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Les hauts-lieux de la mémoire dynastique : dimensions religieuse et politique de la domination Sisodia

Une légitimité religieuse et politique assurée par les Brahmanes et un ancrage territorial légitimé par les Bhil.

2 La production du territoire par la royauté

2.2 Les hauts-lieux de la mémoire dynastique : dimensions religieuse et politique de la domination Sisodia

Outre une référence générale au Mewar dans son ensemble et aux formes physiques qui définissent ce territoire, la mémoire dynastique des Guhila, constitutive de l’identité du clan Sisodia qui lui succède lui donnant sa légitimité, repose sur l’existence de hauts-lieux. Les places fortes, lieux où siègent successivement les pouvoirs militaire et administratif

Râjput, rassemblent les éléments qui fondateurs des valeurs et des principes politiques et

religieux, matérialisés dans toutes les cités Râjput par la présence de temples qui représentent de manière plus ou moins directe la divinité tutélaire de la dynastie. Si c’est à Eklingji que les assises religieuses Guhila trouvent leur expression la plus aboutie, d’autres lieux, comme Nathdwara, prennent part à système royal dans le cadre d’un patronage religieux. Parmi les autres hauts-lieux constitutifs de cette mémoire Râjput figurent ceux des grandes batailles et affrontements avec les nombreux ennemis (mlechha) qui ont menacé la suprématie Guhila au plus tôt de sa conquête. Ces lieux sont ceux où se sont distingués les guerriers Sisodia, les « grands hommes » du royaume auxquels sont attribués le statut de demi-dieux.

Les haut-lieux de la mémoire Râjput matérialisent donc un système aux références culturelles diverses mais cohérentes, basées sur les éléments dominants de la société qu’elle vise à contrôler : le pouvoir et le religieux, deux des composantes fondamentales d’un processus s’appuyant sur un territoire en permanente recomposition suite aux déplacements successifs des capitales du Mewar et sans cesse nourri de nouvelles influences culturelles. Ainsi, le territoire Guhila - qui deviendra le royaume du Mewar - possède-t-il plusieurs centres symboliques, chacun étant lié à une période de l’histoire de cette dynastie.

2.2.1 Nagda, première capitale du Mewar

Parmi les capitales successives du Mewar, Nag(a)da revêt une dimension symbolique importante pour les Sisodia. Première capitale du Mewar lorsque la dynastie Guhila migre de la région d’Idar, Nagda est fondée par le quatrième souverain de la dynastie, Nagaditya (626-646),un chef de guerre dont le nom signifie « le Seigneur des serpents 128 ». Capitale du Mewar entre le VIIe et le VIIIe siècle, sa population atteint

environ 8 000 personnes et devient un centre marchand. Faisant face à de nombreuses attaques des troupes du Sultana de Delhi, le pouvoir Râjput se déplace vers Chittor, qui dispose d’une forteresse. La ville est finalement dévastée au cours du XIIIe siècle par le

Sultan Iltutmish (1211-1236). Il ne reste aujourd’hui de cette cité que les deux temples Sas et Bahu mandir, « temple de la belle-mère », et « temple de la belle-fille », restaurés depuis quelques années et qui tendent à être intégrés aux circuits touristiques du Mewar.

2.2.2 Eklingji, principal centre religieux du Mewar

Le complexe de 108 temples qui compose le site d’Eklingji est situé à 22 km d’Udaipur, dans l’actuel village de Kailashpuri. Les sources épigraphiques datent sa construction à 971. Le sanctuaire actuel est censé avoir été érigé sur le lieu de la rencontre entre Bappa Rawal et le rishi où siégeait déjà la divinité. Ainsi matérialise-t-il encore aujourd’hui le point central du religieux, que le représentant officiel de la dynastie Sisodia visite régulièrement (chaque lundi) pour assurer sa traditionnelle fonction de diwan* d’Eklingji. Construite en granit et en marbre, l’image de la divinité est une forme de Siva à quatre faces, chacune représentant un dieu hindou.

Ahar Nagda Nathdwara Kumbhalgarh Chittaurgarh Vallabh Nagar 0 25 50Km

Anciennes Tikhana (Jagir)

Anciennes capitales royales du Mewar Limites du royaume du Mewar

Unités territoriales actuelles

Eklingji Chittaurgahr

Eklingji, lieu de l'origine dynastique

Girwa

Bhilwara

Chittaurgarh

Dungarpur

Girwa Provinces du royaume du Mewar

Bhilwara

2.2.3 Ahar

Ahar - ou Aghatpur -, revêt une importance de premier ordre dans la relation entre les

Râjput Sisodia et leur territoire. Son site aurait d’abord été celui d’une ville appelée

Tambavatinagar, dont l’origine date d’environ 4 000 ans (Sankalia H.D., 1988 : 7), avant d’être choisi pour l’emplacement de la capitale royale du Mewar (Tod J., 1987 vol.1 (1829): 620), entre 951 et 1229. Le colonel James Tod présente le cours d’eau autour duquel la ville a été construite comme ayant donné naissance à la civilisation d’Ahar (ibid.). De nombreuses excavations dans la région ont montré la présence d’installations humaines permanentes datant de plusieurs milliers d’années et témoignent d’une activité commerciale dynamique.

Le nom de Tambanagari est changé par celui d’Anandpur, « la ville heureuse », puis par celui d’Ahar, qui aurait donné son patronyme au clan des Guhila : Aharya. Selon les croyances populaires et les sources épigraphiques (Aghatpur Inscription, Kumbhalgarh

Inscription parmi d’autres, citées par Sinha Kapur N., 2002), la cité ancienne de

Tambavatinagar aurait été détruite par une éruption volcanique provoquant de tels chocs que la terre aurait été creusée sur de grandes étendues, ce qui aurait facilité, plus tard, la construction de lacs dans la zone. Ces affirmations n’ont néanmoins jamais été confirmées par des géologues et semblent en partie relever du mythe.

Ce site est d’autant plus important pour la mémoire dynastique qu’il abrite, depuis la mort du mahârana Amar Singh I (1597-1620), les cénotaphes royaux (Mahâsati), édifices érigés en l’honneur des anciens souverains Râjput Sisodia qui se sont succédés à la tête du royaume de Mewar. Construits lorsque Chittor a été abandonné, ces cénotaphes commémoratifs sont installés pour assurer la crémation des mahârana, des membres de leurs familles et de certains nobles. Ils sont faits de marbre blanc extrait des mines de Rajnagar et sont surmontés de chhattri - dômes - éléments architecturaux caractéristiques d’une architecture hindoue composite.

Lorsque Nagda était la capitale du Mewar, Ahar était un important centre de pèlerinage129 connu sous le nom de Gangodbhav Tirtha, qui renvoie à l’environnement naturel de ces lieux encaissés. Le site se trouve aujourd’hui inscrit dans l’espace municipal d’Udaipur.

2.2.4 Chittaurgarh

Chittaurgarh130 troisième capitale de la dynastie Guhila, est le lieu légendaire du pouvoir

Râjput qui y installe le siège de son administration durant huit siècles. Son nom est

Chittaurgarh, - Elle revêt une importance d’autant plus grande qu’elle a subi de nombreux sièges, a été détruite à plusieurs reprises, chacune des défaites donnant lieu au

jauhar ou rite de la sati, « crémation des veuves131 », ce qui n’est pas sans ajouter à sa valeur symbolique. Elle est la première forteresse où siège le pouvoir Râjput et est

129http://mewarindia.com/ency/indexency5.html

130 -garh signifie « forteresse » 131 Voir note 36.

certainement héritée d’un royaume vaincu dont Bappa Rawal s’est approprié la place forte. Pour des besoins de continuité et dans le souci de respecter la tradition architecturale, le style de son palais a servi de modèle pour construire Nau-chauki, sur la colline de Moti-Mahal, premier édifice royal d’Udaipur, abandonné depuis. Dans les principes architecturaux du palais royal d’Udaipur, on retrouve de nombreuses références à celle du palais de Chittaurgarh, qui représente une sorte d’apogée de la culture Râjput. A ces anciennes capitales s’ajoute Haldighati, lieu de la bataille opposant le mahârana Pratap et l’empereur moghol Akbar, dont le chef de guerre, Man Singh, était Râjput. Au cours de cet événement central dans l’histoire du Mewar, Pratap fut sauvé par son frère. Disséminés dans un espace limité dont Udaipur est aujourd’hui non seulement le centre géographique mais aussi le principal noyau urbain, ces hauts-lieux de la culture royale définissent un système spatial dont le lien est l’histoire et la mémoire Râjput : une mémoire largement empreinte de représentations liées à l’entreprise territoriale Sisodia.

Ceci est confirmé par une série d’entretiens effectués auprès de plusieurs membres de la noblesse Râjput d’Udaipur (4 d’entre eux sont des proches de la famille royale). En effet, alors qu’il s’agissait de mettre en évidence les éléments qui, selon eux, définissaient l’identité d’Udaipur, les enquêtés se sont souvent référés de manière très élogieuse au territoire du Mewar et plus spécifiquement aux anciens lieux du pouvoir Guhila/Sisodia. Cette réaction, qui n’étonne pas si l’on considère notre double position de chercheur étranger et de touriste (voir partie introductive), est tout à fait remarquable et se vérifie auprès de plusieurs interlocuteurs, notamment un historien reconnu dans la région : Orvind Singh Rathore. Diplômé d’un doctorat d’agriculture et d’un doctorat d’histoire (Jodhpur University), au cours d’un entretien conduit le 19 décembre 1998, dans l’hôtel dont il est le propriétaire (Ram Pratap Palace Hotel), Dr. O.S. Rathore livre une histoire romancée des événements du royaume, détaillant les différents sièges de Chittor et les rites sati qu’ils ont entraînés :

« L’histoire du Mewar est faite de fastes, de fêtes et de festivals (…) Tout peut être décrit dans ces trois mots, les événements les plus glorieux de l’histoire, la combinaison des identités, l’organisation spatiale d’Udaipur. De nombreuses personnes sont mortes pour nous laisser vivre aujourd’hui. Ils ont fièrement bravé tous les dangers, pour atteindre un développement culturel sans pareil »,

(O.S. Rathore,19.janvier1998).

Mahâraja Bhim Singh Shivrati, de clan Sisodia, à propos des lieux de la ville qui, selon lui,

sont les plus évocateurs de son identité, se réfère lui-aussi indirectement à l’histoire du royaume :

« Mon nom compte parmi les plus importants de cette ville. Nous sommes de la même famille que le mahârana. J’ai grandi dans un haveli tout près du City Palace : avec Eklingji, c’est bien sûr le lieu qui compte, ici. Je ne vais plus très souvent aujourd’hui au palais, à part lors des grandes occasions, mais dans ma jeunesse, nous étions souvent invités. Je continue d’aller à Eklingji, pour rendre hommage au Dieu et puis à Chittor parfois aussi. Udaipur a bien changé depuis mon enfance ; je reste actif, malgré mon âge, pour permettre à mes enfants de comprendre notre culture […], celle du Mewar »

(Entretien, 12 janvier 2002).

Ces deux exemples montrent combien l’identité actuelle des plus hautes sphères de la société Râjput d’Udaipur s’appuie sur une mémoire à la fois temporelle et spatiale qui s’étend au-delà du passé récent de la construction d’Udaipur et au-delà de la localité. Il faut se placer à ce niveau d’échelle pour comprendre le processus de production territoriale. Ces mêmes lieux se sont aujourd’hui inscrits dans un réseau de lieux touristiques, associés à la culture Râjput. Ce type de réseau affirme, ainsi, dans un contexte nouveau, le lien historique entre Udaipur et ces lieux.

Le Mewar est présenté comme étant le support d’une culture ancienne et puissante dans le contexte touristique et il est mis en scène à partir des vestiges architecturaux des lieux de l’ancien pouvoir.

2.3. Udaipur, dernière capitale du Mewar : les figures spatiales du

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