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Les grands traits du principe concentrique proposé par le modèle du Vastu peuvent être observés aujourd’hui dans l’organisation théorique qui a prévalu à la construction et au développement historique de la cité d’Udaipur (document 14).

Bien que les premières pierres fondant Udaipur aient été posées en 1559, il faut attendre 1561 pour que le pouvoir Sisodia régnant sur le Mewar s’installe dans le site actuel du centre de la cité royale. L’espace est alors entouré de forêts et de zones agricoles.

Une première muraille circulaire est érigée, d’une circonférence de 6,3 km, afin de protéger le palais et les édifices composant la ville royale. Au sein même de l’espace défini par ces murs, la partie habitée occupe, au cours des premiers siècles de l’existence de la cité, une petite zone située au nord. Le palais constitue grossièrement une limite sud à l’occupation humaine, au-delà de laquelle figurent des terres cultivées. L’absence d’installation humaine dans la partie sud du palais s’explique par l’association entre cette orientation géographique et Yama, dieu des morts.

Initialement, les castes et les communautés qui peuplent l’espace s’organisent globalement de manière concentrique selon un gradient allant de la plus pure à la moins pure. Largement théorique, cette organisation définit néanmoins un principe fondateur. Il est nécessaire de le présenter car, malgré l’existence d’une réalité bien plus complexe et de changements sociaux qui ont permis une recomposition sociale, il reste majoritairement la norme et marque l’espace social de la ville actuelle.

Au cœur de la cité : les hautes castes hindoues

Les plus hautes ou les plus respectées par leur influence - souvent économique et relationnelle - dans le territoire, occupent l'espace immédiatement proche du palais ou du

Jagdish mandir. Cette zone est ainsi définie par les demeures de la noblesse royale (haveli).

147 C’est par exemple le cas de Kothari-ki-gali, situé dans une rue adjacente à Jagdish Road et dont le nom se réfère à une

famille de marchands Jaïn dont les descendants restent propriétaires des lieux. Ces espaces, pourtant très différents entre eux sont le plus souvent composés d’une ou plusieurs demeures principales et de leurs dépendances, quartiers subordonnés destinés à loger les serviteurs.

Les Brahmanes sont regroupés dans le quartier de Bhatiyani Chohatta, le long du Lake Palace

Road et dans celui de Choti Brahmpuri, qui s’étend de l’autre côté des berges du lac Pichola.

L’accès au palais depuis ces deux lieux est aisé et rapide. Dans le modèle de la ville hindoue, les Brahmanes résident non loin des Râjput, autour des axes principaux de la cité qui mènent aux portes Nord et Est de la cité, Hathi-pol et Suraj-pol.

Les autres jati figurant parmi les plus hautes dans la hiérarchie locale, Kayastha, qui se réclament d’origine à la fois Brahmanes et Râjput, ainsi que les Oswal148 sont installées à proximité des castes les plus hautes.

A proximité des hautes castes : les marchands

Les marchands, qui répartissent en de nombreux groupes dont les Jaïn et des castes hindoues, occupent une importance toute particulière dans la vie économique mais aussi politique de la cité149. Ils bénéficient ainsi d’une situation privilégiée dans l’espace, entre le palais et le bazaar qu’ils contrôlent largement. Ceux qui sont appelés mahajan sont initialement installés autour de Bara Bazaar, ainsi qu’à proximité du Jagdish chowk.

Parmi les marchands, les Jaïn occupent une position centrale, aux abords directs de la

Clock Tower, Ghanta garh – tour de l’horloge .

Les castes les plus influentes parmi celles des commerçants et des artisans - qu’elles bénéficient d’un statut plus élevé ou qu’elles aient le pouvoir économique leur permettant de palier leur moindre degré de pureté - sont donc installées autour de l’axe principal qui dessert le palais et leurs commerces bordent les nombreuses rues adjacentes, formant bara

bazaar, le « grand bazaar ».

Depuis le début de la construction du bazaar, il existe une très forte compétition pour bénéficier d’un commerce dans les rues principales. Les commerçants disposant d’un statut social moins élevé sont implantés dans des rues secondaires et dans les interstices du

bazaar (où des espaces inoccupés le permettait et où les autres castes ne l’empêchaient

pas). C’est tout particulièrement le cas des castes artisanales, parmi lesquelles figurent, entre autres, les Jadiya, Kasara, Khairadi, Mochi (fabricants de chaussure), ou encore les

Suthar, caste de charpentiers.

148 La caste des Oswal désigne, en Inde, des membres de familles Jaïn ou hindoues. À Udaipur, cette caste est

exclusivement composée de Jaïn.

149 Cela a déjà été souligné dans ce travail : certains membres de castes marchande occupaient des fonctions très élevées au

portes

0 5 250 m 00

City Palace Jag Niwas

Aux marges intérieures : castes artisanales et de service

Entre cet espace « des hauts statuts sociaux » et l’espace constitué des murs et des franges de la cité, figurent tous les autres groupes sociaux, organisés en respect du statut dont ils disposent vis-à-vis de la société hindoue dominante.

Ainsi, les castes artisanales sont généralement installées non loin du bazaar, dans les rues adjacentes à celles des commerçants, où ils disposent aujourd’hui encore d’ateliers de fabrication (et parfois de vente) de bijoux. Dans cet espace jouxtant le bazaar figurent par exemple les castes Soni (bijoutiers), les Goldsmith (orpailleurs) et, à mesure que l’on s’écarte des rues principales et que l’on s’approche des murs d’enceinte, l’espace est marqué par la présence des castes appartenant à la varna des Sudra. Les groupes d’obédience islamique (musulmans et Bohra) occupent les marges extérieures de la cité, dans des quartiers souvent séparés entre eux

Aux marges extérieures et hors les murs : les bas statuts

À l’extérieur, les Harijan sont initialement installés dans Harijan colony et les tribus Bhil, initialement implantés dans les localités longtemps périphériques de Neemach ou de Devali, au nord de la ville, et occupant toujours des espaces clairement identifiés.

L’une des particularités de l’organisation socio-spatiale de la cité d’Udaipur, comme cela peut être observé pour la plupart des villes hindoues, est liée à la taille modeste de la ville. Cette caractéristique tend à atténuer les divisions entre les groupes de statuts et niveaux de pureté différents parmi la population qui s’y trouve concentrée. L’activité de la cité a ainsi dans une certaine mesure favorisé les échanges et les mélanges.

La flexibilité de ce modèle hiérarchique peut être illustrée par l’exemple des castes de musiciens Dholi, situés très bas dans la hiérarchie rituelle de l'hindouisme. Ils sont implantés aux abords directs du palais, proche de sa porte ouest, dans le quartier de Nav

Ghat (par ailleurs lieu ayant servi d’embarcadère pour se rendre sur les îles du lac Pichola.

Cette localisation s’explique par la nécessité de la cour de disposer de musiciens et de danseuses lors de manifestations privées. Cet exemple150 témoigne de la spécificité de la cité royale, certes structurée à partir du modèle hindou, mais pourvue de caractères singuliers.

Cette flexibilité ne remet pas pour autant en cause la règle selon laquelle les catégories les plus basses de la population, a fortiori les harijan, « hors-castes », et musulmans parmi d’autres, sont installées en marge de la forteresse ou souvent à l'extérieur. Si la distribution socio-spatiale semble avoir évolué au cours du temps, parallèlement à l’urbanisation largement soutenue à partir de 1818151 (voir chapitre 3), le principe général prévalant à cette organisation semble avoir dominé jusqu’à aujourd’hui.

150 Le cas des Dholi sert ici uniquement à mettre en évidence un aspect singulier de l’organisation de la cité. L’exemple est

pourtant ici choisi dans la perspective de l’étude du tourisme, les musiciens prenant part aux activités touristiques grâce à leur fonction traditionnelle pour le royaume. Leur situation dans l’espace est un élément favorisant cette participation.

151 1818 est la date de la signature du Traité avec la East India Company, qui constitue un événement politique majeur et

entraîne le début de l’installation des Britanniques dans le pays. Dans la ville, ceci se traduit par l’installation de nombreuses résidences d’officiels britanniques. La période britannique s’est accompagnée de profonds bouleversements socio-économiques qui se sont traduits par de grandes transformations dans l’espace : l’urbanisation a définitivement dépassé les murs des remparts, de nouveaux quartiers se sont développés, planifiés selon le modèle des villes coloniales.

À l’Indépendance, suite à la partition de l’Inde et la création du Pakistan, la ville moderne voit l’installation de nombreux nouveaux résidents, notamment des groupes hindous et sikhs originaires du Sindh, mais aussi des habitants de la cité désireux de profiter d’espaces plus larges et moins insalubres. Ces bouleversements n’entraînent pas pour autant une recomposition du tissu social dans l’espace de la cité, les hautes castes ayant le plus souvent gardé leurs propriétés, limitant les mouvements fonciers.

À titre d’exemple, les quartiers de Bhatyani Chohatta, Brahmpuri, Ganesh Gati, ou encore celui de Rao-Ji-Ka-hata restent des lieux largement occupés par les castes les plus élevées dans la hiérarchie rituelle locale. De même, autour de Gantha garh, les Jaïn ne cessent d’accroître leur emprise foncière.

Espace restreint mais toujours fortement peuplé, la cité intra-muros abrite aujourd’hui plus de 100 000 habitants, soit plus d’un quart de la ville actuelle. Elle reste en outre l’espace de référence, à partir duquel les habitants justifient et affirment leur ancrage local.

3.2 Les figures socio-spatiales de l’identité territoriale

À l’appropriation de certaines portions de l’espace de la cité par des groupes sociaux correspond une utilisation différenciée de l’espace local, des manières d’habiter et des métiers spécifiques et un ou plusieurs espaces dans la ville ainsi que des figures spatiales qui leurs sont spécifiques. Ces éléments sont autant d’aspects et de matérialités du patrimoine des groupes qui concourent à définir le territoire dans toute sa complexité. Ce dernier est bien le résultat d’une diversité de formes spatiales, d’usages et d’actions (Hollé A., 1998 : 350) individuelles et collectives, adaptées aux nécessités et aux ambitions socio- économiques de chacun et dont les fonctions et la symbolique restent aujourd’hui très fortement influencées par la marque de l’ancien pouvoir Râjput.

3.2.1 La cité historique : structure de la société

La structure générale de la cité est caractérisée par des rues étroites, tortueuses et irrégulières. Même les axes principaux, ceux qui mènent des portes au complexe palatial, suivent la morphologie accidentée de la colline sur laquelle a été construite la cité royale. L’observation du plan général fait apparaître la position centrale du complexe royal, duquel partent plusieurs axes pour mener aux portes, qui matérialisent longtemps les limites de ce que la royauté considère comme « l’autre monde ». L’axe principal de cet espace dessert la porte Nord du palais, Tripolia Gate, jusque vers le principal carrefour qui forme aujourd’hui le noyau central de la cité : Jagdish chowk d’où convergent des rues menant directement aux portes Est, Chandpole et Nord, Delhi Darvaza, ainsi que vers le lac Pichola, élément central de la structure de cet espace.

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