• Aucun résultat trouvé

2 Topographie symbolique

2.1 Conceptions du milieu naturel dans le monde indien

Dans le monde indien, l’espace semble avant tout exister à travers une vision imprégnée par la tradition hindoue ancienne. Cette influence est présente malgré la diversité des croyances religieuses et des principes philosophiques constitutifs de la société. À Udaipur, la vision du monde est d’autant plus liée à l’hindouisme que le divin est incarné par le souverain royal, figure englobant ainsi la totalité des référents religieux et symboliques. Les premières références au milieu naturel apparaissent dans un corpus de textes émanant des Aryens, des hymnes rendant hommage aux forces de la nature. Ces textes forment le Rig Veda Sanhita, l’une des plus importantes œuvres de la philosophie et de la mythologie ancienne de l’Inde. Les autres Veda72 lui sont postérieurs et lui font souvent référence.

D’une manière générale, la pensée de l’Inde ancienne conçoit les éléments du milieu physique comme des manifestations de réalités sacrées inscrites dans un mouvement continu et infini. Ils participent d’un même mouvement général qui contribue à l’équilibre de l’Univers (Eliade 1957). Les dieux présentés dans le Rig Veda tels Varuna, Indra, Agni, Rudra ou Vishnu, ne peuvent être distingués des éléments naturels qu’ils représentent. Dans ce corpus de textes, il n’existe pas de limite nette entre l’objet divinisé du culte et les dieux.

Les Brahmana73, qui complètent les premiers Veda, font sans cesse allusion à ces hymnes anciens et viennent enrichir les conceptions des premiers textes en se démarquant de cette pensée naturaliste.

72 Veda : le terme signifie littéralement « savoir ». C’est le Savoir par excellence, la Révélation. Les textes qui le constituent

se divisent en quatre groupes : Rig Veda, Yajuyrveda, Sâmaveda et Atharvaveda. (Biardeau M. 1995).

73 Les Brahmana rassemblent une autre série de textes védiques « voués à l’herméneutique et à la liturgie ». Ils initient les

Dans les Aranyaka74 et les Upanishad75, écrits ultérieurs, apparaissent des fondements philosophiques sur lesquels l’hindouisme s’est rattaché.

Les poèmes épiques du Ramayana et du Mahâbhârata mettent en scène des dieux et accordent une plus grande place à des créations romantiques et à des actions d’êtres mortels emplies de symboles qu’à des références aux principes initiaux de la vie.

Dans les Purâna76, enfin, les mythes présents dans les textes védiques semblent oubliés. Ils

ne font pas grande place aux éléments de la nature. Les dieux présentés sont ambivalents, leurs associations à l’un ou l’autre des éléments de la nature évoluent au fil des textes sacrés ou hymnes. Ceci n’est pas sans complexifier l’analyse individuelle des figures symboliques de la nature.

Le fondement naturaliste de la pensée ancienne de l’Inde est donc net au travers de ces textes. Ils ne mettent en scène ni ne décrivent l’espace en tant qu’ensemble de composantes naturelles, ne soit explicitement mis en scène et décrit. L’hindouisme, fondé à partir de ce corpus philosophique, ne peut donc pas être considéré comme un seul culte des puissances de la nature. Ananda K. Coomaraswamy explique qu’il s’en rapproche uniquement dans la conception Natura naturans est Deus77, c’est-à-dire dans la mesure « où les dites puissances ne sont rien d’autre que les noms des actes divins » (Coomaraswamy A., 1949 (trad.) :14). Les forces de la nature ne sont ainsi pas vénérées en tant qu’actes divins, mais « parce qu’elles sont des hiérophanies, parce qu’elles « montrent » quelque chose qui [est] […] le sacré, le ganz andere78 […]. En manifestant le sacré, un objet

quelconque devient autre chose, sans cesser d’être lui-même, car il continue de participer à son milieu cosmique environnant. […] Pour ceux qui ont une expérience religieuse, la Nature entière est susceptible de se révéler en tant que sacralité cosmique. Le Cosmos dans sa totalité peut devenir une hiérophanie. » (Eliade M., 1965 (1957) :17).

La multiplicité des symboles et de leurs significations trouve aussi son origine dans les nombreuses croyances qui émanent de l’hindouisme lui-même, pour lequel il est important de comprendre que « l’unité du principe contient la pluralité » (Ibid.). Ceci explique en partie l’existence de constantes dans le symbolisme de la nature et sa multiplicité, dominée aujourd’hui encore par le système de pensée hindoue.

La société indienne actuelle, construite à partir de ces influences, exprime cette pluralité dans laquelle il est néanmoins possible d’identifier des tendances générales, observées particulièrement dans le cas d’Udaipur, eu égard à sa monarchie historique.

L’hindouisme « élargira la notion de brahman (la puissance surnaturelle), l’approfondira, passant du « méta-ritualisme » de ces textes védiques à la métaphysique proprement dite » (Varenne J., 2002:104).

74 « Le terme âranyaka («forestier ») est donné à une classe de textes védiques destinés à être étudiés par les novices

brahmanes à l’écart des lieux habituels où l’enseignement théologique était dispensé, […] dans la forêt » (Varenne op. cit. :54). Les Aranyaka contiennent une doctrine du sacrifice qui annonce celles qui sont contenues dans les Upanishad, puis dans la métaphysique médiévale.

75 Les Upanishad regroupent des chapitres qui constituent des traités consécutifs aux Veda. Pour une description plus précise,

voir notamment Jean Varenne (Varenne J., op. cit. : 298).

76 Purâna : : groupe de textes appartenant à la tradition hindoue. Ils racontent les origines mythiques de l’Humanité, et de

l’histoire indienne. Ils contiennent l’ensemble des informations que tout hindou doit savoir pour agir correctement en toute circonstance (Biardeau M., 1995).

77 « La nature naturelle est Dieu ». 78 « Le tout autre ».

Outline

Documents relatifs