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La production du territoire par la dynamique sociale locale

Une légitimité religieuse et politique assurée par les Brahmanes et un ancrage territorial légitimé par les Bhil.

3 La production du territoire par la dynamique sociale locale

Udaipur a avant tout été construite pour être une capitale royale (Raja-dhani). En vertu de ce statut et de cette fonction, les groupes humains se sont initialement installés selon les besoins de la cour et en respect des principes hiérarchiques définis par la tradition hindoue. S’il est primordial de reconnaître la royauté comme le principal moteur du passage d’une économie villageoise au système socio-économique fortement hiérarchisé de la cité (Racine J-B 1993 : 26), cet espace s’est néanmoins constitué à partir de nombreuses pratiques sociales spatialisées et de la multiplicité des usages d’un lieu.

Le territoire d’Udaipur est le produit de forces sociales hétérogènes. Des principes hindous servant à la planification de la cité sont ainsi appliqués par la royauté, sous les conseils des institutions religieuses locales. A ce titre, la structure de la cité d’Udaipur répond, dans ses fondements théoriques, au modèle d’organisation théorique fixé par les principes hiérarchiques propres à la société hindoue : l’installation des principaux marqueurs du territoire, palais royal et temple tutélaire constituent des centres depuis lesquels s’organisent les groupes humains en fonction de leur profession et du statut que leur confère leur appartenance à une caste.

La forme de la cité répond donc avant tout d’un modèle théorique auquel se sont agrégés de nombreux éléments « périphériques » participant à définir un ordre plus nuancé. Comme toutes les normes indiennes compilées dans des recueils de textes - les Sastra - qui régissent toute la vie sociale et culturelle du monde indien, il est important de noter que la réalité observée apparaît bien plus complexe que ces théories ne le prévoient en aucune manière figée ou « dépourvu[e] de souplesse » (Barazer-Billoret M-L. et Fezas J., 2000.). L’application de la norme est d’ailleurs une dimension importante de la compréhension du monde indien : « la norme, aussi omniprésente qu’elle soit, n’est pas stérilisante ; c’est même son omniprésence qui, l’obligeant à ménager des ouvertures, constitue une source de créativité » (Ibid).

Ainsi, le territoire de la cité apparaît comme une entité sans cesse recomposée au cours du temps, qui porte l’empreinte de la société dans toute sa diversité, tout en restant fortement organisée autour du City Palace et autour du principal temple de la ville, le Jagdish mandir. Udaipur est ainsi créée dans la tension entre pouvoir et société, sans que ces deux institutions ne s’opposent pour autant. Ce territoire est le produit de la dynamique sociale.

C’est autour du processus social de production de la cité qu’il convient maintenant de réfléchir, en décrivant les éléments et les processus composant cet espace, qu’ils s’inscrivent dans le passé ou dans l’actualité de cet espace urbain.

3.1 Une organisation spatiale héritée d’un modèle normatif hindou

La construction d’Udaipur a, tout comme l’enceinte royale, été établie à partir d’un

yantra* utilisé pour la planification urbaine, en respect du Mandala Vastu Purusha, qui

détermine les axes et les orientations de la cité, leur attribue une fonction et un référent divins.

Ce yantra fixe la ville aux points cardinaux :

- L’Est fait référence à Indra, le roi des Dieux, généralement représenté sur un éléphant royal ;

- le Sud, à Yama, dieu du Dharma et de la mort ;

- l’Ouest représente Varuna, défenseur de la Loi Universelle,

- le Nord se réfère à Brahma, le Créateur, ainsi qu’à Kubera, dieu de la richesse et de la renommée ;

- le Nord-est fait référence à Soma, dieu de l’immortelle ambroisie ;

- le Sud-Est à Agni, dieu du feu, et le Sud-Ouest à Nirrtti, déesse de la destruction, et enfin ;

- Le Nord-Ouest se rapporte à Vayu, dieu du vent dans le panthéon hindou.

Le respect de ce yantra est matérialisé, à Udaipur, par la présence de temples aux quatre points cardinaux, à partir desquels « la terre est transfigurée et consacrée.» (Albanese M., 1999 : 14).

Le document suivant propose une illustration du mandala Vastu Purusha qui a servi de modèle théorique à la structure initiale de la cité d’Udaipur.

Udaipur est planifiée à partir de ce modèle théorique. Le corps représenté évoque celui de tout humain, supporté par les dieux principaux du panthéon hindou. L’orientation de chacun des dieux guide celle de l’espace.

Ce mandala définit ainsi les règles du « bon ordre urbain », se référant aux fondements philosophiques de la société hindoue, théoriquement divisée en cinq varna*, puis en jati* et

up-jati*, groupes endogènes hiérarchisés dont les rôles et fonctions vis-à-vis de l'ensemble

de la société définissent un degré de pureté et une localisation dans l'espace143.

143 Le monde de la caste repose sur un système traditionnel qui structure la société et modèle l’espace : à chaque jati

correspond traditionnellement une localisation dans l’espace et un degré de pureté. Originellement, c’est la profession qui définit la caste et qui associe le groupe à un statut rituel au regard de l’hindouisme.

3.1.1 Société des castes144 et Vastu à Udaipur

Il n’est pas ici question de généraliser une spécificité du monde indien qui s’avère toujours délicate à appréhender145 en raison de son caractère mouvant et des spécificités qu’elle exprime selon les lieux et les époques. Il convient néanmoins de proposer une définition de la caste qui permette de présenter le modèle social qui a longtemps prévalu dans l’organisation de la cité d’Udaipur et qui se pose aujourd’hui encore comme un aspect déterminant des relations sociales et individuelles.

Selon la pensée hindoue, chaque caste est initialement liée et associée à une profession. Elle détient théoriquement l’exclusivité d’un métier ou d’une fonction sociale, même si la compétition entre les castes, dans le domaine de la profession, soit une dimension déterminante de la définition des groupes, à toutes les périodes de l’histoire. La caste définit aussi - et en conséquence - un ensemble de valeurs et de pratiques : chacune de ces divisions de la société est caractérisée par des règles strictes en matière religieuse, dans l’exercice de rites domestiques, mais aussi dans le respect d’un régime alimentaire ou encore matrimonial, et enfin dans les règles de mariage. L’appartenance à une caste confère aussi – et avant tout peut-être – un statut religieux, fondé sur la fonction exercée vis-à-vis de l’ensemble de la société et auquel correspond une localisation privilégiée dans l’espace.

3.1.2 Une organisation socio-spatiale théorique

Selon la pensée ancienne de l’hindouisme, la division de l’espace en fonction des groupes sociaux d’appartenances différentes permet d’organiser spatialement une société en fonction des corporations, professions et en respect du principe religieux fondamental du

Dharma. Cette division induit nécessairement une ségrégation spatiale. Dans la pratique,

ce principe semble avoir permis de limiter les possibilités de mouvements sociaux émanant des basses castes. À Udaipur, la cité est divisée en quartiers, appelés mohalla, gali, ou encore pol146.

144 Le terme de caste est ici employé dans le sens de celui de jati. Cette précision semble nécessaire en raison du fait que le

mot caste est souvent utilisé indifféremment pour celui de varna ou de jati.

-Varna signifie « couleur » et fait référence à une division védique de la société en quatre groupes, selon les parties du corps de Brahma desquelles ils sont censés provenir.

-Jati correspond à une division de la société en de nombreux groupes.

Il n’existe pourtant pas de contradiction entre les deux termes, notamment en raison du fait que nombreux sont les groupes qui se définissent par leur varna plutôt que par leur jati. Il est donc délicat de résoudre le problème de l’utilisation de ces deux termes hors du domaine linguistique indien que posent de nombreux auteurs et qui rend la question de l’appartenance sociale souvent difficile à clarifier ou à préciser. Pour plus de détails, voir notamment Béteille André. 1971. Caste, Class and Power. Changing patterns of stratification in a Tanjore Village. Berkeley, Los Angeles, London : University of California Press, 238 p.

145 La caste peut être considérée comme une séparation culturelle plutôt que comme une véritable et simple hiérarchie au

sein de la société sans cependant nier la validité d’une hiérarchie basée sur la pureté rituelle, si bien qu’il semble souvent difficile de se prêter à toute généralisation. Nombreux sont les auteurs qui, après Louis Dumont, ont participé aux débats inhérents à cette division de la société

Ces quartiers sont nommés d’après une caste particulière, celui de la divinité d’un temple ou encore d’après le nom d’une famille147. Il est important de remarquer que, logiquement, le modèle hiérarchique qui a prévalu à la formation de la cité d’Udaipur a davantage constitué une référence théorique qu’il n’a été appliqué de manière stricte. Les adaptations au modèle tiennent avant tout à l’absence de projet précis de planification, à l’exception de celui de l’enceinte royale et des principaux axes reliant le palais au lac Pichola, au Jagdish mandir et permettant de sortir de la cité intra-muros.

En outre, les caractères du site, orientant la morphologie urbaine, sont à l’origine d’une organisation spatiale spécifique, liée à la morphologie du site. Enfin, fonctionnant en interdépendance avec de nombreux métiers qui assurent des activités de service pour la cour, le pouvoir Râjput a lui-même justifié un certain nombre d’adaptations aux principes, attribuant des rôles et reconnaissant des statuts sociaux plus ou moins importants à des groupes en fonction de l’utilité qu’ils pouvaient représenter pour la cour.

En conséquence, les processus d’urbanisation et de stratification sociale apparaissent-ils à Udaipur de manière plus complexe que les textes normatifs ne le prévoient.

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