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Une légitimité religieuse et politique assurée par les Brahmanes et un ancrage territorial légitimé par les Bhil.

2 La production du territoire par la royauté

2.3. Udaipur, dernière capitale du Mewar : les figures spatiales du pouvoir royal dans la cité

2.3.3 Le royaume dans la ville

Udaipur est initialement conçue pour garantir la continuité d’un pouvoir et le développement d’une culture. Outre le plan général de la cité, les diverses formes architecturales qui constituent l’enceinte royale et parmi elles, le palais royal, contribuent à renforcer l’interpénétration du divin et du royal et l’emprise des Râjput sur leur territoire. La similarité des formes entre le palais de Chittor et celui d’Udaipur en témoigne : toute nouvelle capitale royale s’inscrit en continuité et non en rupture, avec les précédentes, témoignant du souci des Râjput de perpétuer un héritage ancien porté par la dynastie royale et matérialisé dans le territoire.

L’enceinte royale (document 11) forme une véritable cité inscrite dans la cité médiévale d’Udaipur. Elle est entourée d’une muraille qui ferme l’espace contenant le City Palace et les bâtiments qui avaient dans le contexte du Mewar une fonction spécifique pour la cour royale. Chacun de ces bâtiments est desservi par des chowk, petites cours qui organisent l’espace et conduisent vers l’extérieur.

Ce complexe palatial se rapproche en bien des points de celui de Chittor. Les références relèvent de l’organisation générale, mais aussi du nom des bâtiments, des rues, ainsi que des formes architecturales. Outre la structure générale du complexe royal, plusieurs formes architecturales font écho au style utilisé pour la construction du palais de Chittor : les jarokha par exemple, qui se reflètent sur les façades du Bada Mahal, rappellent celles des tours du rana Kumbha Palace de Chittor. Badi Pol, la porte qui sépare le complexe palatial de la cité, sur City Palace Road (Ratha-Vîthi), semble inspirée par son nom, sa fonction et son style architectural d’une porte du même palais de Chittor. Cette similarité s’exprime par une même appartenance à un style particulier, que l’on retrouve à travers des formes architecturales spécifiques et sur plusieurs types d’éléments urbains. Ce style est défini comme spécifiquement Râjput, résultat de la rencontre de savoir-faire architecturaux, notamment moghols, d’une architecture hindoue plus ancienne, et d’influences européennes.

C

2004 - NB

L'enceinte royale constitue une véritable cité dans la cité.

Elle se compose de plusieurs édifices, chacun ayant une fonction spécifique dans le contexte de la royauté.

City Palace et Shiv Niwas

1. Badi Pole 2. Tripolia Gate 3. Maneek Chowk 4. Shambu Niwas 6. Zenana Mahal 7. Roti Chowk 8. Bara Chow

Localisation de l'enceinte royale dans la cité

Les formes semblent ainsi exister pour elles-mêmes et non pour leur utilité ou pour permettre de rendre l’espace du palais fonctionnel (Tillotson G.H., 1987 : 90).

La royauté se montre dans toute sa force et théâtralise son pouvoir au travers des édifices qui l'incarnent. Les torana, arches sous lesquelles la coutume veut que le souverain fête son anniversaire, enrichissent l’architecture des lieux. Elles expriment la richesse du souverain, sa connaissance des arts, son goût pour le raffinement et le luxe. Elles renvoient aussi aux fonctions du souverain en matière de patronage des arts et de transmission culturelle. Ainsi, « le palais du Soleil », Sûrya Prakash, comporte de fins ciselages de verre sur ses murs ; l’intérieur de Krishna Vilas et de Manak Mahal contiennent des pierres précieuses, alors que Chini Chitrashali, affiche une collection de porcelaines de Chine et de verrerie. L’ensemble des établissements du complexe palatial concentre ainsi de délicates formes architecturales richement ornées. Parmi les motifs décoratifs utilisés, nombreuses sont les représentations plus ou moins directes de la nature qui se réfèrent directement à la royauté : le plus symbolique d’entre eux est le disque solaire, symbole de la dynastie Sisodia, qui orne les portes orientales du palais - Surajpol - en guise de protection ou encore les dessins représentant des paons139, sur les murs de certaines pièces du palais. L’architecture et les arts s’enrichissent ainsi sans cesse de formes et d’ornements nouveaux. Les jardins, par exemple, deviennent un signe fort de la royauté au XVIIIe

siècle. Cette ouverture exprime d’une autre manière la suprématie royale, par la capacité des souverains à intégrer et à s’approprier les éléments les plus divers.

En cela et par la fascination que suscite chacun des édifices royaux de la cité, le territoire royal lui-même participe à nourrir l’imaginaire et les identités de la population d’Udaipur, assurant un lien entre le territoire et l’extérieur et contribue dans le même temps à la création d’une réputation fondée sur la force du royaume et sur sa richesse patrimoniale.2.3.4 Haveli d’Udaipur : les demeures de la noblesse comme hauts-lieux de la mémoire royale

Les Râjput possédant des haveli étaient le plus souvent des jagirdar140. Ces demeures, généralement de grande envergure car construites pour accueillir des familles de haut statut et leur nombreux personnel, avaient été confiées à ces nobles par le pouvoir royal afin de leur permettre de vivre de manière temporaire dans la capitale, lors des cérémonies annuelles organisées par le souverain.

Certains haveli se sont par ailleurs vus attribués à des non-Râjput en récompense d’un service rendu au royaume ou directement au souverain. Souvent conçus comme des copies des palais, ils s’organisent autour de pavillons et de pièces thématiques qui distinguent vie publique et privée. Une pièce est destinée à l’accueil des visiteurs et aux négociations commerciales.

Le chowk, cour centrale à ciel ouvert, dessert toutes les pièces. Autour d’elle se trouvent la cuisine, la pièce servant au stockage de l’eau et la salle de prière - puja -. Les façades de ces bâtisses sont ornées de minuscules fenêtres sculptées - des moucharabiehs - destinées autant à protéger l’espace intérieur de la chaleur qu’à favoriser l’intimité des lieux.

139 Le plumage du paon symbolise l’harmonie et le mélange. Il est un symbole fort de la royauté Râjput.

140 Jagirdar : détenteur de jagir, territoire relevant de l’administration royale dans lequel des fonctionnaires de la couronne

Notre enquête nous a permis de localiser 72 haveli à Udaipur, principalement construites à l’initiative du pouvoir royal pour des jagir, ou par de riches marchands. Ce nombre est certainement en deçà de la réalité historique, les sources141 nous permettant d’identifier 86 établissements de ce type.

La présence des édifices royaux, palais et dépendances, et de formes physiques caractéristiques du pouvoir Râjput ou portant en elles de fortes références au groupe dominant, renforce l'association entre l'espace physique et la royauté. Elle aura permis de produire - autant pour l'extérieur que pour la société locale - un ensemble de représentations à la fois réelles et symboliques, très souvent légendaires, de cette royauté

Ksatryia.

Aujourd’hui, ces représentations s'avèrent déterminantes en ce qu'elles fournissent aux membres de ce groupe une conscience historique supportant notamment aujourd’hui la mise en œuvre de stratégies économiques. Dès lors, les membres des anciennes familles régnantes et la noblesse Râjput font un usage de leur mémoire en mobilisant l’espace, dans un lien avec l'histoire et la tradition et dans le but de leur permettre de se présenter comme acteurs du territoire, acteurs dominants légitimés par leur pouvoir passé.

La présence du passé est alors omniprésente au sein du groupe. Elle est nécessaire pour sa « visée prospective » (Balandier G., 1992 : 25). Elle est d'autant plus évidente à mobiliser qu'elle est matérialisée dans l’espace et reconnue par tous, en dépit des contestations et des critiques portées par les groupes les plus discriminés dont elle est l’objet tout au long de l’histoire du territoire,

Dominante, visible, la mémoire Râjput imprègne la ville. Elle est d’autant plus affirmée et dynamisée par cet ensemble de contestations dont il s’agira de décrire les expressions142. C’est cette mémoire royale ainsi que les visions et matérialisations du passé auxquelles elle est associée qui participent à produire le territoire et qui constituent et nourrissent sa réputation.

L'usage d’une mémoire qualifiée de répétitive s'avère d'autant plus nécessaire pour les

Râjput, non seulement aujourd'hui mais à toutes les phases de l'histoire locale, que le

territoire est constitué d'une diversité sociale s'exprimant certes en fonction des principes définis par le système féodal, mais possédant néanmoins des ambitions - religieuses, politiques et économiques - différentes et souvent contradictoires avec celles des Râjput. Le territoire contient un ensemble de mémoires issues de la diversité sociale du lieu. Ces mémoires s'expriment également au travers de formes, de modes d’habiter et de pratiques spatiales. Les formes, en l’occurrence, matérialisent la présence et l’influence de groupes humains associés au territoire, participant de son identité et susceptibles de compter parmi les éléments mis en avant pour le tourisme.

En cela, elles sont constitutives d’un système territorial produit à partir d’une mémoire dominante, mais aussi dans le cadre d’un rapport de force avec d’autres groupes, formes spatiales et mémoires territoriales.

141 Nos entretiens avec les membres de la noblesse Râjput locale, ainsi qu’avec deux historiens (Dr Raj Shekar Vyas et Dr

Orvind Singh Rathore), ont permis d’obtenir une information relativement complète : le nombre des établissements référencés dépassent celui qui est fourni par l’Indian National Trust for Arts and Cultural Heritage, qui n’a fait l’objet que d’une étude partielle.

3 La production du territoire

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