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Des restitutions spécialisées dans la lutte contre la criminalité culturelle

Section I. Les contradictions de la restitution

B. Des restitutions spécialisées dans la lutte contre la criminalité culturelle

Les restitutions générées par de tels instruments possèdent ainsi un fondement exclusivement juridique, tant elles concentrent leur action beaucoup plus sur la protection des droits réels que sur la valeur symbolique des biens culturels. Cela en fait des instruments

16 A propos des exportations, voir infra, p. 230 s.

17 « Personne ne peut alléguer sa propre turpitude. » (Digeste 12, 5, 8. Code Justinien 4, 7, 2.) En vertu de ce

principe, il est défendu d’invoquer devant les juges un acte immoral pour s’en faire un principe d’action. Cf. Henri ROLLAND et Laurent BOYER, Adages du droit français, Paris, Litec, 1999, v° nemo auditur propriam turpitudinem allegans.

18 Droit commun, Directive de l’Union européenne, Conventions de l’UNESCO et d’UNIDROIT.

19 Pour l’essentiel, Convention de la Haye de 1907 et Protocole additionnel de la Convention de la Haye de 1954. 20 « Personne ne donne ce qu’il n’a pas ». D’après Digeste 50, 17, 54.

21 Pierre LALIVE,« La Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (du 24 juin

1995) », art. cit., p. 32. Toujours selon l’auteur, « la question du transfert de la propriété » constitue « le noyau dur » du problème de la prévention du trafic illicite des objets d’art (« Sur le régime des objets d’art volés en droit international privé », art. cit., p. 54).

spécifiques, limités à leur fonction de lutte contre la criminalité culturelle qui ne saurait dès lors suffire à embrasser la totalité du rapport bien culturel/restitution.

Pour une meilleure compréhension de la portée limitée de cet arsenal juridique, la construction et la longévité de ce dernier doivent être resitués à la fois dans un espace, celui des systèmes juridiques occidentaux, dans un temps, celui de la décolonisation et dans une fonction, la lutte contre le trafic des objets d’art. Un tel constat montre que ces instruments sont loin de répondre pleinement au particularisme des biens culturels. Depuis la Convention de 1970, après l’accession à l’indépendance des anciens pays colonisés et jusqu’à la Convention Unidroit de juin 1995, la permanence du recours au système d’adhésion dans les outils internationaux de restitution est saisissante. La logique juridique interne de ces instruments montre qu’ils protègent en fait les intérêts propres des pays occidentaux, qu’il s’agisse des pays riches importateurs de biens culturels comme les États-Unis, des anciens États coloniaux, ou des deux à la fois22. Le recours à des textes de nature conventionnelle favorise en effet chez ces pays le maintien du statu quo ante, face à des revendications portant sur des collections constituées, par exemple, pendant une période de domination coloniale23. Une telle situation est rendue possible essentiellement grâce à l’interdiction de la rétroactivité qui, si elle était proposée dans les textes ne manquerait pas de nuire aux adhésions, donc à l’effectivité des instruments24. Le pragmatisme du droit de la restitution trahit ici sa source culturelle occidentale qui semble favoriser le libéralisme induit par le mécanisme d’adhésion, propre au système conventionnel. Le recours à l’adhésion limite donc le contenu contraignant des textes, l’absence de rétroactivité empêchant tout retour sur la question coloniale par exemple25 et rejetant du même coup ce type de revendications dans l’incertitude des négociations bilatérales et de la bonne volonté des États26. En déniant tout champ rétroactif

22 Les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et la Suisse totalisent ainsi à eux

seuls 88 % des importations de biens culturels et 64 % des exportations. Cf. M. HOOG et E. HOOG, Le marché de l’Art, Paris, PUF, 1991.

23 Dans ce sens voir Philippe DALLAIS, « Opus nullius ? Leges restitutionis : dimensions ethnojuridiques du

concept de restitution », Tsantsa, n° 3, 1998, p. 14-23 et J. J. G. SYATAUW, « The Protection of Cultural Heritage : a Heritage of Colonial Expansion », A.A.A.A., vol. 44, 1974, p. 34-44.

24 Pour une opposition à la rétroactivité des textes, voir Quentin BYRNE-SUTTON,Le trafic international des

biens culturels..., op. cit.,p. 233-234 et également Georges A. L. Droz « La Convention d’UNIDROIT sur le retour international des biens culturels volés ou illicitement exportés (Rome, 24 juin 1995) », art. cit., p. 271. Ces positions hostiles à la rétroactivité se justifient par une utilisation étroite des outils de la restitution en tantqu’instruments de lutte contre la criminalité culturelle. De ce point de vue, la rétroactivité gênerait indéniablement l’efficacité des instruments. Par contre en matière de « restitutions culturelles » et non pas exclusivement juridiques, la rétroactivité doit être envisagée.

25Mais pas uniquement, il faudrait voir par exemple l’histoire de la constitution des grandes collections

américaines.

aux instruments internationaux de la restitution, le droit positif réserve son potentiel aux contentieux futurs ; il constitue alors un droit spécialisé, fait pour le présent, qui évacue les importantes questions identitaires, symboliques et mémorielles que posent ces biens spécifiques27. Ainsi certains biens culturels et certains peuples dépossédés d’une partie de leur patrimoine identitaire semblent faire les frais d’un positivisme juridique privilégiant libéralisme et contractualisme.

Au-delà du problème de la rétroactivité comme entrave aux ratifications, on rencontre l’autre difficulté de la définition légale des biens culturels. Si la nature pragmatique et utilitariste du droit de la restitution commande de définir ces derniers, il s’agit d’un exercice difficile et le droit actuel hésite entre définition générique ou synthétique, et définition exhaustive sous forme de liste28. La subtilité de la notion de bien culturel réclamerait néanmoins juridiquement une construction théorique singulière29, loin des définitions figées favorables aux contournements30.

Le droit des restitutions ne peut donc pas être regardé comme un droit neutre tant manifestement il favorise un espace culturel particulier, celui des pays occidentaux, ainsi qu’une période donnée, celle de la constitution des grandes collections aux États-Unis comme en Europe. Cette constatation rejoint d’ailleurs le débat sur le respect des droits acquis en matière de succession d’États après une période de colonisation31. En vertu de ce principe, l’ancien État colonial est assuré que les droits nés avant le changement de souveraineté restent garantis. La pratique conventionnelle qui rejette la rétroactivité des textes semble participer de la même dynamique. Dans ces conditions les « restitutions juridiques » devraient pouvoir être déjouées, ou pour le moins concurrencées, par des mécanismes similaires capables de prendre en compte l’intérêt culturel des biens. Malheureusement les « retours culturels » demeurent limités dans leurs effets.

27 Dans le même sens voir les réflexions de Detlev Christian DICKE, « Les instruments et les organes de la

protection internationale des biens culturels », art. cit., p. 27-28.

28 Voir l’introduction. 29 Infra, Chap. III, sect. III.

30 Dans leur incomplétude, les critères les plus variés peuvent présider à l’élaboration d’une définition des biens

culturels : critère de la valeur pécuniaire, de l’importance historique, scientifique, artistique, ainsi que de l’ancienneté. Mais encore appartenance à des périodes ou des styles déterminés. Cf. Frédéric COULÉE, « Quelques remarques sur la restitution interétatique des biens culturels sous l’angle du droit international public », art. cit., p. 362 ; Abbes BOUCETTA, Le statut du patrimoine culturel en droit international..., op. cit., p. 96-114. Voir également infra, Chap. III, sect. III-I.

31 Ridha FRAOUA, Le trafic illicite des biens culturels et leur restitution…, op. cit., p. 174 sq ; Joe VERHOEVEN,

« Archives et droit international », dans Archives et patrimoine..., op. cit., t. I, p. 32 à propos de la Convention de Vienne de 1983 sur les successions d’État après une période domination ; Quoc DinhNGUYEN, Droit international public..., op. cit. ; Marcel SINKONDO, Droit international public..., op. cit.

II.

Des retours culturels négligés

Les développements précédents ont montré que les instruments de la restitution visent en priorité à rétablir les droits du dernier propriétaire avant la commission l’infraction. Pour les biens culturels les limites d’un tel droit sont immédiatement perceptibles, tant les droits réels dont l’objet est tributaire sont favorisés au détriment du contenu proprement culturel du bien. Leur statut dépend davantage des droits qui les grèvent (droit de propriété, servitudes) que de leur nature culturelle (A). Cela étant des tentatives de retours culturels aboutissent dans l’ombre des restitutions proprement juridiques (B).

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