• Aucun résultat trouvé

Restitution in integrum, les biens culturels considérés in species

Section I. Biens culturels et outils ad hoc de la restitution, deux siècles de mutation

B. La nature juridique des biens culturels face aux réparations L’obligation morale et juridique de réparer, en 1919 comme en 1945, provoqua une

1. Restitution in integrum, les biens culturels considérés in species

La responsabilité internationale des États convaincus d’avoir commis un acte d’agression, induit en général pour ces derniers une obligation de réparer. La finalité de la réparation consiste à réduire, voire annuler, le dommage matériel pour l’État qui en est victime. Parmi les différentes formes de réparation, la restitutio in integrum tient une place particulière au regard de la nature juridique des biens culturels. Elle vise au retour du bien tel qu’il existait physiquement avant l’acte dommageable. Juridiquement admise par le droit international151, cette forme de réparation est généralement considérée par la doctrine comme la forme idéale vers laquelle il faut tendre en priorité152. Si elle consiste avant tout à faire droit

149 Par exemple après la ruine de Louvain par les Allemands – qui n’a jamais constitué un objectif militaire mais

qui au contraire visait à toucher la nation belge dans son identité – la réparation revêtait pour la Belgique une dimension cathartique. Dans le même sens le bombardement de la cathédrale de Reims a été particulièrement stigmatisé. Supra, n. 67.

150 En son temps, Gabriel Hulin de Loo avait déjà mis en garde à propos de réparations disproportionnées et

relevant beaucoup plus de la vengeance que du droit : « Pour que le caractère de réparation soit manifeste et s’impose à tous, il importe qu’il y ait une relation entre la chose réclamée et la chose perdue qu’elle doit remplacer. Sinon les esprits malveillants ou intéressés ne manqueront pas de représenter l’acte de justice comme un acte d’arbitraire et la réparation comme un abus de force. » (« Des compensations à réclamer pour les dommages artistiques », Bulletin de la Classe des Beaux-Arts, 1919, n° 4-5, p. 75-87, cit. p. 81).

151 D’après RidhaFraoua, « le principe de la restitution, en tant que moyen de réparation du préjudice causé à un

État, est reconnu par la doctrine et par la jurisprudence internationale comme un principe de droit international. » (Le trafic illicite des biens culturels et leur restitution..., op. cit.,p. 126-127).

152 Voir Frédéric COULÉE, « Quelques remarques sur la restitution interétatique des biens culturels sous l’angle

du droit international public », art. cit., p. 359-392, ici p. 368-369 ; Pierre D’ARGENT, « La loi russe sur les biens culturels transférés. Beutekunst, agression, réparations et contres mesures », art. cit., p. 130-131 ; Stanislav E. NAHLIK, « Des crimes contre les biens culturels », A.A.A.A., vol. 29-30, 1959, p. 15-27, ici p. 21 ;Marie CORNU, « L’espéranced’intangibilitédans la vie des œuvres. Réflexions sur la longévité de certains biens », R.T.D.Civ., oct.-déc. 2000, p. 697-734, ici p. 711. Pour Guido Carducci la restitutio in integrum constitue le moyen prioritaire de satisfaction, le plus direct pour le dépossédé si l’objet demeure en vie et transférable (La restitution

à un titre juridique antérieur, son principal atout, au-delà du rétablissement des droits réels, tient au respect de la singularité des biens culturels car elle vise le rétablissement de la situation ante factum par le retour à la situation d’origine153. Certes ce procédé n’est rendu possible que si l’objet concerné a été déplacé et non détruit154, car dans ce cas toute restitution est impossible et d’autres modes de réparation comme la compensation s’imposent. Même si elle n’a pas toujours été juridique155, la restitutio in integrum reste la forme de réparation la plus ancienne et la plus souhaitable, à la fois culturellement mais aussi juridiquement. Elle seule, en effet, conserv au bien culturel son individualité et l’assimile à un corps certain au sens que lui donne le droit civil. Jean Carbonnier rappelle à ce titre qu’« un corps certain n’est fongible avec aucun autre bien [...] Si, de l’exemplaire d’un genre à l’autre, il y a des caractéristiques suffisantes pour que les sens de l’homme ne puissent s’y tromper, la fongibilité semble a priori exclue : ainsi, dans les animaux, les œuvres d’art, les vêtements faits sur mesure, etc. »156. Cependant tous les biens culturels ne sont pas forcément des corps certains, il en est parmi eux qui sont des biens culturels « fongibles par nature » – Véronique Parisot distingue ainsi de la catégorie des biens culturels corps certains, les objets de type ethnologique, fongibles par nature, « que l’on peut trouver en de multiples exemplaires »157 – et d’autres « fongibles par destination »158.

La restitution insiste donc sur la qualification juridique des biens culturels inspecies, par opposition à la réparation par compensation qui fait basculer ces derniers dans la catégorie des

genera159. Afin de ne pas se laisser abuser par certaines approximations sémantiques contenues dans les textes, il faut préciser que le terme « restitution » reste le seul valable pour

internationale des biens culturels et des objets d’art. Droit commun, Directive CEE, Conventions de l’Unesco et d’Unidroit, Paris, L.G.D.J., 1997, p. 124-125). De même, pour Manfred Lachs, « La restitution représente, comme on sait, la forme la plus efficace de la satisfaction car elle signifie “le rétablissement de l’état de fait qui existerait si l’acte illicite n’avait pas été commis.” » (« Le problème de la propriété dans la liquidation des suites de la Seconde Guerre mondiale », art. cit., p. 47).

153 Eduardo Jiménez de ARÉCHAGA et Attila TANZI, « La responsabilité internationale des États », dans Droit

international bilan et perspective, Mohammed BEDJAOUI (dir.), Paris, 1983, t. I, p. 367-403, spéc. p. 394.

154Frédéric COULÉE, « Quelques remarques ... », art. cit., p. 369. 155Supra, p. 53 à propos des restitutions de 1815.

156Jean CARBONNIER, Droit civil, les biens, Paris, PUF, 19e éd., 2000, p. 97.

157Véronique PARISOT, Essai sur la notion juridique de bien culturel, Thèse droit, Dijon, 1993, multigr., p. 280.

Dans le même sens, voir Marie CORNU,Le droit culturel des biens. L’intérêt culturel juridiquement protégé, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 84-85.

158 Sur la distinction entre biens « fongibles par nature » et biens « fongibles par destination », cf. Christian

ATIAS, Droit civil, les biens, Paris, Litec, 6e éd., 2002, p. 26-27. Il faut dès lors distinguer les biens fongibles par leur nature matérielle intrinsèque des biens rendus fongibles par la volonté d’une personne. Voir infra.

159 Le Traité de Versailles, par exemple cumule restitution in species (article 246) et compensation (article 247),

qualifier juridiquement le retour du bien culturel identique après son transfert illicite. Tout autre mode de réparation en nature relève de la compensation et c’est à tort que l’on trouve dans certains textes le mot « restitution » pour exprimer ce qui relève en fait de la compensation en nature. C’est le cas lorsqu’est employé le terme, « restitution par compensation », pour désigner une réparation en nature160.

2. Les réparations en nature, les biens culturels considérés in

Outline

Documents relatifs