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1 Du territoire dans la Nature

1.3 L’eau et le lieu

Le choix de l’édification d’une capitale royale par des souverains Râjput de caste hindoue

Ksatryia répond à des impératifs stratégiques parmi lesquels la présence d’eau figure au

premier plan. Avant tout autre fonction, l’eau a permis l’irrigation des nombreuses terres cultivées de la région et l’alimentation en eau potable d’une population qui n’a cessé d’augmenter jusqu’à aujourd’hui. Malgré les difficultés actuelles liées à des infrastructures peu fiables et souvent inadaptées - problème récurrent dans les villes indiennes - cette ressource a été un élément déterminant pour l’établissement et le développement d’une activité humaine dans cette région du Girwa. Dans ces terres souvent déficitaires en eau, cet espace bénéficie d’une position privilégiée. Il reçoit non seulement les pluies de mousson provenant de l’Océan Indien, mais aussi celles de la baie du Bengale. Reste que cette ressource est très souvent insuffisante pour répondre aux besoins de l’agriculture et pour alimenter une population en permanente augmentation.

Par conséquent, la population d’Udaipur accorde à l’eau un vif intérêt.

1.3.1 Exploitation efficace d’un réseau hydrographique

La rivière Ahar, principal cours d’eau qui alimente Udaipur et sa périphérie immédiate, prend sa source près du village de Gogunda, où elle est connue par les habitants sous le nom de Ahar-ki-Nadi55. Elle coule en direction du sud-est, passe le village de Bedla, jouxte des limites communales nord nord-est d’Udaipur pour aller se jeter dans le lac artificiel d’Udai Sagar en vue d’assurer l’irrigation de la région au travers d’un complexe système d’alimentation et d’approvisionnement en eau.

Au sortir d’Udai Sagar, Ahar coule en direction du nord-est où elle prend le nom de Berach. Dans le district de Bhilwara, elle rejoint la Banas, l’une des rivières les plus importantes de la région. Non loin de cette zone se trouve la ligne de partage des eaux entre la vallée du Gange et la mer d’Arabie.

La plupart des nombreuses petites rivières de la région ne sont pas pérennes, coulant principalement durant la saison des pluies, qui s’étend généralement entre les mois de juin et d’août. Pendant ces périodes, leur activité érosive est importante, tout comme leur charge sédimentaire.

Le lit de la rivière Ahar semble s’être lentement déplacé au cours du temps, constituant de multiples terrasses et creusant une légère dépression franchissable sans mal en dehors de la saison des pluies, s’identifiant ainsi du reste de la plaine dans laquelle elle est inscrite. Aujourd’hui modeste par sa taille, ce cours d’eau a été déterminant pour le développement économique de la région. Son lent mais puissant travail d’érosion a permis à son lit de constituer un sol agricole parmi les plus favorables du Rajasthan.

55 Littéralement, la rivière Ahar. Ce nom renvoie à un site archéologique ancien, datant du 2ème millénaire avant J.-C.

En outre, l’eau de cette rivière a pu être canalisée afin de mettre en œuvre un système ancien de stockage et de distribution, inédit dans d’autres régions de l’Inde56.

1.3.2 Un dispositif ancien

La ville d’Udaipur s’est développée autour de deux lacs artificiels, Pichola Sagar et Fateh Sagar, qui couvrent à eux deux une superficie d’environ 6,39 km2 (Agrawal 1979) et

communiquent par l’intermédiaire d’un canal appelé Swaroop Sagar. Ceux-ci, antérieurs à la fondation de la ville, relient Udai Sagar 57, lac situé à l’est et à celui de Bari (surnommé Tiger Lake) à l’ouest, par des courts d’eau intermittents.

Ce système permet de pallier les irrégularités climatiques (chaleurs excessives et sécheresses, faible pluviosité) particulièrement désastreuses en certaines saisons58. Ce système n’est qu’un des éléments d’une série de nombreux ouvrages permettant le relais et le stockage de l’eau, participant à une véritable culture de la gestion de cette ressource, utilisée non seulement pour l’alimentation des villes, villages et pour l’agriculture, mais aussi dans l’industrie d’extraction minière, activité économique importante de la région (voir chapitre 3).

Le lac de Dhebar (également appelé Jaisamand), situé au sud-est d’Udaipur, d’une superficie d’environ 72,5 km2 est le plus vaste de ces ouvrages d’eau. Il est dominé à

l’ouest par des collines qui s’élèvent à environ 600 m d’altitude. Sur ses berges est se dresse un imposant barrage de 36,6 m de long et d’une capacité d’environ 20 000 m3

alimentant le lac. Ce monument architectural a été construit par le mahârana Jai Singh II entre 1685 et 1691, au travers d’une rivière permanente, la Gomti. Celle-ci relie le

Jaisamand Lake lac au Som Amba Kamla Talav59, qui fait office de frontière entre le district

d’Udaipur et celui de Dungarpur.

Ce lac est alimenté par un réseau hydrographique relativement dense, formé par les cours d’eaux Jamri Nadi, Tiri Nadi et Sarni Nadi, qui prennent tous trois leur source parmi les hauteurs des Aravalli et coulent en direction du sud. Leur cours afflue ensuite vers les rivières plus importantes que sont la Som et la Jakam et rejoignent la rivière Mahi qui se jette dans le golfe de Cambay, sur le littoral de l’actuel Gujarat.

Le système hydrographique reliant les lacs artificiels de Jaisamand et d’Udai converge ainsi vers la ville d’Udaipur qu’ils alimentent par l’intermédiaire de ses trois lacs (Fateh, Swaroop et Pichola). Dans sa forme actuelle, ce dispositif est le résultat de travaux successifs débutés au XVIe siècle. Les sources historiques - notamment les Annals and

Antiquities of Rajputana de James Tod (Tod 1829 op.cit.), la très célèbre histoire du Mewar

connue sous le nom de Vir Vinod (Shyamal Das) et les récits des bardes (Charan*) - s’entendent pour attribuer l’initiative de la construction du lac artificiel de Pichola à un marchand de grains de caste Banjara*. Ce marchand aurait pris l’initiative de mettre en place un barrage en travers d’une retenue d’eau proche du village de Pichola, dans le but de permettre à ses caravanes et aux nombreux transporteurs de grains et de produits de

56 Outre les grands ouvrages du Sud précédemment cités, le lac de Rajsamand, situé dans le district du même nom, au

nord de la ville de Kankroli et à 67 km d’Udaipur, assure une fonction similaire pour sa région. Plus ancien que le lac de Jaisamand, construit entre 1662 et 1676 par le mahârana Raj Singh I afin de trouver une solution pérenne à une succession de famines, il est le plus ancien des ouvrages de ce type.

57 Ce lac artificiel a été construit par le Rana Udai Singh entre 1559 et 1565 et couvre une superficie de 4,1 km2.

58 La mousson est très peu abondante ces dernières années ; l’été 2004 n’a pas permis de remplir les lacs de la ville, comme

c’était jusqu’ici généralement le cas.

traverser la rivière Ahar et ainsi d’intensifier les relations entre deux zones trop peu accessibles jusqu’alors.

Le petit barrage à l’origine de la formation de cette retenue artificielle, d’abord modeste, fut renforcé un siècle après sa construction par un ouvrage connu sous le nom de Badi Pol60. Le mahârana Udai Singh (1542-1572) à l’origine de ces travaux, élargit dans le même temps le lac qui couvre aujourd’hui une superficie d’environ 3,81 km2 et le baptisa du

nom du petit village riverain, Pichola61.

En 1678, le mahârana Jai Singh fit creuser un autre lac au nord du premier. Celui-ci submergea le principal jardin de la ville, Sahelion-Ki-Badi62, si bien que le mahârana suivant, Fateh Singh, construisit une digue permettant de maîtriser son étendue. Ce lac porte ainsi aujourd’hui son nom : Fateh Sagar.

Les retenues d’eau de la ville sont donc le résultat d’un souci permanent des groupes qui se sont succédés au sein de cet espace d’assurer les besoins de la terre et des hommes. Tous sont intégrés à un système d’alimentation en réseau, reliant ainsi le site d’Udaipur à la région environnante.

1.3.3 Culture de l’eau

Le système d’alimentation en eau, composé de petites rivières, de lacs et d’ouvrages architecturaux qui bordent certaines retenues, est un élément essentiel au développement de l’activité humaine dans la région. Il compte parmi les composantes de l’espace naturel d’Udaipur auxquelles les habitants font fréquemment référence et qui occupent une place importante dans l’histoire du territoire, plus précisément dans celle de la dynastie royale fondatrice de la ville.

Aucun de ces éléments n’aurait vu le jour sans une culture de l’eau. L’importance de cette ressource pour le territoire s’exprime d’ailleurs par la présence d’ouvrages architecturaux imposants, lieux symboliques dont il s’agira d’approcher les principales caractéristiques dans la suite de ce travail.

Nombreux sont les ouvrages et les dispositifs dédiés au stockage de l’eau de pluie qui possèdent une forme architecturale singulière. Sur l’ensemble du Rajasthan et du Gujarat tout particulièrement, ils sont partie intégrante du milieu naturel, occupant une place importante dans le processus social d’identification à ces territoires63.

D’envergures et de formes très diverses, ils permettent l’irrigation des terres et assurent les besoins de la population de nombreux villages, dont les réseaux de distribution d’eau - potable ou non - sont, dans certains cas, absents. L’irrigation est primordiale pour l’économie régionale. Dans le seul district d’Udaipur, la superficie totale nette des terres irriguées s’élevait, en 1980, à plus de 40 % des surfaces cultivées.

60 Cet ouvrage fait aussi office de porte de la cité fortifiée.

61 Cet événement est très souvent relaté très brièvement dans les livres d’histoire de la région, sans aucun détail précis, ce

qui semble s’expliquer par le fait qu’il se réfère à une période au cours de laquelle les Râjput n’étaient pas directement implantés dans ces lieux, bien qu’administrant le territoire depuis leur capitale Chittor.

62 Sahelion-ki-Badi signifie littéralement “Jardin des jeunes filles de l’honneur”. Il a été créé par la famille royale et lui a

longtemps appartenu avant d’être cédé à l’État lors de l’intégration du royaume à l’Union indienne.

63 Cet aspect sera développé au cours du deuxième chapitre de cette partie. Pour de plus amples détails sur les traditions

de l’eau dans le Rajasthan, voir MISHRA A., 2000 Traditions de l’eau dans le désert indien, les gouttes de lumière du Rajasthan. (ouvrage traduit par Annie Montaut). Les références complètes figurent en bibliographie de fin.

Les réservoirs constituent la seconde plus importante source d’irrigation, après le système d’alimentation constitué par la série de lacs reliés entre eux par un système d’alimentation souterrain. Les réservoirs de Vallabhnagar et de Bagolia comptent parmi les ouvrages d’eau les plus importants du Nord-ouest indien, où ils figurent en nombre important, témoignant d’une véritable culture de la gestion de l’eau. Environ 80 % de l’eau utilisée pour l’irrigation des terres agricoles provient des puits et des réservoirs64.

Par ailleurs, les ghat, « escaliers », lieux de religion importants pour les hindous, occupent à Udaipur un rôle primordial d’interface entre l’eau et la ville. Ils abritent de nombreux temples, sont utilisés pour les rites d’ablution et de purification, mais aussi pour le bain et la lessive. En effet, de nombreuses femmes s’y rencontrent et viennent s’y baigner. Ils sont aussi les lieux centraux lors du festival de Gangaur65, au cours duquel la population s’y concentre pour assister aux processions qui ont lieu dans le lac Pichola.

Les ouvrages liés à l’eau, qu’ils aient été ou soient encore aujourd’hui associés à une fonction spécifique pour la gestion de cette ressource ou qu’ils soient des lieux de sociabilités urbaines et, à ce titre, des marqueurs de l’espace local, comptent parmi les principales singularités du territoire d’Udaipur. Ces ouvrages remplissent les mêmes fonctions d’irrigation et d’alimentation que par le passé, malgré les outrages du temps qui ont immanquablement altéré leur état. Ils continuent de symboliser l’identité territoriale, leur rôle et la matérialité de chacun de ces éléments possédant une dimension à la fois symbolique, esthétique et écologique66.

64 Même s’ils sont plus nombreux dans les affluents des rivières où le niveau de l’eau est élevé en raison de la percolation et

où les puits ne sont pas nécessairement très profonds. Des charas rahat, « puits persans » sont de plus en plus utilisés dans tout le district d’Udaipur pour acheminer l’eau depuis les profondeurs du sol.

65 Gangaur est formé de gan, qui renvoie à la divinité Siva et gaur, à la déesse Parvati, sa compagne, à laquelle sont associés

les symboles de joie conjugale et de bonheur marital. Le festival célèbre l’union et l’amour entre Siva et Parvati, honorant ainsi le mariage.

66 L’ouvrage traduit par Annie Montaut : Mishra Anupam, 2000, même s’il décrit des pratiques et usages en vigueur dans

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