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Le développement des centres urbains du Rajasthan doit beaucoup au dynamisme des castes marchandes, autrement connues sous le nom familier de Baniya.

D’après B.L. Gupta, le terme Baniya renvoie à deux groupes. D’un côté, les marchands les plus importants installés dans les principaux centres de commerce du Râjputana, qui participent à une intense activité marchande à l’échelle du pays : ce sont les castes Seth,

Shah ou encore Kothiwal. D’un autre, des marchands plus modestes sont implantés dans

des grands centres de commerce comme dans de plus petites localités où ils exercent un commerce plus local. Ce sont les castes de Mahâjan* ou les membres de la communauté

Bohra*.

165 Durant la période historique à laquelle nous faisons référence ici, l’actuel Rajasthan était de plus en plus connu sous le

nom de Râjputana (Rajpootana, « la terre des rois »), correspondant à l’ascension politique des clans Râjput.

166 Varsa-Ritu-ra-Dola, n°183, v.19, F88, (hindi) ; Chandrakunwar-ri-Varta. Ces sources sont citées par GUPTA B.L., 1987. 167 Le Rajasthan était un lieu de passage important des routes commerciales très lucratives qui reliaient Europe et Orient.

Les sources épigraphiques relatent la présence du commerce et des échanges avant le XVIIIe siècle. Des marchands et des

banquiers venus de tout le pays se sont, semble-t-il, installés au Rajasthan (Gupta, B.L 1987).

Les membres de ces groupes sont en grande partie à l’origine de la constitution d’une économie moderne dans le Rajasthan (Cadène Ph., 1997 ; Stern H., 1982). En ce qui concerne Udaipur, les échanges commerciaux qu’ils établissent - dans le cadre des campagnes militaires Râjput et en marge de celles-ci - constituent globalement les seuls véritables liens de la ville avec l’extérieur.

Malgré une taxe commerciale prélevée sur l’activité marchande, une partie importante de ces échanges a toujours échappé au contrôle royal. La richesse du souverain s’est plutôt appuyée sur une rente foncière prélevée sur le territoire royal, relativement étendu et fortement dépendant de la capitale en matière de sécurité.

2.2.3 Les liens d’une capitale à ses territoires dans le contexte du royaume

Si le dynamisme économique qui caractérise la région influe sur le développement de la cité, Udaipur ne figure cependant pas parmi les centres de commerce les plus importants du Rajasthan. Ses liens économiques ne sont ni particulièrement intenses ni très réguliers si l’on se fie aux rares références qui sont faites sur la ville dans les études traitant du commerce dans cette partie du pays (Gupta B.L., Ibid.).

Les réseaux de relations qui convergent vers Udaipur concernent essentiellement l’intérieur du Mewar. Ces relations régulières, nécessaires au bon fonctionnement du royaume, reposent sur un système urbain fortement structuré et hiérarchisé depuis Udaipur.

Jusqu’en 1948, la cité occupe les fonctions administratives, politiques et économiques de capitale royale. Les mahârana successifs règnent à partir de la capitale sur un vaste territoire - le domaine de la couronne (khalsâ*) - sur lequel ils prélèvent des impôts récoltés par des Jagirdar*169. Ces membres de la noblesse installés dans les palais des tikhana*, capitales des jagir*, exercent le rôle de princes locaux chargés par le souverain de rassembler le revenu du royaume, qui se résumait essentiellement à une taxe sur le sol et des revenus douaniers sur le commerce.

Pour permettre de relier ces territoires subordonnés et la capitale au plus vite en cas d’urgence, le territoire du Mewar avait progressivement été structuré par une série de voies de communication dont l’usage était renforcé par la fréquence des caravanes de marchands ; des marchands qui contribuent notamment à connecter ces voies secondaires à des routes commerciales plus importantes.

L’activité économique qui résulte des réseaux d’échanges commerciaux a des effets sur l’espace local. Il contribue notamment à affirmer la ville non plus comme seul centre politique, mais peu à peu comme centre de services diversifiés. Les réseaux marchands stimulent par ailleurs l’activité artisanale par la fabrication de produits dans laquelle la ville se spécialise peu à peu. Udaipur devient par exemple un centre important de production et de vente de jouets de bois170 ou encore un centre incontournable de

169 Les territoires sur lesquels les Jagirdar étaient chargés de récolter l’impôt (jagir) étaient très variables, selon la confiance

que leur reconnaissait le souverain. À ce degré de confiance et de reconnaissance correspondait un statut. Les Jagirdar définissaient ainsi un groupe très hiérarchisé, hiérarchie que les titres de mahâraj, raj, rawat, rao et thakur traduisaient (ces titres figurent ici dans l’ordre hiérarchique).

170 La fabrication de ces jouets, initialement effectuée par les Khati, caste de charpentiers, n’existe plus aujourd’hui. Elle a

fabrication d’armes (épées, sabres)171 par des castes de Luhar - autrement appelés

Blacksmiths.

Du point de vue de l’espace urbain, cette dynamique d’ouverture se traduit par une spécialisation et une expansion des bazaar et des lieux de marchés agricoles.

- Certains métiers jusqu’alors peu visibles ou peu représentés dans la cité s’installent de manière permanente : ainsi les castes de Chhipa, spécialisées dans l’imprimé textile (tye-and-die) les Rangrej, teinturiers situés le long de Gangaur Ghat Road, des Gandhi, parfumeurs situés dans l’actuel bara bazaar, etc.

- L’expansion des marchés ruraux, d’abord disposés autour des portes de la cité, puis implantés au sein même de l’espace intra-muros, est un signe important de l’activité des lieux. La ville garde aujourd’hui des liens très forts avec l’espace rural environnant.

Ces processus contribuent à affirmer le rôle d’Udaipur comme centre de services pour sa région, aujourd’hui encore désignée par la population du nom de Mewar, contribuant en même temps à l’ancrer dans le territoire dans lequel elle s’inscrit.

2.3 Les voies de l’ouverture

L’isolement géographique d’Udaipur, atténué par un dynamisme économique émergent au cours du XVIIIe siècle, tend encore à s’amoindrir avec le déclin des Marathes,

définitivement vaincus par les Britanniques au XIXe siècle172, conduisant à une pacification du Râjputana et à une ouverture qui n’a cessé de s’affirmer depuis le XIXe

siècle. Le point de départ de ce mouvement d’ouverture est sans doute la signature du

Government of India Act, le 2 août 1856. Par cet acte, la Compagnie des Indes Orientales

(East India Company) transmet officiellement le pouvoir aux Britanniques. Le contrôle du pays est alors confié au Vice-roi des Indes qui décide de laisser aux souverains Râjput le pouvoir d’administrer leurs royaumes, à condition qu’ils acceptent de prêter serment d'allégeance à la Couronne britannique. L’autonomie attribuée à ces États indépendants prévoit dans le même temps un droit de regard de l’Administration britannique dans les affaires des royaumes, et la mise en place d’institutions et d’organismes de niveau national visant à stimuler leur développement économique.

Voulue et planifiée par les colonisateurs, cette politique repose - entre autres et à l’échelle de l’Inde entière - sur un souci d’améliorer l’accessibilité des espaces urbains qui permettrait une plus grande rapidité des échanges marchands. Ceci se traduit par une série de grands projets visant à doter l’ensemble du pays en infrastructures. Ces efforts se concentrent tout particulièrement sur la construction d’un réseau ferroviaire qui permet de supporter l’expansion industrielle et commerciale prévue tout en assurant un meilleur contrôle du territoire indien. Ainsi, de 300 kilomètres de voies ferrées en 1858, on passe à 8 000 en 1869, puis à 56 000 en 1914173. Dans le royaume du Mewar, la fin du XIXe

siècle est marquée par la mise en place d’un réseau ferroviaire reliant Udaipur à Chittaurgarh, ouvrage d’envergure en raison de la complexité du relief régional. En 1898,

171 Les techniques de ferronnerie et de gravure qui permettent la fabrication des sabres est héritée des Moghol ; il s’agit

d’un savoir hérité de la Perse.

Udaipur est aujourd’hui un lieu important pour les collectionneurs de ce type d’objets.

172 En 1822, la population de la ville est estimée à environ 10 000 habitants (Meena N.N. 1966). 173 Aujourd’hui, ce réseau représente plus de 63 000 kilomètres.

le prolongement vers Udaipur de la ligne Chittorgarh-Debari à l’issue du creusement d’un tunnel d’environ 100 mètres dans la montagne, représente un pas de plus vers l’intensification des échanges avec la partie est de la région. À ces efforts pour améliorer l’accessibilité de la ville vient s’ajouter la construction d’une route entre Delhi et Ahmedabad traversant Udaipur et une liaison routière avec les villes alentour, notamment en direction du sud vers Kherwara et du nord-est vers Chittaurgarh.

Dès lors, l’ouverture d’Udaipur semble reposer sur l’intensification de ses relations économiques avec les territoires voisins, notamment avec les grandes villes du pays que les colons britanniques contribuent à édifier. Elle est favorisée par la politique de planification dont les effets sur l’économie sont de plus en plus affirmés. Même si cette dernière n’avait pour seule perspective que celle d’ouvrir des marchés aux produits anglais, elle laisse à l’Inde de 1947 de nombreux atouts. Contrairement à d’autres pays sous domination extérieure, le contrôle économique colonial s’est effectué au travers de la mise en place d’un réseau de structures et d’infrastructures sur lesquels l’Inde indépendante peut, dans un premier temps, appuyer son projet de construction territoriale. En dépit de ces premiers pas vers une intensification des liens avec des territoires de plus en plus éloignés, la royauté hindoue est davantage soumise à des pressions politiques visant à amoindrir son pouvoir (Hurtig C., 1988). Confrontée à la montée d’un sentiment nationaliste visant à unifier le pays et à remettre en cause la présence britannique, elle met tout en œuvre pour réguler et contrôler ces relations.

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