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Conclusion de la partie

Partie 2 Les figures de la mise en tourisme

d’Udaipur :

Du projet touristique Râjput

à la mise en place d’une économie culturelle

Introduction

En s’appuyant sur les analyses précédemment menées sur des dynamiques endogènes et exogènes qui contribuent à définir le territoire d’Udaipur, l’ambition de cette deuxième partie est de décrire l’émergence du phénomène touristique dans la ville, c’est-à-dire le développement et la structuration d’une offre économique qui s’appuie sur des pratiques touristiques des lieux, et d’en présenter les dimensions économiques, sociales et spatialisées.

Il s’agit en premier lieu d’étudier le processus social de mise en tourisme du territoire en essayant de comprendre les logiques qui co-agissent pour définir et structurer une offre touristique dans la ville, et pour stimuler la fréquentation des touristes. Cette démarche est conduite avec une attention toute particulière pour les acteurs du développement touristique, et leurs rapports au territoire. C’est en effet l’interaction entre des hommes et un territoire qui induit la pratique touristique et produit une économie liée au tourisme. Cette interaction consiste en la mobilisation d’éléments du territoire, et à leur utilisation à des fins économiques.

L’observation se placera à différents niveaux d’échelles en vue d’observer les actions qui président à la mise en tourisme d’Udaipur. Si l’émergence d’une économie touristique dans la ville résulte de combinaisons entre des processus divers, à la fois dans leur nature, dans leurs influences et dans leur origine territoriale, elle est portée par les acteurs.

Une analyse du processus de mise en tourisme nécessite donc de privilégier une étude des forces qui définissent la localité, lieu de l’inscription et de l’articulation des rapports sociaux (Touraine A., 1973 ; 1992). Dans cette perspective, la localité est aussi « le lieu pertinent de l’action du sujet […] dans lequel il (le sujet) doit pouvoir éprouver le sentiment, fondé ou non, que ce lieu (géographique ou social) donne sens à son existence ou à son action. ». (Barel Y., 1979: 37).

L’hypothèse est qu’à Udaipur, ce processus relève en grande partie des initiatives de quelques membres de clan Râjput qui se distinguent comme les pionniers du développement touristique. Ces derniers contrôlent en effet le patrimoine local, ils sont associés à sa construction et notamment à celle de certains hauts lieux. Propriétaires de fait d’un certain nombre de formes spatiales emblématiques de la cité d’Udaipur, ils occupent aussi un rôle de premier plan dans l’imaginaire de ce territoire forgé par les Britanniques.

Cette hypothèse en induit une autre : eu égard à leur domination historique sur le système social et dans le contexte de la construction d’une économie moderne à Udaipur, l’implication des Râjput dans le développement touristique est une manière pour ces acteurs de s’assurer la permanence de leur domination par le transfert d’un pouvoir politique à un pouvoir économique. Dans quelle mesure le développement touristique est- il envisagé par ces acteurs comme un élément susceptible de permettre la continuité de leur maîtrise du territoire d’Udaipur, assurant un transfert de pouvoir du domaine du politique à celui de l’économique ? Quels sont les membres des clans Râjput locaux qui s’engagent dans le processus de développement touristique ? Selon quelles modalités se définit leur action ? Par la mobilisation de quels éléments et de quels types de réseaux ?

Enfin, quels sont les protagonistes participant à cette dynamique qui revêt, dès son origine, une dimension mondiale, dont la visibilité locale suscite un intérêt grandissant (notamment parmi les membres de castes commerçantes et de Brâhmanes locaux), et dont l’enjeu nécessite aux Râjput de s’associer avec d’autres acteurs ?

Telles sont quelques-unes des questions auxquelles nous tenterons de fournir des éléments de réponse au cours de cette partie.

Afin d’observer sur quelles bases ces groupes assoient leurs stratégies économiques, il s'agira dans un premier temps de comprendre quels sont les fondements locaux de la pratique touristique urbaine et de son économie. Le tourisme induit en effet une reconnaissance du territoire et de certains groupes humains qui suscite - pour la constitution d’une offre économique et comme réponse à une demande - u n e réévaluation des lieux par des acteurs, une emphase de ses éléments physiques et symboliques, naturels et humains.

La mise en exergue de certains éléments du territoire trouve son origine dans les interactions entre des acteurs locaux et des agents extérieurs, ayant le plus souvent eux- mêmes perçu le potentiel économique que pourrait constituer la valorisation touristique du territoire, comme cela a tout particulièrement été le cas pour les représentants de la couronne Britannique ayant été envoyé en séjour prolongé pour contrôler les affaires des princes durant la suzeraineté.

Ces liens s’inscrivent dans le cadre de préoccupations complémentaires qui impliquent le territoire.

Du côté des acteurs locaux, ils concernent le plus souvent le domaine économique et répondent en même temps à une volonté de reconnaissance sociale, reconnaissance que comble en partie le regard extérieur.

Du côté des acteurs extérieurs, le territoire émerge d’une « production culturelle » qui résulte d’une lecture spécifique des lieux, faisant apparaître l’espace physique et les groupes sociaux comme un ensemble d’éléments singuliers susceptibles de constituer une ressource à valoriser. Les lieux se trouvent alors parés de ce que Stephen Britton (Britton S., 1991) considère comme des « qualités intangibles », mettant en avant « les attributs distinctifs des lieux en termes de qualités environnementales et de consommation culturelle » (Kearns G. & Philo C., 1993 : 12).

Cette réflexion sur le tourisme, les hommes et le territoire conduit ainsi à s'interroger sur l'héritage d'Udaipur, la manière et les moyens de sa mobilisation.

A Udaipur, l’économie que sous-tend le développement touristique au cours des années 1950 repose avant tout sur un imaginaire des lieux où domine largement l'image des princes Râjput. Cela ne signifie pas que tous les Râjput soient concernés par l’économie touristique, mais plutôt que ce processus de reconnaissance favorise leur participation à l’économie du tourisme, dans la mesure où la culture de ce groupe est le principal motif touristique et l'image des mahâraja qu'ils véhiculent ou à laquelle ils sont associé nourrit dans une certains mesure tous les habitants de la ville, leur identification au territoire local et plus largement au Rajasthan.

Dans la même période, débutée peu après l'Indépendance et surtout affirmée lors de la perte des privilèges accordés par le Gouvernement aux anciens membres de la noblesse princière, l'héritage Râjput devient le support principal d'une économie touristique qui fait l'objet d'initiatives pionnières dans plusieurs anciennes cités royales, ce qui explique en partie le retentissement au travers duquel s'est opérée la mise en tourisme du pays des rois.

La mise en exergue de certains familles de nobles dans le cadre de leurs luxueuses propriétés structure une hôtelerie spécifique s'avère ainsi particulièrement adaptée à la réutilisation des anciens édifices royaux. De même, les moeurs et les habitudes alimentaires des Râjput en font des hôtes particulièrement adaptés aux pratiques des touristes étrangers, souvent peu amateurs d'un régime végétarien trop long213. Ces initiatives sont peu à peu relayées par celles d’entrepreneurs issus de castes marchandes et de Brâhmanes, dont la réussite est rendue possible par la maîtrise des lieux, des liens et de savoir-faire supportant des activités économiques rentables.

La définition du patrimoine local et plus largement, celle de la ressource territoriale214, semblent donc, à la lumière de ces initiatives, devoir être considérées dans la diversité des acteurs en présence, en fonction de leurs conceptions de ces éléments et de leur capacité à pouvoir être mobilisés à des fins touristiques. La mise en tourisme d’Udaipur précède la spécialisation de certaines parties de la ville dans l’économie touristique, mise en oeuvre sur la base du projet touristique Râjput. Il convient donc d’appréhender et de décrire les différentes facettes du processus de spécialisation du territoire dans le tourisme. La spécialisation touristique est définie par la concentration, au sein de la localité d’activités économiques. Celle-ci est liée au développement du phénomène touristique, traduit par la présence de touristes dans l’espace – pratiques spatiales – et par des pratiques de consommation engagées par le séjour touristique, et par la découverte du territoire. Cette spécialisation économique s’effectue au sein d’un espace structuré selon des principes hiérarchiques mis en évidence dans la première partie (chapitre 2). Ainsi, le développement touristique rencontre-t-il le territoire dans toute la complexité de ses dynamiques sociales. Cette rencontre participe ici à générer une économie fortement associée au territoire, dont les activités et les biens économiques contiennent de « forts attributs esthétiques et sémiotiques. ». (Scott A.J., 1997, 2000). Cette partie s’attache donc à définir les conditions d’émergence de l’activité touristique comme moteur de l’économie d’Udaipur. Elle vise à montrer comment ce domaine d’activités se maintient et se développe en puisant dans les ressources patrimoniales locales. Elle conduit ensuite à souligner et à préciser cette dimension culturelle de cette économie.

L’étude du processus de mise en tourisme interroge par ailleurs les rapports de pouvoir qu’entretiennent entre eux les acteurs pionniers du développement touristique à Udaipur, la manière dont chacun d’entre eux, qu’il agisse en tant qu’individu ou dans le cadre d'un groupe d'appartenance, contribue à induire des transformations dans l’espace physique et dans la logique économique à l’oeuvre dans la ville.

La réflexion proposée dans le cadre de cette deuxième partie s’organise donc en trois chapitres, liés à la perspective évolutive du phénomène touristique à Udaipur et de son inscription dans le territoire.

Le chapitre 4 engage l’étude du processus de mise en tourisme. Il a pour objet d’examiner les fondements du projet touristique mené par certains membres de clans Râjput en lien avec les phénomènes qui rendent possible sa définition.

Ces phénomènes, nombreux, sont à étudier à des périodes différentes de l’histoire récente d’Udaipur, et à plusieurs niveaux d’échelles :

213 Dans une large mesure, les plus hautes castes hindoues sont végétariennes. Les Râjput n’ont aucune restriction dans ce

domaine. La consommation d’alcool est également très répandue parmi ce groupe.

- Mondiale, où ils résident dans l’origine du développement du tourisme mondial ; - Nationale, puisque la politique définie depuis l’Indépendance a participé à stimuler

l’initiative d’entrepreneurs privés, prolongeant l’autonomie des territoires royaux et affirmant ainsi la permanence de membres de l'ancien pouvoir princier;

- Régionale, à l’échelle de l’ancien royaume, où les actions pionnières des Britanniques en séjour dans le Mewar ont largement contribué à l’établissement des premières initiatives et des premiers réseaux touristiques ;

- Locale et Supra locale enfin, où la présence d’un ensemble d’éléments physiques, la prédominance des Râjput et leur stratégie sont les déterminants de la mise en tourisme.

Ce chapitre analyse les initiatives Râjput qui se définissent autour du développement touristique. Il fait apparaître la manière dont certains membres de ce groupe sont parvenus à tirer avantage d’un contexte favorable et à rallier les initiatives d’acteurs extérieurs – premiers touristes et acteurs de la promotion touristique internationale – en mobilisant des éléments physiques, des lieux et des liens, autant d’éléments fondateurs de la culture et du territoire Râjput.

L’ensemble de ces initiatives est appréhendé dans le cadre d’un projet touristique. L’utilisation du terme « projet», dans ce contexte, définit l'existence :

- D'une régularité dans les éléments mobilisés pour le tourisme : mémoire collective, édifices architecturaux anciens, ces actions participent de la mise en avant d’éléments communs : mémoire collective, éléments matériels, etc. ;

- D'une cohésion sociale parmi les acteurs Râjput, qui appartiennent souvent au même clan, à une même lignée familiale ; cette cohésion induit le partage de principes, de valeurs communes au groupe. Elle est parfois le motif de collaborations, d’associations ou d’entraides plus ponctuelles entre acteurs ;

- De conflits, dimension intrinsèque de toute relation sociale, qui préside tout particulièrement à la définition et à la dynamique de ce groupe215.

Le chapitre 5 a pour objet de décrire le processus de développement touristique à partir des figures territoriales sur lesquelles il s’appuie. En vue d’étudier la spécialisation touristique du territoire, il tente de définir les centralités contenues dans le territoire, révélées ou produites par le tourisme. Ces centralités sont définies sur une base matérielle ou symbolique, selon que le processus de développement économique s’appuie sur la matérialité du territoire ou sur le symbolisme qui lui est associé. Elles sont aussi définies sur une base économique, sociale, voire les deux.

Le chapitre 6 propose tout d’abord une typologie de l’offre touristique permettant de rendre compte des activités définies comme relevant du tourisme. Il s’attache à caractériser chacune de ces activités, productrices de biens et services touristiques. De cette analyse découle une forte convergence de l’économie touristique vers la culture, phénomène mis en évidence par Allen J. Scott pour le cas des grandes métropoles mondiales, mais qui s’applique aussi dans d’autres lieux. C'est ce qu'il s'agit de montrer à partir du cas étudié.

La dynamique touristique culturelle observée à Udaipur amène à observer une diversification entre les éléments mobilisés et définis comme appartenant au patrimoine local ; cette dernière permet d’émettre l’hypothèse d’un lien étroit entre le développement touristique et production de patrimoine. Le processus de patrimonialisation constitue le support à une multiplication de produits et services touristiques résultant eux-mêmes d’une hausse de la fréquentation observée depuis la fin des années 1980. Nous questionnerons ensuite les forces qui entraînent un changement dans la nature des produits touristiques et dans leurs références. A mesure que de nouveaux lieux dans la ville émergent/s’affirment comme des lieux touristiques, structurant une offre et s’insérant dans les nombreux réseaux de promotion, la production patrimoniale semble être au centre des préoccupations de certains acteurs. Ceci implique qu’il existe, au sein de la sphère des acteurs du tourisme, une relation entre la survie du tourisme, l’innovation économique, la production et la valorisation du patrimoine.

Qu’en est-il de cette relation ? Au-delà des seules perspectives économiques, la production d'héritages, forçant l’émergence de nouveaux attributs et de nouveaux imaginaires territoriaux, ne conduit-elle pas à la remise en cause de la domination, symbolique et effective, des Râjput qui s’exprime jusqu’à aujourd’hui, dans la nature des produits et des services touristiques ?

Initiée au travers du processus de spécialisation du territoire dans le tourisme qui accorde à l’économique une place centrale, la réflexion sur les dynamiques touristiques pénètre alors le champ du social et du politique, pour questionner les fondements identitaires de la production de patrimoine. Il conviendra alors, en guise de conclusion à ce chapitre et à la lumière des éléments soumis à l’analyse, d’évoquer les raisons qui président à ce mouvement de production de patrimoine. Ceux-ci semblent résulter de deux objectifs : l’un visant à répondre aux exigences d’un domaine d’activité fragile et fluctuant ; l’autre – émanant de groupes spécifiques qu’il s’agira d’identifier – ayant pour ambition d’affirmer leur participation aux dynamiques du territoire, en tentant de lutter contre la high-culture, que Pierre-Michel Menger citant une auteure américaine, définit de la manière suivante :

«La haute culture, note Janeth Minihan, fournit une base de légitimation pour les élites, parce que les arts symbolisent un pont entre le riche et le pauvre, et fait usage d'influences morales et éducationnelles. Ils ont aussi une valeur économiques parce qu'ils présument l'attrait touristique et jouent partout un rôle dans les efforts des villes en stimulant la croissance commerciale.216». (Menger P.-M.,

1994 : 190).

Les réflexions qui structurent cette partie seront ensuite soumises à l’analyse plus approfondie des actions et des stratégies d’acteurs locaux engagés dans la dynamique touristique. Cette démarche est envisagée, encore de loin, comme permettant la mise en évidence de la manière dont les héritages du territoire mobilisés pour le tourisme en tant qu’éléments matériels – des lieux ou des formes spatiales – et immatériels – des savoirs et des savoir-faire – est bien ce qui fait fonctionner le système touristique d’Udaipur, qu’il soit visible et donc « consommé » directement par les touristes, ou mobilisé en amont, c’est-à-dire dans la définition des stratégies et des liens économiques.

216 « High culture, Janeth Minihan notes, provides a base of legitimacy for (…) elites because the arts symbolizes a bridge

between the rich and the poor, and exert moral and educational influences. They also have economic value as they are presumed to attract tourism and play a role in the efforts of cities everywhere to stimulate commercial growth (_). ».

Chapitre 4

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