., op. cit.). De leur côté, les chercheurs en sciences politiques étudient le fonctionnement de l‟État, aussi bien à l‟échelle nationale que locale. Ma recherche d‟articles discutant des liens entre apprentissages et gouvernement local montre qu‟ils ont également abordé cette question des apprentissages.

2.1.4.2. La dimension politique, un frein { l’apprentissage organisationnel ?

Pour Common (2004), l‟apprentissage organisationnel dans le contexte public peut-être rattaché à la capacité d‟une organisation publique à appliquer de nouvelles connaissances au processus d‟élaboration d‟une politique publique. L‟apprentissage organisationnel est alors vu comme une manière d‟améliorer les capacités de création de politiques publiques du gouvernement, alors que le policy learning adresse les apprentissages effectués au-delà du gouvernement par ceux chargés de son application. Cette vision de l‟apprentissage centré sur l‟élaboration de la politique opposé à l‟apprentissage centré sur son adoption fait écho à l‟approche qu‟ont Le Bourhis et Lascoumes des instruments de gestion (2014). Ces derniers proposent trois niveaux au sein desquels l‟instrument peut être contesté : le premier niveau concerne les acteurs chargés de la conception de l‟instrument ; le deuxième niveau concerne les acteurs chargés de sa mise en place ; et enfin le troisième niveau concerne les acteurs qui en sont la cible.

Ainsi, l‟apprentissage organisationnel vu par Common ferait référence au premier niveau proposé par Le Bourhis et Lascoumes, alors que le concept de policy learning ferait référence aux deux autres niveaux.

Cependant, selon Common (op. cit.), les enjeux politiques des acteurs, chargés de l‟élaboration des politiques publiques et des instruments de cette politique, compromettent l‟application du concept d‟apprentissage organisationnel au gouvernement. Common illustre cette hypothèse avec l‟exemple de situations produites par le New Public Management, lors desquelles les « compétitions » produites entre services créaient des situations de rétention d‟information, empêchant la diffusion de la connaissance et donc les apprentissages. Pourtant, Gilson et al. (op. cit.) précisent que la surveillance des organisations non

CHAPITRE DEUX

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gouvernementales sur le gouvernement peut encourager les apprentissages en rendant ces organisations plus responsables que dans le secteur privé. Dans les situations de gouvernance, cela semble être renforcé par une intensification des dialogues entre acteurs. La gouvernance apparaîtrait alors comme une situation intermédiaire ou cette intensification viendrait « réparer » le frein politique, permettant au territoire de multiplier les apprentissages.

2.1.4.3. 1ère et 2ème boucles d’apprentissage dans le secteur public Certains auteurs avancent également l‟idée selon laquelle l‟apprentissage en double boucle, apparenté à un changement de valeurs directrices, est limité par la vision politique des élus (Common, 2004 ; Ranson et Stewart, 1994). Enfin, les auteurs avancent que les organisations publiques sont fréquemment limitées à des apprentissages en simple boucle à cause d‟obstacles bureaucratiques et politiques.

Pour moi, cette idée est limitatrice. D‟une part, elle exclut la capacité des élus, hommes politiques, à « apprendre » eux-mêmes, notamment dans un cadre de concertation par contact avec les autres, qui leur permettrait par exemple de changer d‟opinion et de proposer d‟autres valeurs directrices. D‟autre part, si l‟on conçoit l‟apprentissage organisationnel comme la capacité d‟une organisation à créer de nouvelles connaissances et compétences, alors peu importe l‟acteur à l‟origine d‟un apprentissage. Si les administrateurs d‟une organisation publique sont restreints à des apprentissages de première boucle, cela n‟implique pas que l‟organisation elle-même soit incapable d‟en réaliser par le biais de ses élus. En fait, les mécanismes de gouvernance apparaissent alors bien comme des moyens d‟effacer les « limites » en termes d‟apprentissages que peut poser une gestion plus verticale, puisqu‟administrateurs et élus peuvent alors apprendre côte à côte.

Ainsi, une revue de la littérature montre l’intérêt d’explorer les apprentissages organisationnels dans le contexte de la gouvernance. Si les apprentissages sont peu explorés dans le secteur public, ils le sont encore moins dans des situations hybrides ou élus locaux, employés du secteur public et citoyens doivent coopérer pour co- construire un territoire. Ce positionnement constructiviste prend tout son sens dans ce contexte, l‟étude des interactions entre les acteurs permettant de révéler les apprentissages. Cependant, la construction d‟une grille d‟analyse originale et adaptée à ma question de recherche est nécessaire.

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2.2.

OUTILS, INSTRUMENTS, DISPOSITIFS

La notion d‟apprentissage est étroitement liée à celle de changement (Lähteenmäki, Toivonen et Mattila, 2001). Or, selon Lascoumes et Simard (2011), l‟approche par les instruments permet justement de comprendre ce changement, en analysant non plus simplement l‟action des individus, mais également la « matérialité » de l‟action publique. Ce sont parfois même les outils et instruments de gestion qui offrent les innovations techniques et sociales et véhiculent ce changement (Berrebi-Hoffmann et Boussard, 2005). Ainsi, les outils et instruments de gestion n‟ont pas qu‟un rôle passif de « contenant » des savoirs, mais ils peuvent être un moyen privilégié de création d‟apprentissages (Aggeri et Hatchuel, 1997), par exemple parce qu‟ils vont modifier dynamique de l‟action collective (Martin et Picceu, 2007).

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