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Le positionnement du chercheur dans un paradigme épistémologique n‟est cependant pas une condition nécessaire et suffisante quant à l‟assurance de la validité scientifique d‟un travail de recherche. Dumez (2012) critique d‟ailleurs l‟idée même de se positionner dans un paradigme épistémologique, déclarant que « le fait de se rassurer en se positionnant par rapport à un

“paradigme épistémologique” au début de sa recherche n‟a souvent pour but que de se protéger des vraies questions épistémologiques qui doivent surgir au cours de cette recherche » (p.1).

Je pense que le cadre épistémique a tout de même la vertu de fournir au chercheur des clés de compréhension et une réflexivité sur sa propre recherche. En ce sens, il est le garant d‟une cohérence entre la question de recherche et les choix méthodologiques pour répondre à cette question. Cependant, je rejoins Dumez dans l‟idée qu‟un travail scientifique ne doit pas se limiter à ce cadre, mais doit également prendre conscience des « pièges » de la recherche qualitative. Il définit ces pièges sous forme de trois risques de la recherche qualitative (Dumez, ibid.) :

- Le risque des acteurs abstraits fait référence à la qualité du rapport de recherche : si celui-ci oublie de raconter les faits et l‟action concrète des acteurs, il devient une abstraction vide de contexte. Pour gérer ce risque, Dumez suggère d‟une part de bien définir l‟unité d‟analyse de la recherche (de quoi parle-t-on ?), et de prêter une attention particulière à la narration et à la description. Pour gérer ce risque, je m‟attacherai donc à décrire systématiquement mes « cas » (voir ci-après), en utilisant les verbatims comme illustration pour relier la théorisation aux acteurs.

23 Même si la rigueur méthodologique est également un critère d‟évaluation de tout travail en paradigme

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- Le risque de circularité fait référence à l‟analyse des données qualitatives. Il s‟agit du risque de trouver dans le matériau exactement ce que l‟on cherchait et rien d‟autre,

c.-à-d. s‟attacher à ne lire et analyser le matériau que par la théorie. Manquer de gérer

un tel risque ne reviendrait pas tant à produire un résultat faux, mais plutôt un résultat pauvre, qui écarterait toute analyse riche, dont le fameux « fait étonnant » qui permet de créer de nouvelles théories. La gestion de ce risque passe selon Dumez par deux étapes importantes : avant analyse, la construction de la « théorie » ne doit pas être trop contraignante. Il s‟agit de la différence que j‟ai faite dans cette première partie entre « cadre théorique » et « cadre d‟analyse ». La deuxième étape est celle du codage : il faut selon Dumez coder le matériau de manière indépendante de la théorie, à l‟opposé du « codage théorique ». Je reviendrai à cette technique de codage dans la sous-partie 3.1.4.1.

- Le risque de méconnaissance du phénomène d’équifinalité est le risque d‟ignorer que plusieurs chemins peuvent mener au même résultat. Cela revient à ne prendre en compte qu‟une seule explication pour un phénomène, alors que des explications alternatives devraient être prises en compte. Pour gérer ce risque, Dumez propose trois techniques : recourir aux « hypothèses rivales plausibles », c‟est-à-dire proposer d‟autres hypothèses explicatives et les tester ; recourir au « raisonnement contrefactuel », c‟est-à-dire comparer ce qui s‟est passé avec ce qui aurait pu se passer ; ou recourir à plusieurs théories différentes pour expliquer un même phénomène. Dumez invite à utiliser une combinaison des trois techniques, même s‟il reconnaît la possibilité de leur gestion très difficile dans tout processus de recherche. Ainsi, j‟ai continuellement émis des hypothèses pour expliquer des faits et comportements observés, puis je les ai « testées » lors d‟entretiens suivants. Lors de l‟analyse finale des données, j‟ai privilégié la troisième technique, en mobilisant dans mon cadre d‟analyse à la fois une approche par les apprentissages, une approche par la sociologie de la traduction et une approche par les stratégies individuelles d‟Hirschman (voir 3.2.7).

Ainsi, je pense que c‟est à la fois la prise en compte du cadre épistémique, qui permet de s‟assurer de la cohérence du projet de recherche mais également de sa validité interne et externe, et la connaissance et la gestion de ces trois risques épistémologiques, qui permettent de s‟assurer que l‟analyse qualitative est juste, qui constituent la robustesse d‟une recherche qualitative.

THÉORIES ET MÉTHODES POUR L’ANALYSE

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3.1.2.L’étude de cas multiples

3.1.2.1. Pourquoi l’étude de cas ?

Parmi les différentes méthodes de recherche qualitative disponibles pour « accéder au réel », Wacheux (1996) en explore cinq : les études de cas, les méthodes comparatives, la recherche expérimentale, la simulation, la recherche-action. Creswell (2012) de son côté en propose cinq autres : la recherche narrative, la recherche phénoménologique, la théorie ancrée, l‟ethnographie, et l‟étude de cas.

J‟ai choisi pour répondre à ma question de recherche la méthode de l‟étude de cas. Selon Wacheux, elle est un choix judicieux lorsque la question de recherche commence par « pourquoi » ou « comment », ce qui est mon cas. Elle « permet de suivre et de reconstruire des

évènements dans le temps, d‟évaluer les causalités locales et de formuler une explication » (Wacheux, 1996,

p. 89). Dans mon cas, je souhaite en effet reconstruire la manière dont un territoire périurbain se co-construit, et les apprentissages de gouvernance sous-jacents à cette construction.

David (2003) compare trois types particuliers d‟étude de cas : l‟étude « collective », l‟étude « intrinsèque » et l‟étude « instrumentale ». L‟étude de cas collective fait en fait référence à un dispositif de recherche à cas multiples, dont je détaille les caractéristiques ci-après. L‟étude de cas « intrinsèque » fait référence à une description et analyse poussée d‟un cas dans toutes ses facettes. Son utilisation est efficace dans un contexte de recherche-action par exemple, lorsqu‟il s‟agit de comprendre un cas en profondeur et dans sa globalité pour y proposer des solutions actionnables. En revanche, une étude « instrumentale » est guidée tout au long de la recherche par une théorie générale. Cette distinction peut paraître caricaturale au regard de la diversité de situations de recherches, du rapport du chercheur à l‟aller-retour terrain/théorie, et les méthodes de raisonnement empruntées.

David lui-même précise que « les frontières entre approche instrumentale et intrinsèque sont ténues et,

comme souvent lorsque l‟on polarise la pensée autour d‟un couple de concepts opposés, il existe tout un continuum de situations intermédiaires » (David, 2003, p. 4). Il propose de nuancer cette distinction

en distinguant l‟objet de la recherche du « terrain » à proprement parler. Ainsi, il donne en exemple une situation de recherche qui vise à comprendre une innovation managériale particulière. Le chercheur sélectionne alors une entreprise parmi celles qui utilisent cette innovation. David définit alors l‟étude de cas comme intrinsèque par rapport à l‟innovation

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managériale (l‟objet de recherche), et instrumentale par rapport à l‟entreprise sélectionnée (le « terrain »). Dans cette optique, je me situe à l‟intérieur de ce continuum, à la fois motivée dans ma recherche par l‟exploration d‟une théorie appliquée à un cas particulier, les apprentissages organisationnels, mais également comme nous l‟avons vu, dans une démarche abductive de va-et-vient entre terrain et théories, ouverte à l‟inclusion de toute théorie qui permet d‟enrichir la compréhension du cas par rapport à la question de recherche initiale.

Yin (2009) compare l‟étude de cas à quatre autres stratégies de recherches (expérimentale, enquête, l‟analyse d‟archive et l‟analyse historique). Il confirme ainsi le lien présenté par Wacheux entre type de question et type de stratégie : une question de recherche commençant par « quoi/quel » est plutôt adaptée à l‟enquête ou l‟analyse d‟archive. Les « comment » et « pourquoi » mènent aux stratégies expérimentales, historiques et d‟étude de cas. Yin propose alors un arbitrage entre ces trois stratégies en fonction du contrôle qu‟a le chercheur sur les évènements, et le caractère contemporain ou historique des évènements. Dans le premier cas, la seule stratégie qui coïncide avec un contrôle des évènements est la stratégie expérimentale.

Dans le deuxième, la seule stratégie qui coïncide avec le caractère historique est l‟étude historique. Dans ma recherche, puisque j‟étudie la situation des territoires, il m‟est impossible de pouvoir contrôler les évènements qui mènent à la construction du territoire. La stratégie expérimentale est par conséquent hors de portée. De plus, puisque je souhaite étudier les phénomènes de périurbanisation dans le contexte du paradigme de gouvernance territoriale, situation fortement contemporaine, l‟étude de cas est par élimination la plus adaptée. En résumé, je choisis précisément l‟étude de cas puisque ma question de recherche vise à étudier le « „„comment ou pourquoi‟‟ à propos d‟évènements contemporains sur lesquels nous avons peu de contrôle » (Yin, 2009, p. 9).

3.1.2.2. Caractéristiques de l’étude de cas

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