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Les restitutions au lendemain de la Seconde Guerre mondiale Consacrant ce paradoxe qui rend si intime le rapport entre biens culturels et conflits

Section I. Biens culturels et outils ad hoc de la restitution, deux siècles de mutation

A. L’apport des deux guerres mondiales : restitution et réparation La question des restitutions au XX e siècle ne doit pas être limitée au cas, considérable

3. Les restitutions au lendemain de la Seconde Guerre mondiale Consacrant ce paradoxe qui rend si intime le rapport entre biens culturels et conflits

armés, cent cinquante ans après la période révolutionnaire et impériale, un nouveau système politique profita de cette manne idéologique et financière. Afin de pérenniser sa vocation universelle, l’État national socialiste allemand avait besoin d’affirmer son pangermanisme et certaines œuvres d’art étaient logiquement pressenties pour le magnifier101. La « Grande

97« Un exemple de restitution. Le traité de Riga de 1921 et le patrimoine artistique de la Pologne », art. cit., p.

205.

98 « le gouvernement révolutionnaire de Lénine reconnaissait parfaitement la légitimité des prétentions

polonaises. En effet, le Conseil des Commissaires du peuple, déjà par décret du 24 janvier (6 février 1918), avait ordonné d’enregistrer, en qualité de “propriété nationale du peuple polonais », aux fins d’une future restitution, tous les biens culturels « enlevés de Pologne lors de la retraite des troupes russes ou avant”. » (S. NAHLIK, « La protection internationale des biens culturels en cas de conflit armé », art. cit., p. 102).

99 Cf. art. 11, § 7 (Pour le texte, cf. t. 2, annexe n°10.) A propos de l’intégrité d’un ensemble complexe, v. infra,

Sect. II-II.

100 Sur les avancées du traité de Riga en droit de la restitution (absence de délai de prescription, absence de

protection de l’acquéreur de bonne foi, procédure de réclamation en vue d’une restitution, etc.), voir Guido CARDUCCI, « L’obligation de restitution des biens culturels et des objets d’art en cas de conflit armé ... », art. cit., p. 303-304. Sur ces questions, et notamment la prescription, cf. infra, p. 273 s.

101 Celles-ci devaient être réunies au sein du grand projet muséal de Hitler, le futur musée de Linz. Cf.GINZKEY

Allemagne » devait se doter d’un arsenal culturel qui fixa très rapidement102 le destin tragique du patrimoine culturel européen de la seconde moitié du XXe siècle.Si l’objectif d’exaltation de la race allemande semblait limpide, la stratégie culturelle due quant à elle évacuer toutes les contradictions inhérentes au contenu hétéroclite du patrimoine artistique de l’Europe. Au pillage devait donc nécessairement s’associer l’épuration. Ainsi le front Est fut-il le principal théâtre de destructions idéologiques intentionnelles, visant des monuments contestant l’hégémonie nazie103. Mais les destructions idéologiques ne devaient pas se limiter aux seuls immeubles. Particulièrement surveillé pour la subversion dont il était porteur, l’art moderne qualifié de « dégénéré » ou Entartete Kunst, ne dû parfois sa survie que grâce à sa valeur sur le marché de l’art et sa participation purement commerciale à l’économie nazie104.

Ce ne sont toutefois pas les seules destructions de biens culturels qui marquèrent l’histoire de l’art durant la Seconde Guerre mondiale. La froideur méthodique des dirigeants nazis poussa à des extrémités inouïes la systématisation du pillage. L’organisation de ce secteur privilégié de la politique artistique du régime national-socialiste, aujourd’hui bien connue, visait à établir une Hohe Schule nazie105. Face à l’objectif d’un pillage global de

of history of collections, vol. 8, n° 2, 1996, p. 201-215. A propos de l’exaltation de l’antiquité dans le discours esthétique nazi, v. P. VILLARD, « Antiquité et Weltanschauung hitlérienne », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, n° 88, oct. 1972, p. 1-18.

102Emblématique reste à cet égard la vente aux enchères qui eut lieu le 30 juin 1939 à Lucerne, dont le

commissaire priseur Théodore Fischer laissait échapper à vil prix avec un réel amusement, certains des plus beaux chefs d’œuvres de l’art moderne. C’était déjà sélectionner une esthétique officielle au détriment d’autres formes artistiques qualifiées de « dégénérées ». Voir Lynn H. NICHOLAS, Le pillage de l’Europe..., op. cit., p. 13-39.

103 Les destructions intentionnelles furent beaucoup plus pratiquées sur le front Est que sur le front Ouest où elles

étaient principalement liées aux bombardements des objectifs militaires. Stanislaw E. NAHLIK, « La protection internationale des biens culturels en cas de conflit armé », art. cit., p. 105-108 ; Lynn H. NICHOLAS, « Les spoliations nazies en Europe », dans Pillages et restitutions. Le destin des œuvres d’art sorties de France pendant la seconde guerre mondiale, Actes du colloque organisé par la Direction des musées de France le 17 novembre 1996, Paris, 1997, p. 49-50.

104 Toutefois,le 27 juillet 1943, la valeur économique de certaines œuvres modernes ne les épargna pas pour

autant et de la terrasse des Tuileries, « finissaient dans les flammes des peintures marquées du sceau “E. K.”, Entartete Kunst (art dégénéré), de Masson, Miro, Picabia, Valadon, Klee, Max Ernst, Léger, Picasso, Kisling, La Fresnay, Marval, Mané-Katz, et de bien d’autres. Au total : 500 ou 600 œuvres qui, depuis le début du pillage, étaient éloignées du reste et désignées par le Reich comme susceptibles d’être physiquement éliminées. » (Laurence BERTRAND DORLÉAC, L’art de la défaite 1940-1944, Paris, Seuil, 1993, p. 27).

105 Il ne faudrait cependant pas passer sous silence le formidable appétit artistique de Goering ou de Hitler, qui

accumulaient des œuvres d’art à des fins exclusivement privées.Théodore ROUSSEAU, « The Goering collection », National Archives, Record Group 239/85, Office of Strategic Services.Art Looting Investigation Unit Consolidated Interrogation. Reports n° 2, 13 September 1945; GINZKEY PULOY Monika, « Hight art and National Socialism, Part II : Hitler’s Linz collection: acquisition, predation and restitution », Journal of history of collections, vol. 10, n° 2, 1998, p. 207-224.

toutes les catégories de biens corporels, les Allemands imaginèrent des organismes, parfaitement adaptés à certaines missions spécifiques. L’instrument principal de cette politique de pillage des œuvres d’art dans toute l’Europe reste connu sous le sigle E.R.R. (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) du nom de son inventeur, l’idéologue Alfred Rosenberg. L’action de l’E.R.R. débuta en 1940 et se limitait aux œuvres d’art des grands collectionneurs et des marchands d’art106. Elle concentrait son activité sur les principaux adversaires du régime nazi, les juifs, les socialistes, les communistes et les francs-maçons. Jacques Lust remarque que « la structure de l’E.R.R. était horizontale et verticale. Il y avait des départements spécialisés de la musique, la préhistoire, les Beaux-Arts, les questions religieuses, la littérature ainsi qu’une structure régionale composée de Hauptarbeitsgruppen ou des groupes de travail centralisés pour les territoires contrôlés et occupés. Ainsi la Belgique, les États Baltes, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Allemagne et l’Ukraine furent soumis aux Hauptarbeitsgruppen et pillés par eux »107. Pour le seul territoire français, les spoliations perpétrées par l’E.R.R. s’élevaient à 16 872 objets saisis pour l’essentiel chez les grands collectionneurs parisiens comme les Rothschild, David- Weill, Alphonse Kann, Seligmann, Paul Rosenberg ou Wildenstein108.

Face aux besoins matériels liés à l’économie de guerre, d’autres services de pillage comme la Möbel Aktion furent créés. La Möbel Aktion dépendait de la Dienststelle Western, ou service Ouest. Elle était chargée de vider les appartements désertés par leurs propriétaires109. Ce service était principalement actif en France, en Belgique et aux Pays-Bas. Distinct de l’ERR, il avait en charge la saisie des biens mobiliers de tout ordre et transférait à l’E.R.R.,au hasard des saisies effectuées, les objets présentant un intérêt artistique particulier.

Concurremment aux nombreux efforts mis en œuvre sur le terrain pour protéger110 et mettre en sûreté les collections publiques et certaines collections privées, les Alliés réagirent

106Le pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2000 œuvres confiées aux Musées

Nationaux, Contribution de la direction des Musées de France et du centre Georges-Pompidou aux travaux de la Mission d’étude sur la spoliation des juifs de France, Paris, 2000, p. 19.

107 Jacques LUST, « Les spoliations en Belgique », dans Pillages et restitutions. Le destin des œuvres d’art sorties

de France pendant la seconde guerre mondiale…, op. cit., p. 171-183, ici 171.

108Le pillage de l’art en France pendant l’occupation et la situation des 2000 œuvres confiées aux Musées

Nationaux..., op. cit., p. 21-22.

109 Initialement la Möbel Aktion, en tant que service de pillage, fut créée dans le but de fournir la population

civile allemande victime des bombardements en biens de consommation courante. A propos de la Möbel Aktion, id., p. 24-25.

110 Dans le cas de la France, il convient de noter que toutes les autorités allemandes ne s’associaient pas en bloc

au programme d’émigration des œuvres d’art vers l’Allemagne. Ainsi le comte Metternich qui avait officiellement en charge depuis le début de la guerre le sauvetage et la protection des monuments français en tant que directeur du Kunstschlutz, s’est opposé avec opiniâtreté aux attaques des dirigeants de l’E.R.R. en France. Ce

juridiquement en réponse à ce vaste mouvement de dépeçage du patrimoine artistique européen. Dès le 5 janvier 1943, fut ainsi signée par dix-huit gouvernements, l’Interallied

Declaration against Acts of Dispossession Commited in Territories under Enemy Occupation or Control, aussi appelée Joint Declaration111. Les gouvernements signataires se réservaient le droit de déclarer nuls et non avenus tous transferts ou transactions relatifs à la propriété, de quelque nature qu’ils soient, que de tels transferts aient revêtu la forme soit d’un pillage manifeste, soit de transactions en apparence légales, même si lesdits transferts ou trafics étaient présentés comme ayant été effectués sans contrainte. Cette déclaration servit à la Libération de base légale à des opérations de restitution dans les différents droits internes.

Bien avant l’issue finale les Alliés, au premier rang desquels les américains et les anglais, se sont souciés de la protection des monuments et des œuvres d’art ainsi que de la récupération et de la restitution après la guerre des objets spoliés et volés112. Une « base de données » des objets et des collections saisies fut progressivement élaborée pour faciliter les futures recherches113. Certes depuis l’automne 1942 la victoire commençait d’échapper aux nazis, mais l’attention portée aux biens culturels n’en fut pas pour autant occultée par eux et au repli géographique progressif des zones d’occupation par l’armée répondait l’enfouissement accéléré des trésors de guerre dans les mines de sel d’Alt-Aussee et des autres dépôts d’Allemagne, d’Autriche ou de Tchécoslovaquie. La question de la restitution des œuvres d’art n’était donc pas un sujet fortuit en mai 1945. Le monde des arts n’attendait que la capitulation pour mettre en œuvre les opérations de récupération. Après la victoire l’objectif essentiel pour tous les professionnels concernés par les arts était d’assurer une

n’est que par la suite que son action s’est peu à peu dissoute devant l’ampleur de moins en moins dissimulée du pillage organisé.

111 Le texte de la déclaration a été transposé en droit français : v. l’ordonnance du 12 novembre 1943, sur la

nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle (J.O.R.F. du 18 novembre 1943, p. 277) ; l’ordonnance du 14 novembre 1944 portant application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 (J.O.R.F. du 15 novembre 1944, p. 1310-1311) ; l’ordonnance du 2 février 1945, complétant et modifiant l’ordonnance du 14 novembre 1944 (J.O. du 3 février 1945, p. 508-509) ; et l’ordonnance du 21 avril 1945, portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle et édictant la restitution aux victimes de ces actes de ceux de leurs biens qui ont fait l’objet d’actes de dispositions (J.O. du 22 avril 1945, p. 2283-2285).

112 Voir à ce propos le rôle joué par la Commission Roberts. Cf. Rose VALLAND, Le front de l’art..., op. cit., p.

214-215 et Lynn H. NICHOLAS, Le pillage de l’Europe…, op. cit., p. 261-267, 275-316, 318-357.

113 C’était le rôle de la Commission Vaucher dont les opérations de recherche purent être lancées grâce au travail

primordial de Rose Valland (cf. note ci-dessus). Voir également Lynn H. NICHOLAS, Le pillage de l’Europe…, op. cit., p. 321-322. Selon Jacques Lust, « dès 1943, les États-Unis avaient préparé la création d’une Monuments, Fine Arts and Archives Division [MFAA] qui, lors de la Libération de l’Europe, devait protéger le patrimoine artistique et détecter les œuvres et archives dérobées. » (« Les spoliations en Belgique », art. cit., p. 42). Voir également Stanislaw E. NAHLIK, « La protection internationale des biens culturels en cas de conflit armé », art. cit., p. 110.

protection immédiate aux dépôts de l’E.R.R.,localisés en grande partie grâce au travail de Rose Valland114. Dans cette atmosphère enfiévrée, et forts de la confirmation lors des Accords de Yalta115 et des Conférences de Potsdam116 et de Paris117 de l’obligation pour l’Allemagne de restituer et de réparer, les Alliés installèrent des collecting points en territoire allemand où étaient stockés les biens culturels en attente d’être restitués118.C’est à cette période que la décision fut prise, sur initiative américaine et britannique, de restituer chaque œuvre à leur pays d’origine. Le principe était, pour chacun des gouvernements alliés contrôlant une zone précise, d’organiser dans un premier temps la récupération des objets pillés ou volés situés dans leur zone et de les stocker dans les collecting points, et dans un second temps de les restituer à leur propriétaire d’origine. Seule l’Union Soviétique dérogea à ce principe en suivant une politique en tous points opposée. Elle considérait que les biens collectés devaient notamment servir à compenser les pertes subies durant le conflit. Les conséquences de cette prise de position perdurent encore aujourd’hui119. Pour autant les premières restitutions débutèrent rapidement ; la première œuvre fut restituée en septembre 1944, il s’agissait de l’Agneau Mystique dont le symbole très fort devait servir à exorciser le souvenir douloureux des spoliations120.

114 Rose VALLAND, Le front de l’art..., op. cit. ; François AUGEREAU, « L’action de Rose Valland », dans Pillages

et restitutions..., op. cit., p. 65-71 ; Le pillage de l’art en France pendant l’occupation..., op. cit., p. 31-32.

115 Accords de Yalta du 11 février 1945. V. Ministère français des Affaires étrangères, recueil de textes à

l’usage des conférences de la Paix, Paris, Imprimerie nationale, 1946. Cf. infra, p.171s.

116 Conférence de Potsdam du 17 au 25 juillet 1945, communiqué du 2 août 1945, v. C.A. COLLIARD et A.

MANIN, Droit international et histoire diplomatique, t. I, I. Textes généraux, Paris, Montchrétien, 1971, p. 153- 162. Cf. infra, p.173.

117 La conférence de Paris se tint du 9 novembre 1945 au 16 janvier 1946.

118 Pour les Collecting Points les plus importants, ceux de Munich et de Wiesbaden correspondaient à la zone

américaine, celui de Düsseldorf à la zone britannique et Baden-Baden à la zone française placée sous contrôle de la première armée.

119 Voir LAMBSDORFF, Haggen Graf, « Return of cultural property : hostages of war or harbingers of peace ?

Historical facts, political positions, and an assessment from the German point of view », dans The Spoils of War – World War II and its Aftermath: the Loss, Reappearance, and Recovery of Cultural Property, New York, 1997, p. 241-243; MARIN A., « Un litige russo-allemand. La restitution des biens culturels », Le courrier des pays de l’Est, 2000, p. 64-79 ; Norman M. NAIMARK, « Cultural trophies », dans The Russians in Germany : a history of the Soviet Zone of Occupation, 1945-1949, Cambridge, MA : Belknap Press of Harvard University Press, 1995, p. 175-178 ; Emmanuelle NEMOZ, « Les restitutions germano-russes et le régime international des biens culturels : à propos du trésor de Priam », R.G.D.I.P., t. 100, 1996/3, p. 780-786 ; Pierre d’ARGENT, « La loi russe sur les biens culturels transférés. Beutekunst, agression, réparations et contres mesures », A.F.D.I., vol. 44, 1998, p. 114-143. Sur ces questions, voir égalementinfra, p. 176 s.

120 Le polyptyque a été remis en septembre 1944 à la Belgique. Une note figurant aux Archives des Musées

Nationaux précise que « les Allemands ne reculèrent pas devant la honte d'un marchandage ». En effet : « Ils réclamèrent à la Belgique la remise, en contre-partie de la restitution du retable, de ses archives historiques de Bourgogne. » (AMN, R 15.1 fol.3, 1948, 16 août.) Cette requète leur fut immanquablement refusée !

Mais ce grand mouvement de récupération, dans son immédiateté, n’était représentatif que pour moitié du mécanisme global des restitutions de la Seconde Guerre mondiale. Ces restitutions étaient en effet originales par leur dualité. Le cas particulier de l’État Allemand, en tant que principal acteur des spoliations, le plaçait directement sous le contrôle des Alliés (États-Unis, Angleterre, Union Soviétique et France) alors que les autres États membres de l’axe voyaient leur action dictée par les Traités du 10 février 1947.Les clauses de restitution constituent en l’espèce une source privilégiée. Cela étant, le mode pragmatique et original de restitution mis en place en dehors des traités de la Seconde Guerre mondiale mérite quelques approfondissements121. En s’en tenant au strict cas de la France, il est possible d’avoir une vision assez globale du fonctionnement des reprises qui touchèrent seulement l’Allemagne. Depuis la transposition en droit français de la Joint Declaration du 5 janvier 1943122, toutes les saisies effectuées sur le sol national avaient été déclarées illégales et les restitutions entraient de plein droit dans le dossier plus global des réparations exigées de l’Allemagne. Les réparations constituaient un des objectifs primordiaux du gouvernement provisoire et la question des restitutions d’œuvres d’art était confiée à l’Office des Biens et Intérêts Privés (OBIP)123 chargé depuis la Première Guerre mondiale de veiller à l’exécution des clauses du traité de Versailles en matière de biens privés. Afin de mener à bien les opérations de récupération et d’identification des œuvres collectées sur le territoire du Reich et de désengorger le travail de l’OBIP, une Commission de Récupération Artistique (CRA) fut créée dès 1944124, comme cela avait été le cas dans d’autres pays125. La CRA avait à sa tête Albert Henraux126 assisté de Michel Florisoone127, Suzanne Kahn128 et Rose Valland129. La commission mena efficacement sa mission durant cinq années avant la cessation officielle de

121Infra, p. 170 s. 122Supra, n. 111.

123 Organisme sous tutelle du ministère des Affaires étrangères lié administrativement à la direction des Affaires

économiques.

124 Imaginée par Jacques Jaujard, alors directeur des Arts et des Lettres, la Commission de Récupération

Artistique fut instituée par un arrêté du ministre de l’Éducation Nationale le 24 novembre 1944. J.O. du 23 janvier 1945, p. 315-316.

125 Pour la Belgique par exemple, l’organisme correspondant à la CRA en France est l’Office de Récupération

Economique (ORE). Voir Jacques LUST, « La récupération des œuvres d’art belges après la guerre (1946- 1962) », Bulletin de nouvelles du centre de recherches et d’Etudes Historiques de la Seconde Guerre mondiale, automne 1994, p. 42-46.

126 Président du Conseil des musées nationaux.

127 Michel FLORISOONE, « La commission de récupération artistique », Mouseion, Paris, vol. 55-56, n° 1-2, 1946,

p. 67-73.

128 Ancienne secrétaire de Jacques Jaujard à la Direction des musées nationaux.

129 Le décret du 28 août 1945 met en place les services administratifs de la CRA. Voir Le pillage de l’art en

son activité fixée par décret130 au 31 décembre 1949. Le travail de récupération et de restitution se poursuivit néanmoins après la dissolution de la CRA et passa sous la responsabilité de l’OBIP, mais l’essentiel des récupérations avait déjà eu lieu131. Sur 61 233132 objets retrouvés en 1950, 45 441 furent identifiés et restitués à 416 de leurs propriétaires légitimes, au nombre desquels les familles Rotschild, David-Weill et Veil-Picard. Il restait néanmoins environ 15 000 objets non restitués car leurs propriétaires n’avaient pas pu être identifiés. Leur statut juridique était incertain. Le législateur français décida dans son ordonnance du 11 avril 1945133 de clarifier la situation de ces biens sans maître, en fixant un délai de prescription au-delà duquel aucune réclamation ne pourrait être enregistrée ; passé ce délai les biens non réclamés devaient être aliénés par l’administration des domaines comme n’importe quel bien ordinaire appartenant à l’État. Face aux difficultés liées à la recherche des propriétaires, le délai de prescription fut toutefois prolongé à deux reprises par l’arrêté du 18 août 1946 et par le décret du 29 octobre 1947134. Pour autant leur aliénabilité restait toujours de droit, ce qui inquiétait les Musées Nationaux pour lesquels l’importance esthétique et scientifique de certaines œuvres rendait indispensable leur intégration aux collections publiques. C’est ainsi que le décret du 30 septembre 1949 précité135, institua deux commissions ad hoc136, dites « Commissions de Choix », chargées de sélectionner parmi les 15000 objets non restitués les pièces les plus intéressantes pour les Musées Nationaux. 2143 œuvres furent choisies137, ce qui les libérait de leur aliénabilité potentielle138. Cette décision permit leur enregistrement immédiat sur les inventaires dits de la récupération : les MNR

130 Il s’agit du décret du 30 septembre 1949. (J.O. du 2 octobre 1949, p. 9815).

131 Dès 1946 les œuvres les plus importantes avaient été restituées et une grande exposition fut organisée à

l’Orangerie des Tuileries en l’honneur de leur retour sur le sol français. Voir le catalogue de l’exposition, Les chefs-d’œuvre des collections françaises retrouvées en Allemagne par la Commission de récupération artistique

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