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Un itinéraire marqué par une alternance entre isolement et ouverture

Le temple de Jagdish (Jagdish mandir) : figure centrale du religieux dans la cité

Document 18 Temps de trajet entre les principales villes reliées à Udaipur Sources : Indian Railways, 2003 ; N.B 2002)

2. Un itinéraire marqué par une alternance entre isolement et ouverture

La notion d’« itinéraire » est utilisée pour mettre en évidence l’ambiguïté de la position historique d’Udaipur vis-à-vis de l’extérieur. Roger Brunet souligne dans sa définition qu’« il en ressort des idées de pause, d’arrêts successifs » (Brunet R., Ferras R. & Théry H. (dir.), 1992 :285). Elle traduit aussi des mouvements contraires, des bifurcations, des changements de trajectoires qui caractérisent la situation de l’ancienne capitale du Mewar durant plusieurs siècles.

2.1 Un isolement lié à une longue période de conflits

L’enclavement qui caractérise Udaipur depuis sa fondation au XVIe siècle s’explique par

la conjoncture de la région dans laquelle elle s’inscrit, agitée de guerres incessantes depuis le IVe siècle. La région est en effet soumise à de profonds bouleversements territoriaux

avec l’invasion des Huns entre le Ve et le VIe siècle, puis la domination de l’Empire

Gupta, qui laisse place autour du VIIe siècle à des royaumes régionaux indépendants

dominés par des clans Râjput.

De constantes querelles internes aux États princiers Râjput, ainsi qu’un fort souci de parvenir à gérer les territoires sous contrôle au moyen d’une politique complète, contribuent au repli de ces royaumes, de leurs pouvoirs dirigeants sur eux-mêmes et à la limitation de leurs liens avec l’extérieur. Aux luttes inter-clans viennent s’ajouter les guerres de résistance que provoquent les invasions musulmanes débutées autour du XIe

siècle, relayées par celles des Marathes et des Scindia au XVIIe siècle qui remettent en

cause à plusieurs reprises les pouvoirs Râjput sur la région.

161 L’Inde bénéficie d’un réseau ferré très développé qui le rapproche de ce point de vue de nombreux pays riches.

Néanmoins, la vitesse moyenne du réseau et ses effets sur l’économie participent à le rapprocher d’autres pays en développement.

La création d’Udaipur prend place, dans ce contexte de guerre, en réponse à des exigences de protection et d’affirmation d’une suprématie.

L’isolement nécessaire de la capitale du Mewar est possible en raison des qualités de son site. Le choix par Udai Singh d’une situation au cœur d’un espace naturel enclavé pour installer sa capitale était avant tout contraint, répondant à des exigences de défense. Le site d’Udaipur aura ainsi permis la protection du cœur du royaume, incarné par la dynastie royale.

Le repli du pouvoir royal du Mewar dans son site induit un développement urbain limité, le noyau établi durant le règne d’Udai Singh (1537-1572) restant très peu étendu au cours de cette période (Meena N.N., 1966). À la mort de ce souverain et jusque vers 1620, date à laquelle les Moghols imposent leur domination sur le Nord de l’Inde et traitent avec les souverains hindous pour l’exercice du pouvoir dans la région, l’espace de la cité s’organise. L’édification de plusieurs pavillons du palais permet le développement d’une vie de cour, marquée tant par la gestion des affaires du royaume que par les fastes et les cérémonies de la couronne. Udaipur s’affirme comme le centre politique du royaume du Mewar.

D’une manière générale, toute la période qui précède l’invasion d’Udaipur par Aurangzeb en 1678, marquée par une paix relative, voit une phase d’expansion de la cité

intra-muros. Cela se traduit notamment par plusieurs autres extensions du palais royal,

l’édification du temple de Jagdish et l’établissement de familles de marchands entre le palais et le quartier actuel de Ghanta garh (Tour de l’Horloge). Cette première étape du développement de la cité confirme l’ouverture progressive du territoire, largement portée par le dynamisme des marchands qui se fixent peu à peu de manière permanente à Udaipur et contribuent à positionner la ville sur les itinéraires commerciaux de la région. Ce premier mouvement est freiné par l’invasion d’Aurangzeb venu du Nord puis par celle des troupes Marathes, venues du Sud. Cette période est marquée par un renforcement de la protection de la capitale royale qui se traduit par la construction de plusieurs forteresses aux abords de la cité. Malgré ces mesures, l’invasion des Marathes provoque de lourds dégâts ayant pour conséquence de ruiner le royaume. D’un point de vue démographique, cet affaiblissement du pouvoir royal se manifeste par une forte baisse de population, certainement liée au départ de nombreuses populations allant se réfugier dans des villes plus sûres. James Tod estime à 50 000 la population d’Udaipur en 1800. (Tod J., 1987 (1829), vol.I : 399).

Durant cette période de troubles, la relative fermeture de la cité - manifestée par la baisse de l’activité marchande et des relations entre les villes du royaume -, a été volontairement recherchée par le pouvoir politique qui apporte de constantes modifications à la défense de la place forte. Cette stratégie de fermeture - qui contraint les échanges et limite son dynamisme marchand - est aujourd’hui présentée comme ayant favorisé une période d’équilibre social et de développement culturel, dans les arts notamment.

Nul doute que cet isolement a profité aux souverains Râjput, limitant les influences extérieures susceptibles de remettre en cause leur domination. La permanente résistance face à des envahisseurs étrangers, en plus d’être celle d’une lutte pour le territoire, a été l’occasion pour les Ksatriya, d’affirmer leur domination à l’intérieur de la cité royale, parfois par la force et en revendiquant un rôle traditionnel de protecteur de la culture hindoue.

2.2 Un isolement à nuancer

2.2.1 Des liens avec l’extérieur déterminés par un contexte de guerre

Longtemps, le contexte de guerre a en partie déterminé le degré d’ouverture des royaumes princiers Râjput. Cette logique guerrière a donc été, durant plusieurs siècles, prédominante dans les relations - politiques ou économiques162 qui « s’étendaient à travers tout ce qui s’appelait le Râjputana et s’ouvraient largement […] sur l’Inde du Nord et du Centre » (Stern H., 1996 : 22). L’isolement d’Udaipur est donc à entendre dans un sens relatif : il n’exclut pas tout lien avec l’extérieur, mais en contrôle l’intensité et la diversité. En période de guerre, les échanges sont limités à ceux qui s’inscrivent dans le cadre des campagnes militaires.

Les influences des ennemis de la cour sont précisément à l’origine de la formation d’une culture composite, bien que dominée par des principes définis dans le cadre d’un système hiérarchique et féodal. À titre d’exemple, les invasions mogholes ont forcé les souverains

Râjput à céder à plusieurs reprises une partie de leurs prérogatives afin de maintenir leur

domination, ceci ayant conduit à l’intégration dans la société mewari de principes, de savoirs et savoir-faire directement hérités de ces groupes musulmans. L’assimilation d’éléments issus d’une culture islamique dans la société hindoue Râjput est un aspect important de l’histoire du Rajasthan longtemps - et souvent encore163 - passé sous silence. L’influence moghole dans les royaumes princiers hindous du Rajasthan est pourtant très nettement visible dans plusieurs domaines, en premier lieu au niveau du pouvoir royal, où elle se manifeste au travers d’éléments directement hérités du système politique des Empereurs musulmans. À partir du XVe siècle, en effet, l’administration royale hindoue

emprunte aux Moghols de nombreux éléments ayant trait à la gestion des affaires de la cour, en particulier le système de collecte des taxes sur l’espace du royaume par les

Zamindar, que les Râjput appellent ensuite Jagirdar. En outre, le darbar - cour royale qui fait

office de lieu d’audience - où sont prises toutes les décisions inhérentes à la vie sociale et économique dans les territoires administrés, occupe une place tout aussi importante dans l’organisation du pouvoir hindou : il est le cœur politique du royaume Râjput164. L’art et

l’architecture sont deux autres domaines où les influences mogholes sont très importantes. En architecture, les Moghols apportent des formes et des ornements nouveaux qui viennent affiner les édifices royaux. Dans le domaine des arts, la peinture se développe largement en Inde du nord au cours du XVIIe siècle. Comme tous les styles de miniatures

Râjput, l’École du Mewar emprunte beaucoup à la peinture moghole.

Tous ces éléments participent à influencer la culture Râjput, construite par assimilations successives des groupes les plus actifs parmi ceux qui ont traversé plus ou moins longtemps ces lieux.

162 Ces relations étaient souvent renforcées ou définies par des mariages entre des membres de clans différents et rivaux. 163 Une grande partie de l’histoire produite – et/ou cautionnée - par le pouvoir Râjput minimise cette influence. Voir à ce

sujet Sinha Kapur N., 2002 ou Chattopadyaya B.D.,1976.

164 Le darbar procède d’une organisation spatiale très précise fondée sur des principes - autant hindous que moghols - de préséance entre les nobles siégeant autour du souverain selon un ordre précis.

Pour le cas d’Udaipur, l’influence des Moghols peut d’autant plus être définie comme un mouvement d’ouverture qu’elle donne lieu à l’intensification des échanges marchands dans la région.

2.2.2 Des échanges commerciaux à l’échelle du Râjputana165

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