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Le concept de territoire intéresse particulièrement l’approche géographique que nous proposons ici, qui étudie autant les aspects physiques de l’organisation de l’espace que ses dimensions sociales.

Le territoire décrit non seulement une réalité physique et administrative, mais aussi une réalité socio-économique, empreinte de l’appropriation matérielle et symbolique de la société. Le social participe de sa production et est donc au centre de sa définition. Selon Maryvonne Le Berre, « tout groupe social aménage un espace x qui devient un territoire y. » (Le Berre M., citée par Péguy C-P., 1984 :14). Dans cette perspective, « espace géographique, langue et accent, mémoire collective, histoire du groupe, relèvent de quelque chose comme une écologie sociale, substance de la socialité » (Barel Y., 1986 : 136) et substance du territoire.

Le territoire matérialise ainsi la combinaison des forces locales.

En tant que lieu privilégié de l’inscription des rapports sociaux, il est lié au politique, terme utilisé ici dans une large acception selon laquelle il désigne « l’ensemble des phénomènes qui ressortissent à l’organisation de la gestion et de la régulation collective de la société » (Prévélakis G., in Lévy J. et Lussault M. (dir.) ; 1996).

Par ailleurs, en tant que système local – on parlera de système territorial11 – ouvert ; il est le lieu de la coprésence entre local et global, celui où se matérialisent les effets de phénomènes globaux.

L’utilisation du concept de territoire permet ainsi de préciser la notion d’espace, plus générique, sans pour autant que celle-ci ne soit définitivement abandonnée12.

10 Notre approche prend en compte des événements qui relèvent de l’histoire et ont bouleversé le système social et

semblent aujourd’hui avoir une influence sur le fonctionnement actuel.

11 La définition de cette expression s’appuie sur les travaux de C. Raffestin :« Lorsque le géographe est confronté avec un

système territorial, il découvre une production déjà élaborée, déjà réalisée » (Raffestin C., 1980 :138).

Le territoire local est à entendre comme un système social localisé, spatialisé, c’est-à-dire inscrit dans un contexte spatial dans lequel il est sous-système pour des systèmes plus larges. Il est le cadre physique spatialisé de dynamiques sociales. Celles-ci définissent « un tissu d’évènements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas » (Le Berre M, in Péguy C-P., op. cit :21). Le local est non seulement une matérialité, dans laquelle habite l’individu et l’acteur social agit, à partir de laquelle elle s’identifie, établit des représentations et met en œuvre des stratégies d’appropriation et d’identification à l’espace.

Le territoire local est donc le lieu privilégié de l’observation des dynamiques les plus actuelles : niveau d’échelle pertinent pour l’étude d’un lieu, niveau privilégié de l’observation des processus sociaux, des stratégies et des représentations sociales et individuelles :il exprime et incarne le changement.

Le territoire, lieu du politique

Le territoire est « un terroir de stratégies soumis à des phénomènes de domination, de centralisation et de décentralisation, à des forces économiques, à des idéologies et à l’exercice de pouvoirs divers, susceptibles de le modifier selon l’histoire » (Raffestin C., 1980 :131). Dans l’ouvrage Pour une géographie du pouvoir, duquel est extraite cette citation, Claude Raffestin distingue ce qu’il appelle « la maille concrète », le territoire dans lequel se reconnaît une société, de la « maille abstraite », définie par l’emprise d’un pouvoir qui ne correspond pas forcément à la maille concrète.

Le concept de territoire local permet d’établir des correspondances entre des pratiques territoriales et des pratiques politiques. Guy Di Méo exprime cette relation (Di Méo G., 1991) dans une réflexion sur le concept de territoire local mettant en avant sa dimension politique. Celle-ci s’avère véritablement opératoire dans notre recherche :

« Quels que soient les rôles respectifs de la nécessité économique et les contraintes géographiques dans la genèse des territoires locaux, on ne saurait ignorer la part que les facteurs d’ordre politique ont prise dans leur formation. En quoi, les phénomènes politiques – au sens de domination de certains acteurs ou groupe d’acteurs sur les hommes et sur l’espace – en quoi l’idéologie, comprise comme l’ensemble des croyances, des idées, et des représentations propres à une formation sociale, contribuent-ils à forger des territoires qui constituent autant d’enracinements géographiques pour l’individu.

[…] Si l’instance économique propre à toute formation sociale fournit l’impulsion première des fondations territoriales, elle requiert quasi simultanément pour assurer son organisation et autoriser sa régulation, l’intervention d’un pouvoir politique, émanation des rapports sociaux de production dominants, qui assume la protection du groupe, garantit et prend en charge en son sein, l’exercice de la justice, décide des options à retenir quant à ses destinées. ».

(Di Méo 1991 :220, 223).

Dans le contexte d’Udaipur, le politique est longtemps dominé par la présence et la prégnance du pouvoir royal Râjput, qui affirme sa domination sur le territoire au travers

d’un modèle territorial, imposé à tous. Celui-ci joue un rôle déterminant dans la production d’une singularité territoriale liée au politique . Le modèle territorial :

« stabilise, dans un moment historique donné, un agencement légitime qui organise et dispose les réalités sociales en des lieux et places bien définis […]. Il met en exergue des emblèmes territoriaux des paysages et d’autres fractions signifiantes (espaces de vie plus ou moins valorisés), ainsi que des pratiques sociales, des « idées » et des valeurs censées manifester des « caractères territoriaux ». Il exprime à sa manière l’identité spatiale d’un espace d’intervention particulier :le territoire (du) politique. Cet ensemble n’advient pas nécessairement de façon pleine et entière à la conscience des protagonistes en tant que modèle territorial formalisé de l’action. Il se voit porté sur la scène politique par les récits et les figures que toute politique spatiale élabore et médiatise. Instrument au service de l’autorité légitime, il est présent dès que l’espace est invoqué, car aucun acteur politique ne peut agir s’il ne possède pas une vision, fût-elle rudimentaire, à la fois rétrospective et prospective, de l’espace d’actes »,

(Lussault M., in Lévy J. et Lussault M., 2003 :917-918).

Cette définition est tout à fait opératoire dans le cadre de ce travail en ce qu’elle questionne le pouvoir comme composante de la production territoriale en mettant en scène le temps, à la fois présent et historique, l’espace comme haut lieu - emblème - comme outil de stratégies émanant de l’action et comme lieu support de l’identification sociale. Elle introduit et souligne ainsi la dimension sociale des processus spatiaux, les relations et les réseaux sociaux qui sont eux-mêmes constitutifs du territoire, insistant sur l’idée que le territoire est un construit social.

Le territoire local, produit des rapports sociaux

Le concept de territoire contient une autre idée fondamentale dans le contexte de l’explication géographique des dynamiques territoriales : lorsque Bernard Kayser utilise l’expression « énergie consciente », il fait référence à la société et à son action dans la ville. La vision de l’auteur dépasse les limites de la discipline pour inscrire son discours géographique au cœur de celui des sciences sociales en alléguant l’idée que les forces sociales constituent la dynamique du territoire.

La conception du territoire s’approche de celle de Bernard Kayser, à laquelle nous nous référons : le territoire n’est pas partout, il n’est pas « un morceau de nation voire de région mais une dynamique de coordination d’acteurs. » (Kayser B., 1990 :39).

Le territoire local est ainsi le lieu d’inscription des rapports sociaux selon Alain Touraine et comme le précise Yves Barel, « le lieu pertinent de l’action du sujet », dans lequel il « doit pouvoir éprouver le sentiment, fondé ou non, que ce lieu (géographique ou social) donne sens à son existence ou à son action […]. » (Barel Y., 1986 :135).

Cette dimension du concept de territoire local insiste sur les notions d’action – donc d’interaction – :celles des relations entre différents groupes, les réseaux qu’ils définissent et les éléments qui donnent lieu à ces actions. Ainsi, par l’approche que nous proposons « un espace local peut donner lieu à des constructions sociales très variables, allant de la simple coexistence à la constitution d’entités collectives complexes intégrant des référents identitaires, entités que l’on peut appeler territoires. ». (Grossetti M., 1995 :23).

Le sociologue Alain Bourdin, dans son article « pourquoi la prospective invente-t-elle des territoires ? » (Bourdin A., 1994), distingue trois types de territoires : le territoire- compétence, qu’il définit comme étant un ensemble de lieux qui contiennent une activité (économique) ou un quelconque pouvoir (politique, judiciaire ou administratif). Le second est le territoire-patrimoine, qui sert de support à une action et qui dans le même temps, la justifie, car le territoire est une ressource en lui-même, « un bien dont on a hérité », un bien commun qu’il s’agit d’utiliser et en le mettant en valeur, en l’exploitant et en le préservant. Enfin, le territoire-projet qui, selon lui, « fait référence à la promesse d’un espace imaginé au préalable en réponse à des préoccupations ou des objectifs précis. » (Haddab N., 1995 :9).

Ces définitions permettent de placer le local dans la perspective des actions qui le spécifient. Elles insistent sur les dimensions matérielles et/ou idéelles, collectives et/ou individuelles qui, ensemble, fixent cet élément spatial.

C’est au niveau local que le sens de territoire prend toute sa force et acquiert ses caractères propres et ses « principes actifs ». Le local se pense et se comprend comme un lieu vivant, un lieu qui possède des caractères singuliers, des prédispositions au développement économique. Le développement d’activités est l’enjeu principal des localités. Il se produit par la matérialisation des rapports sociaux, propre à l’organisation des individus et des groupes. Alain Lipietz exprime cette position dans un entretien retranscrit dans la revue « Géographie Economie Société » et suggère d’étudier la manière dont « […] les rapports sociaux créent la matérialité, la substance même de l’espace un peu comme chez Einstein, c’est la présence de la matière, du champ, qui crée l’espace. » (Lipietz A., 1999 :222).

Ceci nous amène logiquement à préciser ce qui définit le social dans le contexte du territoire local, objet forgé par l’action :groupe, individu, sujet, les notions qui se réfèrent aux hommes, à leurs liens au territoire et aux dynamiques sociales qu’ils génèrent. La réflexion suivante de Frank Auriac et Roger Brunet et les coauteurs de l’ouvrage « Espace. Jeux et enjeux » (Auriac F. et Brunet R. (dir.), 1986) souligne l’intérêt d’étudier les mouvements du territoire à partir de la notion d’acteur. Cette notion sera précisée et développée dans la suite du texte. La définition suivante permet de définir le cadre général dans lequel s’inscrit cette réflexion :

« Les espaces sont structurés. On peut se représenter les systèmes de force par lesquels des populations les créent et animent, les remodèlent et les changent. L’analyse de ces systèmes permet d’identifier les acteurs et leurs interactions. Les acteurs sont l’individu, la famille, le groupe, l’entreprise, la collectivité locale, l’Etat. Ils œuvrent dans des milieux et sur des milieux qu’ils modifient en agissant. Le système local est un système d’interactions entre des forces productives, mis en oeuvre par ces acteurs, régulé par ses propres rétroactions et par un système de "gouvernement" plus ou moins présent. […] Tout système local est un système ouvert, sensible à l’environnement général, et qui échange avec lui une part de ces forces :la situation géographique de l’espace considéré est l’un des déterminants fondamentaux de son système et de sa structure. Les formes locales spatialisées sont en nombre quasi-illimité et se reconnaissent à plusieurs niveaux d’organisation ».

Le territoire local se pense et se comprend donc comme un système complexe, inscrit au sein d’échelles spatiales et temporelles emboîtées. L’évolution permanente dans la structure et dans les fonctions du local s’exprime dans une double dimension temporelle : le local est une organisation en mouvement, inscrite dans le temps global et qui possède à la fois un temps qui lui est propre ; « un temps intrasystémique et un temps de la succession des systèmes » comme l’écrit François Durand-Dastès (Durand- Dastès F., 2000)13. Le territoire se construit ainsi par une combinaison d’une pluralité de temporalités ou de rythmes, « associant les différentes strates de son histoire et l’actualité de sa création et de son utilisation » (Valette E., 2002 :38). Il implique tout autant plusieurs échelles spatiales, locales, régionales, nationales et mondiales qui participent de sa singularité, de sa production et de son organisation.

Cette réflexion amène à s’intéresser au concept d’acteur en tant qu’agent producteur de territoire. Ceci implique une approche spécifique, centrée sur le local. Le choix de ce niveau d’échelle tient avant tout d’un double positionnement théorique et méthodologique.

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